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Hell-Ville (Nosy-Bé) : Du village colonial franco-bourbonnais à la ville malgache cosmopolite d’Andoany (1841-2013)

Synopsis : Nous sommes bien en 2043, Année-centenaire de certains grands événements ! Amith Khan est un jeune retraité de la fonction publique. Il vient d’avoir 67 ans. Il vit sur l'île française magnifique de La Réunion, région ultra-périphérique de l'Europe dans l'océan Indien. Il a voyagé partout dans le monde. Toutefois, un endroit a été omis volontairement. Mais un jour, le voile est levé. Ses enfants lui offrent un séjour complet de trois semaines, pour partir à destination de l’île de Nosy-Bé (Madagascar) - espace insulaire dans le canal du Mozambique, qu’il n’a pas revu depuis ses 18 ans - où il a passé les premières années de sa vie. Après avoir fait escale à Tananarive (la capitale mégapole tentaculaire), et avoir survolé la magnifique baie de Diégo-Suarez, il rencontre là-bas, son ami d’enfance, Roger qui est devenu entre temps un taxi-man. Un demi-siècle s'est écoulé entre son enfance et sa retraite. Que lui réserve ce voyage hors du commun à travers les couloirs du Temps à la découverte des secrets de la Mémoire, enfouis dans les labyrinthes de cette île splendide, de sa capitale Hell-Ville et de ses villages alentour ? BNF 2010.

Ecrit par Tamim KARIMBHAY – le lundi 18 février 2013 à 09H35

Nous sommes le 27 mars 2043 (…..)

« – Amith ! Amith, disait cette voix roque et grave. Je ne pouvais pas m’imaginer qu’un demi-siècle après, quelqu’un pouvait encore se souvenir de moi sur cette île. Les générations n’étaient plus les mêmes et le pays était devenu cosmopolite. La population à l’aéroport semblait tellement métissée, ça ne me changeait pas tellement de La Réunion !

– C’est moi, Roger ! disait cette voix qui se rapprochait de plus en plus ».

Je me suis retourné et quelle fut ma surprise quand j’ai revu et reconnu mon ami d’enfance, Roger, un métissé créole-malgache avec lequel je jouais aux billes et avec qui je construisais mes propres jouets. Ma mémoire s’éveilla, et comme une fenêtre dont les volets claquèrent brutalement à cause du vent violent de cyclone, ma mémoire ouvrit ses tiroirs un à un en laissant échapper des souvenirs que je croyais enfouis ou oubliés à tout jamais.
« -Ah, comme la mémoire est magique, disais-je alors à Vijay.
-Roger ! Toi mon ami ! On a joué ensemble, on était à l’école ensemble. Tu m’as reconnu ? C’est incroyable ! Lançais-je à Roger. Tu as tellement changé ! Jamais je ne t’aurais reconnu si tu ne m’avais pas interpellé !

-Eléonore, Vijay et Kareena, j’ai le plaisir de vous présenter mon ami d’enfance, Roger !
-Oui, tu sais, maintenant je suis chauffeur de taxi, reprit Roger. Ça fera à peu près quarante ans que j’exerce ce métier. Le taxi n’est pas à moi. Je suis payé par le propriétaire, salaire fixe quelque soit le chiffre d’affaires journalier.
-Justement, on était à la recherche d’un taxi ! Ça nous intéresse…on a réservé des chambres à l’Hôtel (……), dans le quartier de la Batterie, au bout de la ville.
-Oui, je vous y emmène, dit Roger dans un parfait français.

Je constatai que la francophonie et la francophilie, n’avaient pas perdu de leur charme, chez les habitants de cette île magnifique.

-Mais tu sais, Amith, poursuivit-il, l’île a beaucoup changé depuis ton dé-part. Tu risques d’être surpris. Avec le tourisme qui s’est développé, des choses hideuses ont choisi Nosy-Bé comme point de chute. (……) C’est le revers ou la face cachée de l’ouverture fortement touristique. Les Malgaches payent un prix fort ! La pauvreté est partout ! Tu verras quand on rentrera à Hell-Ville, poursuivit-il. »

Un moment de silence se fit dans le taxi. Vijay, Kareena et Eléonore semblaient un peu déçus. Ils ne s’attendaient pas à de telles explications venant de notre chauffeur.

