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Petite précision sur les différentes graphies du créole Réunionnais

Depuis quelques jours le débat sur la graphie du créole enflamme les passions. À tord certains attribuent la graphie (tangol) proposée par Axel Gauvin comme celle représentant la KWZ. Pourquoi une telle désinformation? Pourquoi jouer sur les peurs? Pourquoi insulter un homme qui milite pacifiquement à la création d’une graphie du créole réunionnais? Je précise […]

Ecrit par Boubou – le lundi 08 novembre 2010 à 15H20

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Depuis quelques jours le débat sur la graphie du créole enflamme les passions. À tord certains attribuent la graphie (tangol) proposée par Axel Gauvin comme celle représentant la KWZ. Pourquoi une telle désinformation? Pourquoi jouer sur les peurs? Pourquoi insulter un homme qui milite pacifiquement à la création d’une graphie du créole réunionnais? Je précise que je ne connais pas Axel Gauvin et que je ne suis pas un partisans de la graphie tangol. J’invite tout les détracteurs de la langue créole à lire attentivement ce qui suit.

A ce jour, il existe quatre graphies du créole réunionnais. La graphie étymologique, lékritir 77 « l’écriture 77 », la graphie de 1983 dite KWZ et enfin celle de 2001 dite Tangol (Gauvin and co).

Pour démonstration, le texte proposé est un extrait de Ti Louis, un roman en langue créole de l’écrivain réunionnais Daniel Honoré. Le texte à été écrit, à l’époque, dans une graphie « étymologique ». Il s’agit d’un extrait de texte en créole traduit en français et sa transcription dans les différentes graphies (fait par le magazine nout lang « notre langue »):

Traduction Française du texte (je l’ai traduit en français):

P’tit Louis a un livre sur la nourriture de France : là-dedans, on y parle de vin, de fromage. Tout ça est utile parce que des fois il y a des discussions entre normaliens sur quel vin choisir pour la viande rouge ou le poisson, sur quel fromage va avec tel ou tel plat. Si tu ne sais pas, t’es bien emmerdé. Pour p’tit Louis, tout ça est très important. Comme il le dit souvent : « un futur instituteur –celui qui met debout- se doit d’être un exemple pour le peuple qu’il a la charge d’éduquer ! ».

Transcription dans la graphie étymologique:

Ti louis nana in liv’ si la nourritir en France : la-dans y parle do vin, fromaze, tout ça la… lé itile, parce que souvent des fois, nana d’diskission ent’ band’ normalien si quel vin y convient mié ec la viand rouz ou sans ça ec poisson, si quel fromaze y va mié avec tel-tel plat. Si wi conné pas, ou lé bien emmerdé. Et pou ti Louis tout ça lé très important. Comme li di souvent dès fois : « un futur instituteur –celui qui met debout- se doit d’être un exemple pour le peuple qu’il a la charge d’éduquer !”.

Transcription dans la graphie 77

« Ti loui nana in liv si la nouritir an France : la-dan i parl do vin, fromaz, tousala… lé itil, pars souvandéfoi, nana d’diskision rant bann normalien si kèl vin i konvien mié èk la viann rouz ousansa èk poisson, si kèl fromaz i va mié avèk tèl-tèl pla. Si wi koné pa, ou lé bien anmèrdé. E pou ti Loui tousa lé trè inportan. konm li di souvandéfoi : « un futur instituteur –celui qui met debout- se doit d’être un exemple pour le peuple qu’il a la charge d’éduquer ! ».

Traduction dans la graphie dite KWZ (1983)

Ti lwi nana in liv si la nouritir an France : la-dan i parl do vin, fromaz, tousala… lé itil, pars souvandéfwa, nana d’diskisyon rant bann normalyin si kèl vin i konvyin myé èk la vyann rouz ousansa èk pwason, si kèl fromaz i va myé avèk tèl-tèl pla. Si wi koné pa, ou lé byin anmèrdé. E pou ti Lwi tousa lé trè inportan. konm li di souvandéfwa : « un futur instituteur –celui qui met debout- se doit d’être un exemple pour le peuple qu’il a la charge d’éduquer ! ».

