À 25 ans, il faisait déjà le choix d’être cryogénisé à sa mort

Vivien, merci de vous présenter.

Je suis Vivien, 34 ans, de formation commerciale et ayant travaillé en banque puis en tant qu’assistant commercial par la suite. Etant atteint d’une maladie chronique, je n’ai travaillé que pendant une brève période puis ai dû me faire opérer à de multiples reprises. Ma pathologie rendant compliqué l’exercice d’une activité, je ne travaille plus.

Qu’est-ce que la Société Cryonics de France ?

La Société Cryonics de France est une association loi 1901 fondée par M. Roland Missonnier en 1966 qui en a été le président jusqu’à il y a quelques années. C’est maintenant Mme Taya Maki qui exerce cette fonction. A l’heure actuelle, elle compte une douzaine de membres et j’en suis le trésorier.

Quelle est votre histoire personnelle avec la technologie de la cryogénisation ?

J’en connaissais le concept au travers d’œuvres de cinéma et de littérature. Après avoir fait quelques recherches sur le sujet, je me suis rendu compte que cela existait effectivement dans la réalité, même si de manière moins romancée.

Comment et vers quelle année avez-vous commencé à penser à cette méthode de conservation ?

J’ai signé un contrat avec le Cryonics Institute aux Etats-Unis en 2014, juste après une énième série d’opérations et m’être dit que je n’avais pas grand chose à perdre de toute façon. Je suis maintenant membre depuis la fin d’année dernière de Tomorrow Biostasis, qui a ouvert en Allemagne/Suisse il y a 3 ans.

Tomorrow Bio est une organisation basée à Berlin qui fournit des équipes médicales prêtes à intervenir pour préserver le plus rapidement possible les corps des personnes décédées et qui se sont préalablement inscrites pour bénéficier d’une cryopréservation

Est-ce qu’il s’agit d’une démarche dont vous avez parlé à votre famille, à vos amis ? Si oui, quelle a été leur réaction ?

Je n’ai pas abordé le sujet avec ma famille mais ils savent que je suis engagé là-dedans. Je pense qu’ils comprennent bien pourquoi je fais ça mais comme la plupart des gens aujourd’hui, je pense qu’ils considèreraient la technique illusoire et je pense qu’ils tenteraient de me dissuader d’y recourir.

D’autres personnes de votre entourage sont-elles embarquées comme vous dans cet espoir de revivre un jour ?

Non, personne d’autre de ma famille ou de mon entourage direct (à ma connaissance) ne s’est investi dans ce projet.

Pourriez-vous dire quelle est la promesse que propose à ce jour une entreprise de conservation des corps par cryogénisation ? Cet engagement vaut pour combien d’années ? En clair, à quoi ressemblent les grandes lignes du contrat que vous avez signé avec l’une d’elles ?

Les organisations – qui sont pour partie des entreprises, surtout pour la partie logistique et transport et marketing, mais majoritairement structurées sous forme d’association ou fondation pour ce qui est de la préservation des personnes et leur maintien en cryopréservation – ne promettent rien, si ce n’est une obligation de moyens. En ce sens, je pense qu’elle ne trompent pas les personnes qui deviennent membres.

Il n’y a aucune durée limite à la durée de cryopréservation, si tant est que les organisations subsistent dans le temps, économiquement et légalement. Il peut y avoir ensuite des différences sur l’objectif selon les souhaits individuels des membres.

Quel est le tarif d’entrée ? Y-a-t-il des prix différents proposés en fonction des prestations ?

Les tarifs sont variables, de 28.000 $ pour la préservation du corps entier au Cryonics Institute (sans le transport néanmoins dans leur cas) jusqu’à 60.000 € pour la préservation du cerveau chez Tomorrow Biostasis/EBF et 200.000 € pour le corps entier ; 80.000 $ et 200.000 $ pour la même chose chez Alcor. La majorité des membres choisissent de couvrir ces frais en souscrivant une assurance décès, qui est peu chère lorsqu’on est jeune et en bonne santé.

Combien de sociétés proposent ce type de service dans le monde ?

Il y a douze structures dans le monde. Tomorrow Biostasis, Cryonics Germany en Europe, The Alcor Life Extension Foundation, The Cryonics Institute, TransTime, Oregon Cryonics, Cryonics America en Amérique du Nord, KrioRus, Open Cryonics en Russie, The Yinfeng Life Extension Program en Chine, Southern Cryonics et The Neural Archives Foundation en Australie.