« -Eh bien, dis-je à Roger, main-tenant que je suis là, j’ai envie de revisiter cette petite île, qui est quand même très grande dans mon cœur. Es-tu libre les deux prochaines semaines, nous serons tes clients ?

-Excellent choix, dit Roger, vous ne serez pas déçus de cette vieille Peugeot 607, et son moteur de Renault Laguna. Eh oui, cette voiture est une hybride nosybéenne, victime ou sauvée par le système D à la malgache ! Je vous promets la grande découverte, et pour commencer, je vous propose de vous faire faire un tour de Hell-Ville, la capitale, ne serait-ce que pour que vous montrer les choses qui sont restées depuis, et ce qui a été détruit par les changements et les spoliations des terres par certains étrangers manquant de scrupules.

J’entends Vijay et Kareena, qui disent, Ok c’est parti ! ».

Au bout de douze kilomètres de route goudronnée, après avoir traversé les immenses champs de cacao, et respiré la senteur d’ylang-ylang, nous rentrions à Hell-Ville. J’ai eu le temps de raconter succinctement mon parcours à Roger, sous le regard habituellement admiratif de ma famille.

Comme d’habitude, Hell-Ville, la ville de l’enfer pour certains et le paradis pour d’autres, cette ville n’avait pas réellement changé dans sa structure. Quelle fut mon émotion quand le vieux taxi fit son entrée et longea la rue principale, après avoir tourné au rond point du « château d’eau », plus connu sous le nom de Place de l’Indépendance. Retenant mes larmes, j’ai expliqué à Eléonore que cette artère principale qui m’a vu naître, portait toujours le nom de ce grand général qui sortit la France du marasme en 1944, et qui avait prononcé le discours du 18 juin 1940 ! Eh oui, De Gaulle, ce grand militaire qui a sauvé la France du joug nazi, et qui a fini sa vie en tant que président de la République, est immortalisé ici à Nosy-Bé, à Hell-Ville plus précisément où une rue porte son nom.

Hell-Ville, quant à elle, porte le nom d’Anne Chrétien Louis de Hell. De Hell, cet homme a marqué la Réunion, dont il fut le gouverneur du 5 mai 1838 au 14 octobre 1841. Par exemple, à La Réu-nion, Hell donna son nom au village de Bémaho qui fut désormais rebaptisé Hell-Bourg.

« -Ah bon ! Me dit Roger, les Malgaches ici disent que Hell vient de l’anglais qui signifie l’enfer. (Et il se mit à rigoler !) Amith, mon ami, bon, moi je serai ton chauffeur durant ton séjour, me dit-il, mais tu vois, est-ce que ça te dirait de m’éclairer un peu plus sur l’histoire de cette ville de l’enfer !

Et il continue à rigoler mettant en place ainsi cette bonne ambiance africaine, cette bonne chaleur typique du pays, qui m’a toujours manqué à La Réunion.

-Certainement, lui répondis-je ! Dans la limite de mes connaissances.
Vijay et Kareena, ainsi qu’Eléonore écoutaient pour une énième fois les explications qui semblaient sorties d’une boîte de Pandore, pour Roger.

-Tu vois, Roger, cette ville porte en fait le nom de Hell, un militaire d’origine alsacienne. Pour la petite histoire, sache que Hell était gouverneur de La Réunion sous la monarchie de Juillet. Le roi des Français Louis-Philippe 1er lui demanda d’envoyer des bateaux explorer la côte Nord de Madagascar. L’amiral de Hell demanda donc au capitaine Passot d’aller faire un tour dans le nord du canal du Mozambique.

-Passot, tu dis Amith, répliqua Roger, comme le point culminant de l’île ?
-Oui, répondis-je, fier de moi, car pour une fois ma passion pour l’histoire me servait à quelque chose. Et j’ai pour-suivi l’explication dans le silence attentif de mon interlocuteur.