Traduction dans la graphie Tangol (2001)

Ti loui nana in liv sï la nouritïr an France : la-dan i parl dovin, fromaž, tousala… lé ïtil, pars souvandéfoi, nana d’diskïsion rant bann normalien sï kèl vin i konvien mië èk la viann rouž ousansa èk poisson, si kèl fromaž i va mië avèk tèl-tèl pla. Si wi koné pa, ou lé bien anmèrdé. E pou ti Loui tousa lé trè inportan. kõm li di souvandéfoi : « un futur instituteur –celui qui met debout- se doit d’être un exemple pour le peuple qu’il a la charge d’éduquer ! ».

J’ai repris ci-dessus les différentes graphies du même texte telles qu’elles ont été présentées dans le magazine Nout lang. (CELESTIN, Frédérick (sous la dir.), Politique linguistique et rényonité, La Reunion, Nout lang, 2002)

Toutes les graphies proposées s’inspirent de celle du français. Elles en ont les traits principaux :

Le digraphe ou pour la voyelle [u], spécialité unique de l’orthographe du français.
Exemple : nouritir [nuritir] pour « nourriture », souvan [suvã] pour « souvent ».

Les caractères à accent é et è pour les voyelles d’avant mi-fermée et mi- ouverte. Exemple : lé [le] pour « est » ou kèl [kel] pour « quel ».

L’usage de digraphes voyelle+n pour noter les voyelles nasales, comme an pour [ã]. Exemple : souvandéfoi [suvãdefwa] pour « souvent, des fois ». – Et en particulier de noter le [e] nasalisé par in.

Cette convention est aussi une spécialité du français.
Outre cela, toutes notent assez correctement les points par où le créole se distingue du français, comme le [i] à la place de [y]. Exemple : nouritir [nuritir] au lieu de [nurityr] pour « nourriture ».

Les différences avec la graphie française

La graphie étymologique:

La première transcription, l’étymologique, maintient la plupart « des lettres muettes » de l’orthographe historique du français.
Exemple : des fois pour [defwa].

Elle en fait pourtant disparaître certaines, ainsi band au lieu de l’orthographe classique bande pour [bãn]. On considère peut-être que le mot est trop différent par son sens du mot français d’origine.
Elle les fait disparaître aussi quand la réalisation phonétique est trop différente de celle du mot français d’origine, ainsi mié au lieu de l’orthographe classique mieux pour [mje].

Regardons le texte de plus près :

« Ti louis nana in liv’ si la nourritir en France : la-dans y parle do vin, fromaze, tout ça la… lé itile, parce que souvent des fois, nana d’diskission ent’ band’ normalien si quel vin y convient mié ec la viand rouz ou sans ça ec poisson, si quel fromaze y va mié avec tel-tel plat ».

La graphie étymologique telle qu’elle est présentée dans le magazine Nout lang (texte original de l’auteur) n’est pas très logique dans le sens où elle ne respecte pas, justement, une norme « étymologique ».
Pourquoi écrire in au lieu de un, nourritir au lieu de nourriture ? Do vin au lieu de de vin, fromaze au lieu de fromage, itile au lieu de utile, discussion au lieu de diskission, entre au lieu de ent’ ? Etc.

La logique aurait été d’écrire le petit texte comme ci-dessous :

« Petit louis nana un livre sur la nourriture en France : là-dedans y parle de vin, fromage, tout ça la… l’est utile, parce que souvent des fois, nana discussion entre bande normalien sur quel vin y convient mieux avec la viande rouge ou sans ça avec poisson, sur quel fromage y va mieux avec tel ou tel plat ».

Si l’on veut une graphie proche de celle du français, allons au bout de la logique. Écrivons le créole avec l’orthographe et la grammaire de celle-ci. Le problème est que les partisans de l’écriture étymologique savent que la grammaire et l’orthographe du français, si on la suit à la règle, ne reflète pas le créole des Réunionnais, d’où les in pour un, les ent’ pour entre etc.

Si en créole on dit in kaz (ou inn kaz), en français on dit une case ou plus précisément, dans le cas de ma traduction, une maison. Une case en français prend plus généralement le sens de compartiment ou encore le sens de la case de l’échiquier.
Dire mi sava la kaz ne se traduit pas en français par je vais à la case mais plutôt par je vais à la maison ou encore je rentre chez moi.

La graphie phonologique de 1977

La graphie de 1977 a fait l’objet d’une codification par des militants culturels et des intellectuels. Cette transcription du créole est assez phonologique, c’est-à-dire en principe il devrait y avoir une seule convention pour une même articulation, et toujours la même convention pour la même articulation.
Cependant, elle maintient les conventions de l’orthographe française, dans tous les cas mentionnés au début de ce point plus oi pour [wa], et ss pour [s] dans certaines positions. Ce qui interroge, pourquoi poisson mais diskision ?

