Au début des années 1960, La Réunion est partagée en deux clans : les Départementalistes d’un côté emmenés par Michel Debré qui souhaitent un développement de l’île au travers d’une plus grande assimilation avec la métropole, et les Autonomistes, dont le leader était Paul Vergès, qui souhaitait permettre aux Réunionnais de diriger leur pays et que les ténors de la Droite suspectaient en fait de dissimuler son véritable objectif, l’indépendance.
L’autonomie puis l’indépendance?
Il est vrai que cette division n’était que le reflet localement du partage du monde en deux blocs : les occidentaux et les communistes. L’URSS et divers pays comme la Libye de Mouammar Kadhafi incitaient à l’époque les pays colonisés à s’affranchir de leurs tutelles, quitte à financer les mouvements indépendantistes. La Réunion en faisait partie.
Le pic de ce combat pour l’autonomie de La Réunion est sans doute atteint en août 1971, lorsque les partis et organisations autonomistes de La Réunion, de la Guyane, de la Guadeloupe et de la Martinique, réunis en convention à Morne-Rouge (Martinique), réclament l’autonomie pour les quatre départements d’outre-mer. Il revient alors à Paul Vergès en tant que rapporteur de cette convention, de lire la déclaration finale :
Les peuples des quatre territoires de La Réunion, de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique, constituent par leur cadre géographique, leur développement historique, leurs composantes ethniques, leur culture, leurs intérêts économiques, des entités nationales, dont la réalité est diversement ressentie dans la conscience de ces peuples : en conséquence, nul ne peut disposer d’eux, par aucun artifice juridique : ce sont ces peuples eux-mêmes, qui démocratiquement et en toute souveraineté détermineront leur destin.
Mitterrand a tué l’autonomie avec la décentralisation et l’égalité sociale
L’arrivée au pouvoir de François Mitterrand va porter un premier coup à l’idée d’autonomie dès lors que le nouveau président de la République mettra en place dès 1986 une politique de décentralisation avec un « rattrapage » dans le domaine de l’égalité sociale, c’est-à-dire un rattrapage progressif des diverses prestations sociales entre la Métropole et les DOM.
Constatant que l’idée d’autonomie est de moins en moins populaire auprès des Réunionnais qui voient de plus en plus d’avantages à la départementalisation, Paul Vergès abandonne définitivement ce mot d’ordre au début des années 90 au profit de celui de l’Egalité et du Développement ».
Tout le monde pensait cette revendication morte et définitivement enterrée. C’était une grossière erreur.
L’autonomie, une revendication qui ne vient pas des manifestants
La Guadeloupe, rejointe entre-temps par la Martinique, est secouée depuis une quinzaine de jours par une grève générale. Barrages routiers la journée et véritables scènes d’insurrection la nuit, avec notamment des tirs à balles réelles, à plusieurs reprises, sur les forces de l’ordre et les journalistes. Plusieurs policiers et gendarmes ont été blessés.
A aucun moment la revendication d’autonomie n’a été mise en avant par les syndicats ou les manifestants. C’est lors des négociations avec les partis politiques que l’un d’entre eux, La Guadeloupe Unie Solidaire et Responsable, avancera cette proposition.
L’un des principaux responsables de la Guadeloupe Unie est Ary Chalus, brillamment réélu président de la Région cette année avec plus de 72% des suffrages, faisant de l’archipel la seule région de France remportée par La République en Marche. Après avoir siégé comme membre du bureau exécutif de La République en Marche (LREM) depuis 2017, il semble avoir pris ses distances depuis peu avec le parti macroniste.
C’est donc ce parti, et lui seul, qui lors des négociations avec le gouvernement a évoqué l’autonomie comme solution pouvant permettre selon lui d’envisager une sortie de crise.
Sébastien Lecornu saute sur l’idée comme un chien affamé sur un os
Et à la surprise générale, Sébastien Lecornu a sauté sur l’occasion, comme un chien affamé sur un os, pour affirmer que le gouvernement était « prêt à en parler » et qu' »il n’y a pas de mauvais débats du moment que ces débats servent à résoudre les vrais problèmes du quotidien des Guadeloupéens ».
En faisant une telle déclaration, notre ministre des Outre-mer, qu’il me pardonne ma franchise, dit n’importe quoi. Depuis quand un changement de statut a-t-il réglé un quelconque problème ? Au contraire. Il ne fait que relancer des débats interminables, alors que les autres problèmes sont occultés. Et ils n’apportent pas de solution réelle. La Martinique a par exemple testé la solution de l’assemblée unique. En quoi cela a-t-il permis un développement plus important de la Martinique par rapport à La Réunion? C’est tout le contraire qui s’est produit.
Les défauts de la décentralisation et de l’autonomie
La décentralisation a certes des avantages, nul ne peut le nier. Normalement, des élus implantés localement devraient mieux connaître les problèmes que de hauts fonctionnaires métropolitains récemment débarqués.
Mais il ne faut pas non plus occulter les défauts de ce système, avec l’arrivée au pouvoir d’élus qui n’ont pas le niveau suffisant pour gérer des collectivités qui brassent des milliards. Les diverses faillites de SEM et les déficits abyssaux de certaines collectivités sont là pour en témoigner.
Les récentes élections dans les communautés d’agglomérations en sont une autre illustration avec un partage des postes non pas en fonction des compétences de chacun, mais en fonction du poids politique de son parti. Quand certains postes n’ont pas été « achetés » grâce à des promesses de soutiens à de futures élections…
Et je préfère ne même pas parler de la corruption qui sévit à tous les étages.
Des caprices d’enfants gâtés
Alors pourquoi diable Emmanuel Macron a-t-il ressorti des oubliettes cette revendication d’autonomie? Je n’y vois qu’une explication : il en a plus que marre des caprices d’enfants gâtés des Guadeloupéens. Excédé, il a fini par leur dire : « Vous voulez votre autonomie, prenez-là ».
Soit. A la limite, on peut le comprendre. Mais a-t-il conscience que ce faisant, il ouvre aussi la porte de l’autonomie dans d’autres DOM ? Le message qu’il envoie à quelques militants extrémistes est tout aussi clair : mettez votre île à feu et à sang pendant 15 jours et vous pourrez vous aussi peut-être obtenir l’autonomie. Même si une énorme majorité de la population est contre.
Bravo M. Macron !
La Réunion a besoin de stabilité pour assurer son développement économique, et donc la création d’emplois, pas d’une réouverture du débat sur l’autonomie.
Au fait, Sébastien Lecornu a annoncé la création de 1000 emplois aidés pour les jeunes. Combien pour La Réunion ? Voilà un sujet intéressant dont il conviendrait que nos élus se saisissent. Plutôt que de se battre pour des chimères.