Revenir à la rubrique : Société

Prosper Eve fustige la décision de déboulonner la statue de Mahé de Labourdonnais

Dans un courrier adressé au préfet de La Réunion, Prosper Eve demande au représentant de l'État de s'opposer à la décision de la maire de Saint-Denis d'enlever la statue de Mahé de Labourdonnais se trouvant au Barachois. L'historien émérite de l'histoire coloniale regrette qu'une mouvance américaine se répercute sur la compréhension de l'histoire réunionnaise et française et estime que rendre hommage aux esclaves ne passe pas par l'effacement de certains pans de l'histoire.

Ecrit par Gaetan Dumuids – le mardi 25 avril 2023 à 13H57

La lettre de Prosper Eve au préfet de La Réunion :

Monsieur le Préfet,

Ayant appris la semaine dernière par la presse que la maire de Saint-Denis a décidé de retirer la statue de Mahé de Labourdonnais pour bétonner cette esplanade et la transformer en espace de concert, la cité des Arts n’étant plus apparemment suffisant. L’inauguration de cette place doit se faire le 20 décembre en grande pompe. Je pense qu’il est de mon devoir de vous fournir quelques éléments d’appréciation pour vous, défenseur des intérêts de l’État.

Deux raisons sont avancées par le collectif d’historiens de la société civile (les autres historiens appartiennent à quelle société ?) pour justifier ce déplacement : son rôle dans l’augmentation du nombre d’esclaves dans cette île et la création de la milice pour chasser les esclaves qui rompent le ban, pour recouvrer leur liberté.  

Ce combat est mené au nom de la pureté. Qui sommes-nous pour juger les hommes du passé et séparer sans risque d’erreur les purs des impurs ? Il faut se rendre à l’évidence, la Compagnie Française des Indes Orientales ayant exigé des colons la culture du caféier de Moka, le nombre de bras ne pouvait qu’aller en augmentant au fil des décennies. Tout autre gouverneur aurait agi de la même manière. Son prédécesseur Benoist Dumas avait déjà agi en ce sens.

Deux décisions prises par ce gouverneur prouvent qu’il n’était pas dépourvu d’humanité. Comme les esclaves recevaient pour toute nourriture du maïs, pour varier leur repas et pour éviter une situation de disette après les pertes dues à un cyclone, il a décidé d’y introduire le manioc.

En principe, les esclaves introduits dans la colonie n’avaient aucun espoir de quitter l’île. Pour défendre les intérêts de la France en Inde, Labourdonnais décide de demander aux colons des esclaves pour renforcer son armée. C’est ainsi que quelques esclaves de l’île Bourbon iront en Inde pour assurer la défense des intérêts de la France. Cette opération de déboulonnage qui cherche à imiter les Américains vise un défenseur des intérêts de la France au XVIIIème siècle. À travers cette décision, c’est bien la politique coloniale française qui est visée ?

Si la mairie de Saint-Denis veut vraiment honorer la mémoire des esclaves, elle doit cultiver l’addition et non la soustraction. Pourquoi n’élève-t-elle pas un monument de 30 mètres de haut (visible par tous) au Barachois là où tous les esclaves sont entrés dans la colonie ?

J’arrête là, M. le Préfet, pour ne pas abuser de votre temps.

Veuillez agréer, M. le Préfet, l’expression de mon profond respect.

Professeur Prosper Eve,
Professeur émérite de l’histoire coloniale,
Membre du comité scientifique de la FME,
Président de l’AHIOI (fondée en 1960, la plus vieille association de l’océan Indien)

 

Partager cet article
Thèmes :
S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Dans la même rubrique

« La vaccination contre les HPV prévient jusqu’à 90 % des infections HPV à l’origine de cancers »

« La vaccination contre les HPV prévient jusqu’à 90 % des infections HPV à l’origine de cancers »

Alors que les infections aux HPV peuvent évoluer en verrues génitales (condylomes) ou en lésions précancéreuses et cancers (cancers du col de l’utérus, du vagin, de la vulve, de l’anus et de la sphère ORL), l’ARS regrette que la couverture vaccinale soit très insuffisante à La Réunion (et bien inférieure à celle observée dans l’Hexagone) malgré l’efficacité du vaccin.

Saint-Paul : Les syndicats tirent la sonnette d’alarme

Saint-Paul : Les syndicats tirent la sonnette d’alarme

Près de quatre mois après un courrier au vitriol, les syndicats FSU, Unsa et FO n’ont toujours pas obtenu de réponses à leurs interrogations. Plusieurs éléments qui devaient être réglés sont toujours au point mort, tandis que la situation semble se dégrader ailleurs.