En outre elle garde de l’orthographe classique du français, la confusion entre [i] voyelle et [j] semi-voyelle, toutes deux notées par la lettre i.

Exemple : diskision, mié. Dans ces exemples on ne peut pas deviner s’il faut lire [diskisjõ] ou [diskisiõ], [mje] ou [mie]. Il y a incohérence parce qu’on avait distingué la voyelle [u, notée ou, de la semi- voyelle [w], notée w.
Enfin, elle a par exception deux notations différentes pour le [e] nasalisé : in dans in liv, et do vin, mais en dans normalien et konvien. Cette incohérence est une conséquence de la décision précédente, c’est-à-dire qu’on a reculé devant la succession de deux i dans la transcription normaliin, konviin, qui aurait été la seule logique.

La graphie KWZ de 1983

La troisième transcription du créole réunionnais est le fruit de militants culturels. Cette transcription a été vivement critiquée car assimilée au mouvement indépendantiste Nasyon Réyoné « Nation Réunionnaise ». On reproche aux partisans de cette graphie de mettre des K, des W et des Z partout lors de la transcription de la langue.
La transcription de 1983 systématise les principes faits en 1977 en distinguant le i qui transcrit la voyelle [i] de y qui transcrit la semi-voyelle [j]. Cela permet de supprimer l’incohérence de la notation des nasales.
Exemple : dans vin et dans normalyin la même voyelle peut être notée de la même manière.
Enfin cette transcription introduit le w et propose d’écrire par exemple, Lwi [lwi] pour Louis, pwason [pwasõ] pour poisson etc.

La graphie Tangol (2001, Axel Gauvin and co)

La quatrième transcription a été réalisée par l’association Tangol encadrée par l’écrivain Axel Gauvin.
La graphie Tangol renonce au principe phonologique en introduisant des différences orthographiques entre des sons identiques.

En effet, les deux [i] de itil doivent être écrits l’un ï, l’autre i, parce que dans une réalisation proche du français le premier peut être réalisé [y] ; de même les [e] de lé et de mië sont distingués parce que le second peut dans une réalisation proche du français être réalisé [ø].

Cette distinction amena à créer une convention spéciale, qui n’existait pas dans l’orthographe classique du français, et qui paraît largement inutile.
Si on voulait indiquer qu’on peut dire soit [itil] , soit [ytil] , il aurait suffi de revenir au principe « étymologique » : en écrivant util, tout Réunionnais saurait qu’on peut dire soit l’un soit l’autre.
On note aussi que cette orthographe a renoncé à la distinction entre voyelle [i] et semi-voyelle [j], alors qu’elle garde la distinction entre [u] et [w].
Si l’on regarde le texte correspondant à la graphie Tangol, on remarque que la notation des nasales est devenue incohérente : la même articulation [õ] est notée on dans konvien, mais õ dans kõm.

Enfin fromaž avec son [ž] particulier peut se prononcer soit fromage [fRomaʒ] soit fromaz [fRomaz].

Pour conclure, peut-on traiter (comme certains le fond) la question de la graphie comme une question d’identité ? Je vous livre ici la réponse d’ un ami ethnologue et linguiste.

« C’est peut-être parce que la question de la graphie est traitée principalement comme une question d’identité qu’elle devient insoluble. L’enseignement (du créole) devrait porter sur la langue, et sur le contenu des textes, pas sur une question métaphysique comme “l’identité”. Une bonne graphie est une graphie dans laquelle on écrit et on lit de nombreux textes. Autant que possible pas trop compliquée…mais surtout effectivement employée pour une masse suffisante de production écrite. A la limite, même si la graphie est compliquée et illogique elle peut marcher quand même, exemple typique : les graphies du français et de l’anglais, parmi les plus tarabiscotées et illogiques de toutes les orthographes européennes ».
Maintenant on peut parler de graphie créole sans insulter l’autre?

Ps: les mots en italiques ne sont pas passés, désolé!

 

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Par Ajay Dubey – Professeur d’Études Internationales, ancien Recteur à la Jawaharlal Nehru Université (JNU), Delhi (Inde), Secrétaire général de l’Association Indienne d’Études Africaines (ASA India), Président de l’Organisation d’Initiatives de la Diaspora (ODI International).