– Alors, Roger, le 14 juillet 1840, le capitaine Passot arrivé à bord du navire de guerre la Prévoyante, place l’île de Nosy-Bé sous la protection de la France, après en avoir fait la proposition à son supérieur le contre-amiral Anne Chrétien Louis de Hell, gouverneur de l’île Bourbon (La Réunion). Il ancre en 1841 le navire de guerre le Colibri dans le sud de Nosy-Bé, et signe avec la reine sakalava Bemihisatra Tsioméko, un traité dans lequel elle cède définitivement la totalité de l’île à la France. Ce traité a pour but de soustraire l’île de l’influence merina alors grandissante, et de fournir aux Français un port dans le canal du Mozambique. Pierre Passot fonde le chef-lieu de Nosy-Bé et le baptise Hell-Ville, du nom de son supérieur, Anne Chrétien Louis de Hell, Gouverneur de Bourbon. Nosy-Bé devient donc française en 1841. Par ailleurs, le 25 avril 1841, le sultan Andriantsoly, roi sakalava, cède l’île de Mayotte dans l’archipel des Comores à la France, représentée par le capitaine Passot. Celui-ci l’achète contre une rente viagère personnelle de 1000 piastres. La vente est entérinée par le roi Louis-Philippe de France en février 1843. Le 13 juin 1843, le capitaine Passot prend possession de l’île de Mayotte au nom du roi. La population de Mayotte s’élève alors à 3000 habitants. Le 1er juillet 1847, Pierre Passot, commandant supérieur de Mayotte, promulgue l’arrêté local qui proclame la liberté des esclaves de Mayotte. Le volcan de Nosy-Bé a été baptisé Mont Passot en son nom. Voici mon cher ami, Roger, la petite histoire de l’annexion de l’île de Nosy-Bé.

-Eh bien ! me dit Roger, tu es une encyclopédie ambulante, toi mon grand ! Après toutes ces explications, je pourrai être un bon guide pour les futurs clients qui monteront dans mon taxi. Tes étudiants et élèves ont eu beaucoup de chance de t’avoir eu comme professeur. Un jour, il faut que je vous emmène aussi voir le Mont Passot. Si je comprends bien, mon cher ami Amith, Passot va immortaliser son nom lui aussi sur Nosy-Bé. A une vingtaine de kilomètres du grand village d’Ambatoloaka, à vélo, en 4×4 ou encore en Renault 4L, on peut atteindre le point culminant de l’île. Un point culminant d’où on peut observer un superbe coucher du soleil et admirer – à la nuit tombée, au loin, mais vraiment au loin – scintiller les lumières de Mayotte ! Ce point culminant idéal pour admirer le cou-cher du soleil – surtout en hiver austral – des plantations de teck et de sisal s’appelle le Mont Passot, du nom du fameux capitaine. Le sommet est le point le plus élevé de Nosy-Bé (330 mètres). On peut de même contempler sept lacs formés dans les cratères, toute la côte ouest de l’île et même la minuscule île de Nosy-Sakatia. Ces lacs sont considérés comme étant sacrés par les Malgaches qui viennent pour leurs cérémonies religieuses. Il est interdit de faire ses besoins et de jeter des détritus. Ils sont, par ailleurs, truffés de crocodiles – et d’après des croyances malgaches – peuplés par des créatures mystérieuses et hybrides, mythiques appelées les Bibis… Mont-Passot est pratiquement inaccessible depuis 2005 en taxi ! Il faut y aller, soit à pieds, soit en voiture tout-terrain. Mais je peux vous déposer au pied de la montée. Ça vous intéresse ?

-Bien sûr que oui ! nous répond Eléonore, toute enthousiaste ! »

Pendant que nous roulions et traversions la rue du Général De Gaulle, nous constatâmes que la circulation s’était ralentie.

