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Une start-up locale « écoute » les fissures de la roche et du bâti réunionnais

L'île de La Réunion est jeune. Cette jeunesse se caractérise au niveau géologique par des mouvements de terrain assez rapide, certes à l'échelle géologique. Comment justement appréhender ces phénomènes quasiment imperceptibles qui peuvent parfois mener à des catastrophes de grande ampleur. Les outils techniques progressent. Jean-Christophe Habot, le directeur de la start-up Feelbat, présente ses capteurs de fissures et d'inclinaison imaginés autant pour les spécialistes que les particuliers.

Ecrit par Samuel Irlepenne – le dimanche 26 mars 2023 à 13H49

Qu’est-ce que Feelbat ?

Créé en 2020, Feelbat est né des suites d’un constat d’effondrement sur les bâtiments ou de mouvements de structures où il fallait avoir des moyens et des outils pour suivre simplement ces mouvements, via un outil plug and play (NDLR : brancher et utiliser). Feelbat a pour ambition de devenir la start-up IoT (internet des objets) plug and play qui va toucher le bâti, les ouvrages et même l’environnement pour donner, à portée de main, aussi bien pour les professionnels que les particuliers, des outils pour pouvoir massifier ces données. Actuellement, ce genre d’outil est assez onéreux et difficile à appairer et nous avons voulu casser cette barrière-là pour donner l’accès à tout le monde simplement.

Comment évolue Feelbat depuis sa création ?

Après un an et demi de recherche et développement, nous avons lancé nos premiers capteurs de fissures et d’inclinaison en septembre/octobre 2021 et vendu depuis cette date plus de 1.000 capteurs. Nous touchons plus de 180 clients en métropole, à La Réunion mais aussi à l’étranger comme en Belgique, dans des secteurs variés comme les bureaux d’étude, le BTP, l’expertise judiciaire ou d’assurance. Nous avons conçu pour eux des capteurs compacts, faciles à poser, peu visibles et bien sûr faciles à connecter à distance avec leur téléphone portable.

Notre start-up a participé à plusieurs concours et les derniers sur lesquels nous avons été retenus étaient orientés sur l’IoT comme l’IoT Business Hub, qui récompense les meilleures solutions IoT présentes sur le marché, ou encore le concours Innovation Outre-Mer qui récompense les start-up qui font briller les Outre-Mer, sans oublier les Connect Awards. Ce prix récompense tout ce qui est IoT mais pour le coup c’était pour le prix de la start-up de l’année nous concernant.  

Qui fait appel à vos services dans l’île ?

Nous travaillons essentiellement avec de gros organismes comme le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) et l’ONF (l’Office national des forêts), mais aussi avec des sociétés ayant participé au chantier de la NRL. En métropole nous avons différents clients liés aux experts, aux grands bureaux d’études.

Êtes-vous les seuls sur ce créneau ?

On est la seule start-up au monde à proposer des capteurs plug and play. Après dans le domaine de l’IoT, je n’ai pas en tête de société qui fait ce que nous faisons aussi bien en matière de software que hardware. En revanche, au niveau national, dans ce domaine-là il y en a très très peu et ce sont de grosses sociétés et qui restent dans le même sillon de la difficulté de mise en oeuvre des capteurs.

Quelles différences entre les capteurs sismographiques actuels comme ceux du BRGM ou de l’Observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise et vos capteurs de fissures et d’inclinaison ?
 
Les capteurs que nous proposons sont simples et abordables financièrement, ils sont plug and play. Par rapport aux capteurs du BRGM ou de l’Observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise qui ne mesurent que les vibrations, des modes propres ou des changements d’étape, les nôtres mesurent plus spécifiquement les variations de mouvements de fissures et de fractures.

Qu’ont permis de relever vos capteurs sur le terrain ? Que permettent-ils d’anticiper ?

Depuis un an nous suivons le Maïdo. Nos capteurs ont permis de suivre les évolutions du Maïdo et son évolution dans le temps par rapport aussi bien au changement climatique, à la saison des pluies mais aussi lors du passage du cyclone Freddy. Actuellement, nous travaillons avec l’ONF sur le belvédère du Trou de Fer et Grand Bassin.

