Car ce vendredi, tous deux étaient sur le banc des prévenus du tribunal correctionnel de Saint-Denis, poursuivis pour homicide et blessures involontaires. Mais plutôt que de faire amende honorable et d’exprimer leur compassion envers les trois victimes, une tuée sur le coup et les deux autres blessées, les deux hommes n’ont cessé de se renvoyer la balle afin que l’autre endosse toute la responsabilité de ce tragique accident.
Pour Armon Incana, c’est son chauffeur qui, du fait de sa conduite aux multiples freinages, a provoqué une surchauffe des freins qui n’ont pas bien fonctionné lorsqu’il a fallu réduire la vitesse en vue de l’embouteillage qui s’était formé à la sortie de la tranchée couverte de Saint-Paul. Aux questions de la présidente de l’audience, des assesseurs et des avocats de la partie civile, le patron de la société de transport qui livrait des roches dans le cadre de la construction de la nouvelle route du littoral n’en a pas démordu et n’a jamais voulu admettre la moindre défaillance de son camion. Un camion qui malgré l’affichage de ses 43.000 km au compteur en comptait en réalité plus d’un million. L’engin acheté d’occasion était entretenu par le patron lui-même, titulaire d’un BEP mécanique. Avec l’aide de Dimitri Toupin, ils changeaient par exemple les plaquettes de frein ou les tambours.
« Ne parle pas des freins »
« Quand je l’ai appelé pour lui dire que j’avais eu un accident, la seule chose qu’il m’a demandée, c’est de ne pas parler des freins« , raconte à son tour Dimitri Toupin, embauché chez Incana deux ans et huit mois auparavant. Effectuant la troisième rotation de la matinée au moment des faits, celui-ci roulait au dessus de la vitesse limite alors qu’un bouchon avait été signalé en amont sur un panneau de signalisation. Le chauffeur n’avait pas rétrogradé ni eu le temps, ou la présence d’esprit, de se diriger vers le bac à sable afin d’éviter le camion qui se trouvait devant lui. Celui-ci avait été soulevé par le choc et avait écrasé la Twingo dans laquelle se trouvaient les deux étudiantes, Amandine et Sarah.
« Ils se défaussent, se dédouanent, se renvoient la balle mais ce sont les seuls responsables », assène la représentante de la société. A Armon Incana, Domitille Descampiaux reproche d’avoir mis à disposition un véhicule défectueux, dont l’entretien était inexistant et pour lequel les pièces présentaient un état d’usure avancé. Une seule roue sur les quatre freinaient, un essieu était hors d’usage. Pire, le système de freinage additionnel avait été débranché. « C’était un tombeau roulant », a tancé la procureure, requérant 2 ans de prison avec sursis et 5 ans d’interdiction d’exercer.
Le chauffeur déjà verbalisé pour téléphone au volant
Quant à Dimitri Toupin, le ministère public estime que sa conduite et sa vitesse de 67km/h n’étaient pas adaptées à la circulation. « Vous n’avez rien anticipé. Vous n’avez pas rétrogradé. Vous étiez au téléphone avant d’amorcer la descente alors que vous aviez été verbalisé quelques jours auparavant pour téléphone au volant », rappelle Domitille Descampiaux avant de requérir 3 ans de prison, dont 18 mois avec sursis, une annulation de permis de conduire et l’interdiction de le repasser avant un an.
La relaxe demandée
Avant de trancher, le tribunal qui a annoncé qu’il rendrait sa décision le 21 février prochain, devra prendre en compte les arguments de la défense. Ceux de Me Jacques Hoarau pour Armon Incana qui a plaidé la relaxe, indiquant que c’était l’expertise automobile réalisée en 2018 qui devait être prise en compte. « Celle-ci démontre que le chauffeur a tardé à actionner les freins et que l’instabilité du système de freinage n’a pas eu d’incidence sur l’accident ».
« Il avait raccroché son portable trois minutes avant le choc », a assuré Me Fabian Gorce pour les intérêts de Dimitri Toupin. La robe noire a par ailleurs insisté sur le fait que l’état de la remorque était pourri et que le chauffeur ne pouvait pas le savoir. « Le lien de causalité entre la vitesse excessive et l’accident n’a pas été démontré ainsi que l’inattention de mon client », a déclaré le conseil avant de demander aux magistrats de prononcer la relaxe.