« -Trop de voitures et de charrettes de zébu ! lança Roger. Nosy-Bé soufre de son insularité et de sa démo-graphie galopante. Nosy-Bé est marquée aujourd’hui par une urbanisation un peu problématique et aléatoire, liée à l’exode rural massif, et aussi due à son essor touristique pesant, depuis les années 2000. Les villages se vident et Hell-Ville connaît une forte croissance urbaine et les illusions du développement économique, typique des villes africaines. Les villages de la périphérie se vident car les personnes migrent vers Hell-Ville en espérant y trouver un travail, des soins et une scolarité pour leurs enfants. Le fossé entre les riches et les pauvres s’est creusé encore ! Hell-Ville est devenue un îlot de richesse dans un océan de pauvreté…
-Regarde les bidonvilles qui défi-lent à ta gauche papa ! me dit Kareena.
-Tu vois Amith, me dit Roger, ça ce n’est encore rien ! Tu verras demain je vous emmènerai à Ambatoloaka, sur la route du village de Djamandjar. Vous verrez par vous-mêmes.

Nous continuions notre visite de la ville. Lorsqu’on a traversé la rue Général de Gaulle, je n’ai pas osé regarder ce qu’il y avait à la place de la maison de mon grand-père. Cette maison, était-elle encore là ? M’attendait-elle ? Dans quel état était-elle ? Qui y vivait maintenant ? »
Nous arrivons au bout de notre périple, et j’ai constaté que la place du grand marché a été entièrement refaite.

« -Vous voyez Vijay et Kareena, ici il y avait un marché qui datait de 1954. Il n’existe plus. Les trottoirs aussi ont été rénovés, remarquais-je. (………)

Nous poursuivions le Boulevard de l’Indépendance, pour arriver vers la rue qui s’appelle la cour de Hell, l’ancienne ville, vestiges de la colonisation, où on voit les restes de canons, la prison, le dispensaire, l’église, la mairie, la sous-préfecture. Nous poursuivons la visite de Hell-Ville, en parcourant l’Avenue de la Libération. La jetée, le port de Hell-Ville se dressait là. J’étais en train de penser qu’un de mes étudiants réunionnais, avait préparé une thèse sur l’étude des toponymes qui est très intéressante à explorer sur Nosy-Bé. Les noms des rues (exemples. rue principale du Général de Gaulle, rue du Père Raimbault, Rue Lamy, Boulevard de l’Indépendance, rue du Docteur Mauclair, rue Cours de Hell, rue Albert 1er), les noms des écoles (ex. Ecole Lamartine) et aussi la présence de canons sur le littoral, la prison, le dispensaire, les maisons au style colonial, rappellent encore la France.

« -Tu vois la jetée, c’est de là que partent depuis 1990, les bateaux vers la pointe d’Ankify, le nord de Madagascar, me dit Roger, et aussi les excursions vers les îlots satellites de Nosy-Bé.

-Ah oui, les îlots satellites comme Nosy-Komba, Nosy-Tanikely, Nosy-Iranja et Nosy-Sakatia, sans oublier plus loin les îles Mitsiou, font de Nosy-Bé, un endroit touristique, répliquais-je à Roger. Je me souviens qu’avec des amis d’enfance, à l’époque de mes quatorze ans, on les avait tous parcourus en pirogues à balancier dotées de moteur hors-bord.

– Mais tu sais Amith, s’il y a une excursion à faire, emmène ta famille vers les îlots paradisiaques de Nosy-Iranja. C’est à deux heures de traversée, émotion garantie, en plein canal du Mozambique et, tu pourras leur montrer, parallèlement la Baie des Russes.

-La Baie des Russes ? me de-manda Eléonore, qui était d’origine bulgare par son arrière-grand-père. Qu’est-ce-que les Russes sont venus faire à Nosy-Bé ? Rajouta-t-elle.

Pour qu’écrire et enseigner restent toujours un plaisir pour nous tous !

http://www.monsieur-biographie.com/biographies/9059/tamim-karimbhay.php

Article rédigé par Tamim KARIMBHAY professeur, historien et romancier auteur d’une monographie culturelle et historique d’un espace culturel et touristique insulaire dans l’océan Indien et le canal du Mozambique : Nosy-Bé : Âme malgache, Coeur français et du roman autobiographique et géopolitique : un hypertexte polyvalent et visionnaire : Année 2043 : Autopsie D’une Mémoire à contre courant.

 

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