Pour répondre à la seconde question, nos capteurs suivent le comportement d’une structure et permettent de savoir à l’avance si le bâti va revenir à sa position initiale après un épisode climatique ou autre extérieur. S’il ne revient pas dans son état, cela veut dire qu’il y a eu quelque chose d’impactant pour la structure. À La Réunion, cela va être la saison des pluies ou un cyclone qui va passer tandis qu’en métropole cela va être davantage des problèmes liés à la sécheresse sur les RGA (NDLR : retrait-gonflement des argiles) où on va pouvoir analyser des cycles et savoir si le comportement de la structure est cohérent ou s’il est en train de se dégrader.

Sur l’ensemble des sites, nous avons un mix d’une centaine de capteurs, répartis sur une dizaine de sites. Par exemple sur le belvédère du Trou de Fer, c’est un capteur d’inclinaison tandis qu’à Grand Bassin on a un mix des deux. Sur le bloc rocheux on va analyser des relâchements locaux d’une faille tout en mesurant l’orientation et la variation de ce bloc rocheux, tout ça dans l’objectif de faire de la prévention et anticiper.

Au vu de sa formation géologique, j’imagine que vous avez de quoi faire à La Réunion…

Non seulement nous avons de quoi faire mais surtout nous avons développé une gamme de produits qui vont être davantage orientés risques naturels, blocs rocheux ou encore mouvements de structures naturelles.

Pouvez-vous nous décrire plus en détail votre capteur de fissures ?  

L’objectif de base a été de se dire qu’il fallait un produit de petite taille, facile à poser, discret, résistant à la poussière et à l’humidité, et connecté. C’est un système qui comprend tout dedans : il y a la carte électronique, un capteur, une batterie et tout est dans le même élément sans avoir de fils. La règle c’est « ma fille a 10 ans, il faut qu’elle arrive à l’utiliser avec son smartphone ». Je souhaite que le bricoleur du dimanche qui fait deux trous dans son mur puisse poser un capteur s’il a envie de le poser. En rendant abordable ce système à des personnes non compétentes dans ce domaine, on allait toucher un maximum de personnes même chez les non professionnels.

Comment se déroule la pose d’un capteur de fissures ou d’inclinaison ?

C’est très simple, le capteur se met toujours au droit d’une fissure pour un capteur de fissures, qui mesure une distance. On perce un trou de part et d’autre de cette fissure à 16 cm et on pose le capteur en le serrant avec deux écrous et il est fixé.

Pour un capteur d’inclinaison, on le pose sur un mur, qu’il y ait fissure ou pas, cela n’a pas d’importance puisqu’il s’incline avec le mur quand ce dernier bouge. Il est similaire à un niveau à bulles mais sur un axe X et un axe Y.
 

Que vous reste-t-il à améliorer sur vos capteurs, que ce soit au niveau du software que de l’hardware ?

Les deux points importants d’un produit IoT sont sa durabilité et la connectivité. Nous travaillons sur la seconde version des capteurs avec notre développeur informatique pour améliorer l’antenne de nos capteurs ainsi que leur batterie via une mise à jour du firmware. Les prochains capteurs que nous développerons vont se baser plutôt sur d’autres domaines que les fissures ou les inclinaisons.

Comment voyez-vous l’évolution de Feelbat dans les prochaines années ?

Cela va aller très vite. Nous avons une forte progression de notre chiffre d’affaires et nous sommes en pleine recherche et développement sur de nouveaux capteurs liés, eux, à l’humidité et qui pourront être posés via des drones. D’ici la fin de l’année, nous visons le marché européen et mondial, et pourquoi pas faire une levée de fonds. Notre technologie n’a pas de barrières car elle est simple d’usage : il suffit juste d’adapter le langage.

La start-up Feelbat souhaite rester à La Réunion car nous avons ici un vivier de jeunes et moins jeunes professionnels dans l’informatique. Nous comptons embaucher de plus en plus de personnes dédiées au software et développer la R&D entre la métropole et La Réunion.

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