Si l’arrivée de Flore * en tant que stagiaire en janvier 2021 au Cirad de Saint-Pierre pour étudier l’écologie chimique des gîtes larvaires a débuté dans la confiance voire l’amitié, l’ambiance au sein de l’équipe s’est progressivement détériorée.
Les tensions ont d’abord porté sur la qualité du travail et l’implication de Flore. D’autres intervenants sur le projet, dont une en particulier, se sont plaints du manque de rigueur de la stagiaire. Le tuteur a alors envoyé plusieurs avertissements à Flore mais aussi averti l’université de la jeune femme. Par la suite, les remarques se sont focalisées directement sur « son comportement avec les hommes » ou encore « son physique trop attirant ». Le responsable d’équipe reproche sans détour à sa stagiaire « ses pénétrations dans son espace vital ».
L’encadrant est également persuadé que Flore entretient une relation intime avec un partenaire du projet, s’insinuant ainsi dans sa vie privée sous prétexte de la protéger. Son tuteur blâme ainsi Flore sur son attitude « trop permissive », lui demandant de « fermer la porte » aux tentatives de séduction et aux paroles mielleuses. Une discussion qui aurait pu paraître au premier abord bienveillante s’il n’était pas également question de l’attirance qu’il a aussi pour elle. « Lui il est intéressé, ça se voit… Toi aussi tu me plais vachement, pourtant je ne te drague pas sans arrêt », lui confie-t-il.
Des affiches placardées pour dénoncer les faits
Ces propos déplacés ajoutés aux menaces de la virer si elle ne changeait pas de comportement ont interpellé Flore. Cette dernière a enregistré les conversations tenues avec son tuteur sur les conseils de ses amies. Pour délier la situation, l’une d’elles a placardé des affiches dans les locaux du Cirad du site de Saint-Pierre le 24 mars dernier.
L’action a fait grand bruit au sein du centre. La stagiaire a été reçue par la direction qui a diligenté le 6 avril une enquête du comité social et économique (CSE, ancien comité d’entreprise et CSHCT) du Cirad. Le groupe d’enquête est composé de deux référents harcèlement de l’Hexagone qui ont interrogé la victime, harceleur présumés et témoins en visioconférence.
Les résultats du groupe d’enquête tombent : « Les actions et propos du mis en cause sont de nature à caractériser un harcèlement sexuel, ou du moins des propos et agissements sexistes répétés ». Le rapport note que les remarques ont ainsi quitté le champ professionnel pour se porter sur le physique et l’attitude de la stagiaire « au point de constituer une fixation sur la personne (à la différence du traitement des autres stagiaires) », ont souligné les enquêteurs.
« Il a été constaté des propos répétés à la stagiaire quant à son comportement et à sa posture, avec des remarques explicites quant à sa vie sexuelle et à l’attractivité qu’elle peut (selon les propos recueillis) exercer sur la gente masculine – y compris sur la personne du tuteur ».
Si les menaces de mettre fin prématurément au stage ont été établies, aucun geste ni chantage à connotation sexuelle n’ont été retenus à l’encontre du tuteur, conclut le rapport.
Une sanction étonnante ?
Selon nos informations, le tuteur a finalement été mis à pied deux jours. Une sanction prononcée conjointement par la direction du Cirad au niveau national et régional et qui a étonné dans les couloirs du centre agronomique. « La direction minimise les faits pour pas ébruiter l’affaire. La notoriété scientifique et la rentabilité financière du chercheur lui permet-elle de garder les bonnes grâces de la direction ? », s’interroge-t-on.
Ce n’est pas la première fois que des faits de harcèlement sont dénoncés au sein du Cirad mais aucune n’a pris cette importance, indique une source proche du dossier. Au début du mois de juillet dernier, les organisations syndicales, face à la nouvelle direction nationale, ont demandé à ce que des mesures soient prises pour éviter ce type de comportements. Le Cirad est d’ailleurs engagé dans le projet européen Horizon 2020 « Gender-SMART » qui a notamment pour but de favoriser l’engagement des femmes dans des carrières scientifiques. Et le chemin est encore long pour renforcer la place de la femme dans les carrières scientifiques.
Alors que « des mesures conservatoires auraient dû être prises pour protéger la victime, là c’est l’inverse qui a été fait », note encore cette source. La direction des ressources humaines a ainsi proposé à Flore de terminer son stage à Saint-Denis ou à Paris, et l’accès au site de Saint-Pierre lui a été interdit. La direction a également préféré loger à ses frais la stagiaire dans un hôtel plutôt que de la laisser dans son logement qu’elle payait au sein des locaux du Cirad.
Outre la nomination officielle d’un référent Harcèlement du Cirad et la définition de procédures de signalement et traitement des alertes harcèlement, le groupe d’enquête a pourtant recommandé que Flore soit accompagnée de « telle sorte à pouvoir terminer au mieux son stage ». Officiellement, le CSE a, lui, apporté son soutien à la victime.
« Des mesures proportionnées à la nature des faits »
Interrogée, la direction du Cirad au national déclare que « le harcèlement quel qu’il soit est inacceptable ». Refusant de communiquer sur les détails de l’affaire, elle assure que « des mesures proportionnées à la nature des faits ont été prises » suite à « des discussions tenues avec les protagonistes ». Si le tuteur s’en est sorti avec 2 jours de mise à pied comme sanction disciplinaire, Flore a quant à elle été éloignée de son lieu de stage. « Le mieux pour elle », estime la direction.
Révoltée par la tournure des événements, la jeune femme a tenté de porter plainte dans un commissariat et en gendarmerie. En vain, les forces de l’ordre lui arguant « la faiblesse » des éléments mis en avant, indique-t-elle. N’ayant pas les moyens de déposer plainte au pénal, Flore envisage de se tourner vers les Prud’Hommes. « Le Cirad a pris partie et a tout fait à l’envers « , accuse-t-elle, déterminée à faire valoir son statut de victime.