Ce roman historique, attachant à plus d’un titre, rappelle aux Réunionnais un pan quelque peu ignoré de notre histoire. Au travers des aventures personnelles et sociales de personnages qu’on se prend vite à aimer, Jocelyne Le Bléis nous répète fort à propos, en ces jours pénibles où l’on cherche à tout prix à justifier l’injustifiable (je vous parle de la NRL), comment s’est construit notre premier tunnel et surtout, à qui on le doit.
On le doit au courage et à l’immense savoir-faire d’ouvriers de la roche venus des quatre coins du monde ; parmi ceux-ci, il y a eu ces fameux Piémontais, ceux-là mêmes qui avaient creusé les tunnels du Saint-Gothard et du Mont-Cenis. Il fallait des hommes capables de venir à bout de ce basalte « dur comme du fer », à coups de pics, de pioches, de pelles et… à grands coups d’explosifs.
Les éboulements, les déflagrations, ont causé leurs lots de morts parmi ces hommes courageux, qui pensaient tous au jour où ils rentreraient « au pays », fortune faite. Exactement comme leurs compatriotes exilés aux USA, nourrissant le même rêve fou. Rêve qui, pour nombre d’entre eux, ne se réalisera jamais.
Plusieurs de ces creuseurs de roche nouerons des amitiés, des amours ici. C’est toute la trame sentimentale qui vivifie cet ouvrage au fil de chapitres très joliment enlevés : Jocelyne Le Bléis écrit une très belle langue française et ce n’est pas le moindre mérite de ce roman que de nous rappeler combien est belle notre langue française !
On demeure stupéfait en apprenant, grâce à la préface de l’ami Boulogne, qu’il n’a fallu « que » moins de trois années pour venir à bout de cette oeuvre ; laquelle paraissait (et était) titanesque au premier abord. Rien n’a été négligé et l’auteur s’appuie sur une très solide documentation. Mais, et là est son tour de force, tout en nous donnant à comprendre combien l’oeuvre fut ardue, jamais madame Le Bléis ne tombe dans le piège de la pédagogie – elle qui fut professeur, bravo !
On sent vivre, autour et avec ces ouvriers venus du froid, tout un petit peuple créole avec ses heurts, ses peines, ses petits plaisirs.
Je sais, parce qu’on me l’a maintes fois lancé au visage, que le roman historique est souvent considéré comme « genre mineur » par de soi-disant beaux esprits. À ces prétentieux, je dirai « trape deux ti bois et allez batte… » Dans ce genre littéraire, nous sommes en très bonne compagnie, avec les Hugo, les Scott, les… Le Bléis.
Allez vite acquérir cette petite merveille ! Il devrait vite devenir un incontournable de notre littérature réunionnaise.
« Des fenêtres sur l’océan »
Jocelyne Le Bléis, éditions Orphie
18 euros en librairie.