Daniel Faivre : J’avais 55 ans, je me souviens très bien de ce jour. Je reçois un appel des Assédics. Ils me disent : « est-ce qu’avec 900 euros par mois ça suffit ? Est-ce que c’est bon pour vous ? Cette année-là, en 2004, j’avais moins de 500 euros par mois donc j’ai dit « Bien sûr ! si vous me donnez une moitié en plus ! » (rires) Je peux vous dire la vitesse à laquelle j’ai enfilé mon pantalon… Je suis allé les voir 2 heures après leur appel (rires). Arrivé là-bas, la personne qui me reçoit me dit que je suis le premier dossier AER (allocation équivalent retraite) qu’elle allait faire…. On m’a dit que J’avais droit à l’AER, une allocation à laquelle on avait droit si on avait travaillé un certain nombre d’années. La contrepartie pour avoir l’AER, c’était que je signe un papier comme quoi je ne ferai plus partie des demandeurs d’emploi. Leur but c’était de faire descendre le nombre de chômeurs. C’était pendant la présidence Sarkozy. Donc j’ai eu l’AER jusqu’à mes 60 ans. Avec l’AER, j’avais aussi d’autres droits du type la prime de Noël. Ensuite, j’ai eu ma retraite de base et ma retraite complémentaire dès 60 ans.
60 ans ? Vous avez donc commencé à travailler très jeune ?
C’est ça. 13 ans. De 50 à 60 heures par semaine.
Comment ça se fait que vous ayez commencé à travailler si jeune et quel était votre métier ?
C’était en 1963. J’étais à l’école élémentaire des Combes vers Morteau, le pays de la saucisse ! C’était au mois de juin, c’était dans mon année du certificat d’études. On était quelques-uns comme moi, les pauvres, à être choisis par des maîtres. Ils entraient dans la classe avec un inspecteur de l’Education nationale et ils disaient : « toi, toi, toi, toi… » et le lendemain on nous emmenait travailler sur les chantiers. Parfois jusqu’à 22h. On travaillait en tant que manœuvre ou peintre. Vraiment, quand on dit « exploitation », eh bien on y était ! Je pense qu’on peut même parler d’esclavage (rire nerveux). On était mal payé, c’était 85 centimes de l’heure !
Après je suis allé à Besançon passer un CAP de peintre en bâtiment. C’est le seul diplôme que j’ai. J’ai travaillé sur l’amiante quand même… J’ai aussi été magasinier. C’est à ce moment-là, lorsque je travaillais à l’usine d’ardoise à Marcoule près de la centrale nucléaire, que j’ai perdu tous mes cheveux, c’était dans les années 78-79. À l’époque, on voulait faire le fort, on portait sur l’épaule des sacs de ciment de 50 kg. Pareil pour les briques.
Donc à 60 ans, vous vous retrouvez avec une retraite de combien ?
Je vous montre la feuille : 494,28 euros. Mais comme j’ai rouspété, je n’ai pas accepté donc on m’a parlé du montant du « minimum contributif ». Est-ce que je l’aurais eu si je n’avais pas écrit à tous les ministres ? Je ne crois pas ! Après j’ai eu 583 euros par mois. Ensuite, grâce aux revalorisations successives chaque année, c’est monté petit à petit. Il y a quelques mois j’étais à 702 euros, maintenant ce mois-ci je suis à 738,40 euros. Après j’ai ma retraite complémentaire qui est de 355 euros à peu près.
En ayant commencé si tôt et avec plein de périodes fractionnées, vous avez validé combien de trimestres au final ?
Sur un document ils m’avaient mis 161 mais ils m’ont validé 183 trimestres. Je leur ai demandé : « les 23 trimestres de plus, c’est qui qui va me les payer ?! » (rires) En 2009, quand j’ai pris ma retraite, il fallait valider 160 trimestres pour une retraite complète.
Est-ce que quatorze ans après votre retraite, vous devez encore batailler ?
Au début j’ai fait appel sur des trimestres qu’il me manquait mais ce que je conteste auprès de Paris, auprès du président et des ministres, c’est le mécanisme des calculs. C’est-à-dire qu’ils nous embrouillent ! Quand j’ai dit qu’ils rackettaient les retraités, Ils se sont mis en colère contre moi et j’ai eu des courriers du ministère de l’Intérieur notamment qui me répondaient ceci : « je ne vous permets pas de dire ça M.Faivre ». Moi, s’ils se trompent d’un euro, je ne laisse rien passer !