Qu’est-il prévu le jour de votre départ ? Qui est censé s’assurer que la conservation de votre corps soit optimale pour ne pas anéantir la perspective d’une cryogénisation réussie ?

Pour préparer au mieux sa cryopréservation, il est recommandé de préparer tout ce qui est contrats/assurances, directives anticipées et testament et de les envoyer aux organisations de cryogénie ainsi, bien sûr, qu’à un notaire qui se chargera de faire respecter les volontés. En cas de maladie fatale ou si l’on sait à l’avance que l’on a de fortes chances de décéder prochainement, il est recommandé de prévenir les parties prenantes et l’organisation de cryogénie pour qu’elles soient à vos côtés, le temps entre le décès et les préparations subséquentes devant être idéalement le plus court possible.

Combien de Français ont émis à ce jour le souhait d’être cryogénisés et ont entamé des démarches sérieuses au travers de votre association notamment ?

12, probablement bientôt 14 personnes, les personnes devenant membres de notre association étant sûres de leur choix lorsqu’elles adhèrent.

Quel est le profil des personnes qui s’engagent sur cette voie de la cryopréservation ?

Je pense que c’est assez varié, comme la société en général, d’un point de vue idéologique du moins, quoi qu’il semble y avoir une surreprésentation d’hommes jeunes ayant un cursus scientifique ou de programmeurs et étant intéressés par la longévité. Un sondage avait été réalisé en 2020.

Comment jugez-vous les personnes qui viennent se renseigner auprès de votre association ? Les sentez-vous déjà très informées sur le sujet et déterminées ou alors rencontrez-vous de simples curieux ?

Pour les personnes qui nous contactent, la plupart sont sérieuses et motivées, il arrive cependant que certaines ne comprennent pas de quoi il s’agit véritablement, comme le cas récent d’une personne qui nous a contactés pour savoir si on pouvait l’aider à cryopréserver son père, mort depuis plusieurs semaines et sans que celui-ci n’ait manifesté la volonté d’être cryopréservé au préalable qui plus est. C’est suite à ça que j’ai ajouté le message d’alerte sur la page de garde du site Cryonics de France. Je souhaitais aussi indiquer que l’on n’est pas dans une démarche de type « pensée magique » ou science-fiction.

En dehors de ce cas, la plupart des personnes qui nous contactent et nos membres sont des personnes rationnelles et pragmatiques avec un niveau d’éducation élevé qui voient en la cryopréservation la seule solution technique qui existe concrètement et qui soit disponible aujourd’hui.

Dès la page d’accueil du site internet francecryonics.fr, une mise en garde attend les visiteurs sur les probables limites de la technologie de cryopréservation

Quelle est la raison profonde qui poussent ces personnes à porter leurs espoirs sur la cryopréservation ? Qu’espèrent-elles dans une autre époque ? Vivre dans un monde meilleur ?

Pour ce qui est des raisons qui nous poussent à faire ce que l’on fait, le sujet n’est en fait pas tant abordé que ça mais, de ce que je comprends et des philosophies qui se détachent, il y a des personnes comme moi qui voient en la cryopréservation un moyen rationnel, quoique très ambitieux et incertain, de pallier un problème de santé insoluble à notre époque et qui estiment qu’il est absolument intolérable d’abandonner des personnes et de considérer que leur sort est dû à la fatalité ou à dieu, qui n’existe pas (celui ou ceux de quelles religions d’ailleurs ?), mais il y a aussi des profils curieux et optimistes voire aventuriers à propos du futur et de l’humanité en général.

Depuis que vous vous intéressez à ce sujet, est-ce que des avancées scientifiques, sur l’amélioration de l’espérance de vie notamment, sont venues conforter votre choix ? 

Pour ce qui est des probabilités de succès, je dirais qu’il n’y a rien conceptuellement et physiquement qui rend le principe de la cryopréservation utopique. Il y a même des éléments anecdotiques qui tendent à démontrer que c’est techniquement possible (gamètes, embryons cryopréservés, vers nématodes cryopréservés puis réanimés avec mémoire intacte, reins de lapins puis récemment de hamsters cryopréservés puis réchauffés et réimplantés et qui ont fonctionné normalement, et la recherche sur la cryopréservation des greffons humains progresse aussi depuis quelques années.

