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Jean Auroux (ex-ministre du Travail): « L’Allemagne c’est 800.000 minijobs à 1€ de l’heure »

La première semaine réunionnaise de la prévention des risques professionnels s'achève ce vendredi. Il y a tout juste 30 ans, une série de lois allaient bouleverser le monde de l'entreprise. Ministre du Travail de 1981 à 1982, Jean Auroux aura, en si peu de temps, réussi à marquer de son empreinte le début du premier septennat de François Mitterrand. Comités d’hygiène et de sécurité, meilleure représentativité du personnel au sein de l'entreprise, obligation des négociations annuelles ou encore passage aux 39 heures en 1982, Jean Auroux a revisité le droit du travail pour ne répondre qu'à une seule préoccupation : "faire des travailleurs des acteurs de leur entreprise". C'est avec un regard lucide qu'il revient pour nous sur la frénésie des années 81-82 pour mieux juger le monde du travail, et ses risques, en 2012.

Ecrit par zinfos974 – le vendredi 31 août 2012 à 16H16

Zinfos : Rappelez-nous dans quelles conditions les lois qui portent votre nom ont été votées en 1982. La gauche venait de prendre le pouvoir. Une certaine euphorie devait accompagner l’élaboration de ces lois ou était-ce l’urgence qui prévalait ?

Jean Auroux : En 1981, la gauche arrivait au pouvoir après 23 ans d’absence – une génération ! C’est dire le poids des attentes du monde du travail, d’où la priorité et le soutien qui ont été apportés à ma réforme du Code du travail puisque toutes les lois ont été préparées en 1981 et votées en 1982 malgré l’opposition de droite dont une partie dénonçait ma volonté d’introduire des « soviets » dans les entreprises !

Quel avait été l’accueil du patronat à l’annonce de votre rapport, remis au Président Mitterrand, qui préfigurait d’un projet de loi ?

Le patronat était opposé à ces réformes, pour des raisons diverses : peur de perdre son pouvoir dans l’entreprise (ce qui était faux, car si je souhaitais renforcer les institutions représentatives, je confirmais « l’unité de direction »), peur du droit d’expression, peur du coût (le 0,2% pour les Comités d’Entreprise) etc… Attitude conservatrice « classique »!

Les Lois Auroux avaient pour ambition de (re)donner une part active aux travailleurs au sein de leur entreprise. Ce pari est-il, de ce que vous constatez, un pari tenu en 2012 ?

Je souhaitais- et je souhaite toujours – que « l’entreprise ne soit pas le lieu du silence des hommes et du bruit des machines » et que par conséquent les travailleurs y soient reconnus comme « citoyens » et comme « acteurs du changement » pour un progrès économique et social partagé. Un certain nombre de progrès ont été accomplis mais de façon très inégale : ainsi le droit d’expression a été souvent abandonné et la politique contractuelle que j’appelle de mes voeux n’a pas eu l’ampleur escomptée, ni même, et je le regrette beaucoup, les adhésions syndicales.

Un syndicalisme pacifié à l’allemande est souvent porté en exemple. Est-ce que le droit du travail chez nos voisins est-il si enviable ?

Chaque pays a sa culture, ses traditions et ses institutions. Ainsi l’Allemagne pratique la « cogestion » qui rend les conflits sociaux moins fréquents mais ce pays compte aussi 800.000 « minijobs » payés à 1 euro de l’heure ! Et le travail à temps partiel imposé y est massif sans oublier une retraite à 65 ans et prévue à 67 ans ! Il est important de tout regarder quand on fait les comparaisons.

Si vous étiez dans la peau d’un conseiller du ministre du Travail actuel, sur quelle partie des droits du travailleur lui conseilleriez-vous de porter l’accent ?

Aujourd’hui la priorité absolue est l’emploi, des jeunes notamment, qualifiés ou non, il faut donc comme le fait le gouvernement jouer sur tous les leviers possibles dans une situation de crise sans commune mesure avec les difficultés que j’ai rencontrées en 1981. Droit au travail, droit à la sécurité de l’emploi, cela passe par une mobilisation et le compromis entre tous les acteurs de la société, avec, pour ma part, une évolution pour un meilleur partage du pouvoir économique en particulier sur la stratégie de l’entreprise. A cet égard la présence et le droit de vote des salariés dans les instances dirigeantes me semble plus que légitime. En outre, qu’il me soit permis de souligner l’intérêt de développer « l’économie sociale » (un homme = une voix) qui a vocation à être l’alternative à l’ultralibéralisme. J’ajoute un point qui me tient à coeur, le renforcement du rôle des CHSCT créés le 23 décembre 1982 alors qu’on ne parlait pas encore de TMS*, de risques psycho-sociaux, d’amiante ou de suicides; conjuguées avec le droit d’expression relancé. Ces instances doivent agir pour protéger la santé des travailleurs.

La prédominance d’un actionnariat de plus en plus impatient a tendance à réduire les marges de manoeuvre du dirigeant au détriment des salariés. Le tableau est-il aussi simpliste ? Quel remède apporter pour rééquilibrer les intérêts de chaque partie ?

Il faut repenser l’actionnariat : il existe un vrai actionnariat, celui d’investisseurs sérieux qui connaissent, suivent et accompagnent durablement la vie de l’entreprise, ceux-là doivent avoir un droit de vote et des dividendes raisonnables. Par contre, les actionnaires d’un jour, qui ne sont en fait que des spéculateurs voire des prédateurs, n’ont pas vocation à voter et décider, ainsi, pour leur simple profit, du destin des travailleurs et de leur territoire.

Vous avez vécu de l’intérieur l’impatience dans la population suscitée par l’accession de la gauche au pouvoir en 81. Comment jugez-vous, tant sur la forme que sur le fond, les 100 premiers jours du duo Hollande-Ayrault ?

La situation de 2012 est infiniment plus difficile qu’il y 30 ans. D’abord le poids de la dette alourdie par la gestion récente (+ 600 milliards), ensuite une crise mondiale d’une ampleur méconnue, enfin un chômage massif, c’est pourquoi la démarche entreprise de discussions, de négociations et de mobilisation est conforme à une vraie pratique démocratique. On ne peut corriger une telle situation en quelques semaines, personne ne peut ni le faire ni le contester de bonne foi. Pour ma part, j’ai toujours choisi d’être discret pour avancer durablement et solidement contrairement à d’autres dont le verbe est facile mais l’action nulle.

Une certaine Martine Aubry était à vos côtés au ministère du Travail en 1981-82. Elle a complété « vos » 39H par « ses » 35H en 1999 avant que cette mesure ne soit démantelée par le gouvernement Fillon. Dans quelle combinaison gagnante cette baisse du nombre d’heures travaillées peut-elle être viable, tant pour l’employé que l’employeur ?

La question de la durée du travail est un peu occultée aujourd’hui par la crise mais les progrès des technologies et les capacités de production massives et de plus en plus robotisées reposeront tôt ou tard le problème de la réduction du temps de travail. Imaginons combien d’emplois ne seraient pas créés si on revenait aux 40 heures par semaine! Le problème est évidemment dans une économie de concurrence sauvage et d’échanges non régulés.

Malgré votre retrait de la vie politique, continuez-vous à parcourir la France pour y dispenser de votre expérience passée au sommet de l’Etat ?

La politique, ce n’est seulement un mandat électif c’est aussi le débat et l’échange avec les autres acteurs et tous les citoyens du pays pour poursuivre sur le chemin d’un progrès partagé. C’est donc au niveau des idées et des projets que je poursuis ma vie militante.

*les troubles musculo-squelettiques

 

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