J’avais beaucoup lu sur le sujet. Je savais que le RFR, le revenu fiscal de référence, ne devait pas dépasser tel niveau. Donc j’ai constaté qu’ils m’avaient retiré de l’argent. Ce n’était pas de beaucoup, moins d’une centaine d’euros sur un an mais de suite après l’avoir reçu mon bulletin dans ma boite aux lettres, j’ai l’ai scanné et je l’ai envoyé à Malakoff puis aux médias et ils ont fini par s’excuser et corriger leur erreur.
CSG prélevée à tort : Daniel Faivre obtient gain de cause auprès de sa caisse retraite
Quel est le profil des gens que vous aidez grâce à votre association ?
En ce moment, j’ai beaucoup de gens qui n’ont plus de travail alors qu’ils ont dans les 50 ans. J’ai d’autres cas de personnes avec des petites retraites mais qui avaient quand même un peu de foncier. Ils ont fait construire une maison pour louer mais comme il y a beaucoup de locataires qui sont peu sérieux, ces retraités se retrouvent avec seulement 250 euros par mois de leur retraite de base.
Quels conseils donneriez-vous à des retraités ?
Par exemple de bien regarder si les impôts continuent de les faire cotiser à la CSG et à la CRDS puisque ça ne concerne que les retraités qui dépassent un certain seuil. En bas de votre feuille d’impôts, il faut regarder votre RFR, votre revenu fiscal de référence.
Les personnes âgées de plus de 75 ans peuvent également obtenir une exonération de la taxe foncière s’ils remplissent certaines conditions.
Il faut bien contrôler, les gens ne lisent même pas leurs documents. Il y a 120.000 illettrés à La Réunion et tout le monde n’a pas des enfants pour les aider dans leurs démarches.
Comme vous, à quoi les Réunionnais doivent-ils être attentifs lorsqu’ils reçoivent leurs documents de retraite ?
Je suis sûr que beaucoup de personnes ne pensent pas à demander leurs droits. Ça sera l’objet d’une réunion que j’aurai d’ailleurs en préfecture le mois prochain. Demandez vos droits ! Pourquoi à La Réunion les gens ne le font pas ? J’ai vu par exemple l’autre jour une personne qui me disait qu’elle ne pourrait pas avoir le Chèque Carburant. C’est pareil pour le Chèque Energie. Je lui ai dit : « ce n’est pas à vous de décider donc il faut aller demander ! » Celui qui est trop fainéant pour sortir la carte grise et la feuille d’impôts, il ne saura jamais et les personnes âgées continueront à être maltraitées par l’Etat.
Pourquoi le niveau des retraites est si bas à La Réunion ? Qu’est-ce qui revient le plus chez les personnes qui viennent vous exposer leur situation ?
Je vais vous donner l’exemple d’un monsieur qui travaillait sur un domaine agricole de canne à sucre. Ses employeurs ne le payaient que les six mois de la canne mais les autres six mois pendant lesquels il travaillait dans les champs pour entretenir la propriété, il n’était pas déclaré. Voilà un exemple.
Autre cas, personnel cette fois. J’ai ma compagne de 85 ans qui était femme de ménage, cuisinière. Elle n’aurait eu droit qu’à 250 euros de retraite si elle n’avait pas eu les droits de veuvage suite au décès de son mari puis de l’ASPA, l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
Donc tous ces gens qui ont fait des petits travaux, ce n’est pas de leur faute. je connais beaucoup de créoles qui, dans leur carrière, ont accepté des petits travaux ici et là sans être déclarés. Sur le moment ils pensaient qu’ils gagnaient plus parce qu’ils n’étaient pas déclarés mais venu le jour de la retraite…
Quel est votre avis sur l’allongement de la durée de cotisation ?
Pour nous, les personnes qui sommes déjà à la retraite, on n’est pas intéressés. On n’a pas lieu d’aller manifester avec les autres vu que depuis des années les syndicats ne nous défendent pas. Rien qu’à Saint-Leu, on a par exemple 820 personnes qui vivent avec l’ASPA. Mais il y a un chiffre qu’on ne donne pas, c’est combien de gens sont en-dessous de l’ASPA ? Ce que j’appelle les « vrais pauvres ».