Jean-Louis G. , SDF de 31 ans, a les nerfs peu solides. Il faut dire qu’il vit dans la forêt d’Etang-Salé, ce qui, on en conviendra, n’est pas fait pour calmer les esprits.
Le jeune homme, contrairement à beaucoup de laissés-pour-compte, n’est pas un ignare. Il possède même un CAP de charpentier mais, après quelques années de travail, s’est heurté à des déboires familiaux insurmontables et s’est retrouvé à la manche.
La machine ne veut rien savoir !
Le 24 février 2016, il se rend on ne sait comment à Saint-Pierre et entreprend de retirer 20 euros à un gabier de la CRCA. 20 euros sur son maigre RSA, voilà qui, pense-t-il, ne va pas le ruiner… car il sait gérer ses affaires, le bonhomme.
Mais voilà, la stupide machine lui avale sa carte bancaire et, en outre, ne lui donne rien du tout. Et il a faim !
Entrant dans les locaux, il demande à une guichetière de lui rendre sa carte, ce que la pauvre femme ne peut faire, la restitution étant d’une complexité à faire pâlir une paramécie, on sait tous ça.
Jean-Louis ressort, se met en devoir de « causer » avec la machine bougonne ; laquelle ne veut rien savoir.
En rage montante, Jean-Louis décide alors de faire valoir ses droits en parlant à ce bête ordinateur à coups de galets. Ce dont le distributeur se trouvera fort marri ! et escagassé à divers degrés.
« Non ! – Si ! – Non ! –Si ! »
« Pourquoi ? » s’enquiert gentiment la présidente Tomasini, décidément en verve de patience ce matin.
« Mi conné pas, moin ».
Et de s’insurger : « I dit moin la fé ci, moin la fé ça et après i réclame à moin quasiment 5 000 eurtos pour 50 euros de cassage à peine ? Mi payera pas ! » Réplique aussi sec de la présidente : « Vous paierez quand même ! » – « Non ! » – « Si ! » – « Non ! » -« C’est ce qu’on verra ! » finit la présidente qui a presque failli en perdre sa nonchalance.
Puis notre gars prétend n’avoir pas de facture du Crédit agricole pour la simple raison qu’un autre SDF lui a volé ses papiers. Dans la forêt ? Un autre SDF en même temps ? Il n’y a plus de territoires réservés, ma bonne dame.
Le casier du jeune homme ne plaide pas vraiment en sa faveur : nombreux vols divers, transports et offres de stupéfiants, rébellions, outrages, violences. Le tout assaisonné de beaucoup de prison.
« Des machines inertes, inhumaines… «
Me Brigitte Hoareau, commise d’office, tentera bien de faire valoir l’incompréhension humaine face aux machines « avec lesquelles on ne discute pas ! Ces machines inertes, inhumaines, muettes, qui finissent par énerver… N’oublions pas que c’est un être humain qui dort dans la forêt… » Et de s’élever contre le Crédit Agricole qui réclame pas moins de 5752,24 euros, plus 1000 euros « pour les frais » (?): « Où est l’assurance de cette banque ? Elle devrait en avoir une et ce n’est pas ce SDF qui va rembourser autant avec son RSA ! » Jean-Louis G. n’a pas été assaisonné sévèrement : 6 mois avec sursis mais quand même 4530 euros à débourser, plus 500 euros pour les frais de la CRCA.
J’ai comme l’impression que la banque aura du mal à en voir la couleur, le RSA n’étant, à notre connaissance, pas saisissable.
Jules Bénard