Je pense que le blocage est plutôt d’ordre politique car il n’y a pas de financement pour la cryopréservation humaine complète qui est considérée comme pseudo-scientifique au pire et irréaliste au mieux par une majorité de chercheurs et médecins à l’heure actuelle, même si des budgets sont alloués sur la cryopréservation des organes à transplanter aux Etats-Unis depuis quelques années.

Le blocage est aussi d’ordre idéologique car s’il y a vie après la mort, au sens spirituel, alors pas besoin de cryopréservation et d’ailleurs, par corollaire, pourquoi s’embêter même avec la médecine et dans un autre domaine les guerres qui durent depuis des temps immémoriaux dont les victimes peuvent être justifiées car leurs âmes leur survivrait, et plus récemment l’aspect écologie « surpopulation » qui à mon sens est une nouvelle forme de quasi religion qui peut justifier n’importe quel sacrifice. Je pense que ces facteurs dissuadent plus ou moins consciemment les gens à chercher ne serait-ce qu’à vivre, alors essayer de vivre plus longtemps…

Parlez-nous brièvement du concept de « trust » qui permet à la personne qui souhaite se faire cryogéniser de prévoir un capital le jour – s’il arrive – où elle se réveillera ?

J’ai conscience que le coût pour un projet aussi lointain et incertain est sûrement très dissuasif aussi, d’où l’idée du trust qui est un outil d’investissement et de transmission de patrimoine qui existe dans le système anglo-saxon.

Je pense que l’accessibilité de ce système qui peut être assez souple dans son fonctionnement pourrait permettre d’investir de l’argent pour ne pas se retrouver démuni dans le cas où la réanimation deviendrait possible, mais aussi de financer la recherche et développement nécessaire aux recherches spécifiques à la cryogénie. Une petite partie des intérêts générés pourrait aussi être reversée à la famille des personnes préservées, ce qui économiquement et moralement rendrait peut-être plus acceptable les dépenses engendrées.

Dans le cas où la réanimation s’avèrerait définitivement impossible, ces mécanismes feraient qu’il subsisterait quelque chose de tangible pour les personnes vivantes. Bénéfice qui pourrait être d’autant plus grand que les investissements pourraient être faits de telle sorte qu’ils favoriseraient l’émergence d’un monde meilleur en soutenant des activités considérées comme bénéfiques à l’humanité et à l’écosystème en général, ce qui serait une approche ambivalente, qui ferait double-emploi. Si la réanimation cryogénique devient possible un jour alors ce serait tant mieux et autrement le reste ne serait pas perdu. De toute manière, je pense que la plupart des personnes qui souhaitent se faire cryogéniser ne voudraient pas se réveiller dans un monde encore plus dystopique qu’il ne l’est déjà, ça ne serait ni dans leur intérêt, ni dans celui de la majorité des gens.

Quelle a été votre réaction en apprenant que le souhait de Michel Leroy et de sa sœur avait abouti après tant d’années ?

Pour ce qui est de l’affaire Leroy, je ne suis pas persuadé qu’elle ait eu tant d’impact sur l’opinion des personnes voulant se faire cryogéniser, son cas étant encore plus particulier et exotique que celui de la plupart des « cryonicistes ». En matière d’impact psychologique, je pense que l’affaire des époux Martinot a beaucoup plus marqué les esprits puisqu’il y a eu destruction des corps suite à une décision de justice. Dans le cas de la famille Leroy, qui a obtenu ce qu’elle souhaitait, nous sommes bien évidemment contents pour elle.

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Pour les quelques cas par an – ou moins d’ailleurs juste pour la France – qui ont recours à la cryopréservation, les personnes impliquées se sont contentées de se faire transporter hors du territoire en indiquant qu’elles souhaitent se faire inhumer dans les pays où les organisations cryogéniques sont présentes, ce qui est légal et le plus simple, comme expliqué par Me Dugoujon d’ailleurs.

Votre association a-t-elle pour ambition de faire évoluer la législation en France afin de faciliter ce type de démarches peu communes ?

Nous essayons effectivement de faire évoluer la situation légale grâce à une avocate qui souhaite nous aider et aussi d’améliorer la prise en charge des personnes qui souhaitent être cryopréservées grâce à une équipe d’intervention qui se chargera des préparations post-mortem et de transport qui sera constituée par des membres de notre association, dont depuis récemment un médecin.