Tout commence le 9 novembre, lorsque le collège de Jérémy* appelle les pompiers et la police. L’élève de 11 ans a un bleu sur le visage et vient d’avouer à ses camarades qu’il est battu par son ti-père. Les autorités réagissent vite et placent le collégien et sa demi-sœur de 6 ans loin des parents. Ceux-ci doivent être présentés au tribunal dans le cadre d’une comparution immédiate. D’abord prévue mi-novembre, celle-ci se déroule finalement le 15 décembre.
Jean est accusé de violences habituelles sur les enfants et privations de soins et d’aliments ainsi que de sévices sur le chien de la famille, tandis que Patricia est présentée pour non-dénonciation et privation de soins et d’aliments. Les deux prévenus demandent un renvoi et le tribunal en profite pour demander une expertise psychiatrique des deux parents. Ils ressortent libres sous contrôle judiciaire.
Seulement 4 jours après, une dispute entre les deux dégénère et Jean frappe Patricia au ventre bien qu’elle soit enceinte. Ce sont les voisins qui alertent les forces de l’ordre. Lors de l’audition, la mère de famille nie d’abord les faits, puis finit par avouer à demi-mot. Jean voit donc les charges de violences sur conjoint ajoutées au dossier, tandis que Patricia devient prévenue et victime à la fois. Mais de nouvelles péripéties vont reporter ce procès à plusieurs reprises.
Au minimum : 3 claques par jour
La famille se compose de Jean, Patricia et de leurs enfants Jérémy* et Lola*. Jean n’est pas le père biologique de Jérémy, mais il l’a reconnu. Une responsabilité parentale dont le marmaille se serait bien passée, car il va devenir le souffre-douleur de son ti-père.
Lors de ses auditions, Jérémy va décrire ses souffrances quotidiennes. Pour l’enfant, le salaire minimum est de « trois claques par jour » dans le meilleur des cas, car les crises de colère de « son père » peuvent aller très loin. Il y a cette fois où les enfants ont partagé leurs céréales du matin contre l’avis de Jean. La sanction : un croche-pied violent qui va casser une dent de l’enfant. Il ne sera jamais envoyé chez le dentiste pour cela.
La mère tente parfois de calmer Jean, mais n’y arrive pas. Pire, c’est parfois elle qui va lâcher ses nerfs sur l’enfant. Comme cette fois où elle l’a giflé parce que le garçon voulait aller à l’école, son seul refuge.
Cette terreur quotidienne va provoquer chez le garçon des incontinences nocturnes. La réponse des parents pour faire stopper cela : le faire dormir dans les toilettes, dehors en hiver lorsqu’ils vivaient en métropole ou même une fois attaché à une bouteille de gaz dans le cellier. Ils ont même pris en photo ses excréments et menacé de montrer le cliché à son école.
Au fur et à mesure, la découverte des punitions faites aux enfants est de plus en plus terrible. Par exemple, ils devaient rester sur les genoux « pour qu’ils reconnaissent leur tort », parfois pendant plus d’une heure. Même la petite, qui n’avait pas 6 ans, subissait cette sanction.
Des excuses qui ne convainquent pas
À la barre du tribunal, Jean va de manière générale reconnaître les faits présentés, même s’il en nie certains comme l’histoire de la bouteille de gaz. « Je n’ai pas voulu faire de mal à mes enfants. J’ai fait ça sans m’en rendre compte. Je ne réfléchissais pas, je ne voyais pas les conséquences », explique-t-il en pleurs. Il ajoute que c’était toujours lorsqu’il était alcoolisé, donc tous les jours, qu’il était aussi violent.
« Je lui disais d’arrêter qu’il y allait avoir un drame. J’avais peur de me confier. Peur de perdre ma famille. J’avais espoir que tout s’arrange et que l’on pourrait aller de l’avant », se justifie de son côté la mère. Elle ajoute également avoir eu honte d’en parler et reconnaît que rester avec Jean lui procurait une sécurité financière. C’est pour ces raisons qu’elle a caché pendant des années les sévices qu’elle et les enfants subissaient.
« Un acte de barbarie et de cruauté »
« C’est le dossier de l’action, de l’inaction et de l’abjection. De l’action, car les autorités ont vite réagi en plaçant les enfants. De l’inaction, car nous avons manqué de temps pour relier tous les faits. De l’abjection, car on s’aperçoit de la cruauté et de la perversité sur les enfants », lance Me Marie Foucteau pour introduire sa plaidoirie. Celle-ci a pu s’entretenir avec les enfants qu’elle représente et regrette que le dossier ne soit pas plus étoffé.
Selon elle, la prévention des faits aurait dû être plus longue puisque les violences ont commencé dès que Jean est rentré dans leur vie. « J’y vois un acte de barbarie et de cruauté. Les violences étaient tous les jours, parfois jusqu’à l’inconscience », souligne-t-elle en ajoutant qu’une expertise médicale aurait dû être réalisée sur l’aîné. Celui-ci aurait 4 dents cassées, une commotion cérébrale, un tympan percé et des marques sur tout le corps.
Sa sœur souffre de stress permanent, de troubles du sommeil, de l’alimentation et du transit intestinal. Elle stocke de la nourriture de peur de manquer. « La nuit, elle parle à ses poupées et leur dit de ne pas faire de bruit, sinon elles vont être punies ». C’est pourquoi l’avocate demande l’interdiction pour Jean d’entrer en contact avec ses enfants. Elle souhaite également une expertise médicale pour l’aîné et des expertises psychiatriques pour les deux.
Un « discours de circonstance »
Pour la procureure, l’attitude de Jean est « une posture de pouvoir et de domination. Il voulait montrer qu’il était le dominant dans la famille. Il a un problème avec la frustration. On n’est pas sur des principes d’éducation, mais sur une volonté de faire mal, une volonté d’humiliation ».
Elle poursuit en évoquant l’attitude du prévenu. « Il parle beaucoup beaucoup beaucoup de lui, mais passe à côté de l’essentiel. J’ai l’impression qu’il est venu avec un discours de circonstance, qu’il est venu devant le tribunal pour essayer de faire croire qu’il a compris. C’est presque indécent », estime la représentante de la société.
Elle enchaîne sur la mère qui « cachait tout, de peur de ne pas avoir suffisamment de revenus. L’empathie et le bien-être des enfants ne sont pas pris en compte ». C’est pourquoi elle requiert entre 8 et 10 mois de prison avec sursis pour la mère et 5 ans de prison, dont deux avec sursis, pour Jean. Elle demande également qu’il ne puisse plus avoir de contact avec les enfants.
« Un traitement inhumain et dégradant »
Me Delphine Savigny assure la défense de Patricia depuis le mois de décembre, notamment face au juge des enfants qui a vu dans ce dossier « un traitement inhumain et dégradant. Je suis d’accord avec cette analyse. J’ai assisté des demandeurs d’asile et ce qu’ils racontent est assez proche du dossier. À la différence que ce sont des adultes ».
La robe noire a accompagné la mère de famille dans sa prise de conscience et conduit à présent sa procédure de divorce. « Il y a eu un long parcours. Elle est passée par plusieurs phases comme le déni et la colère. C’est l’agression lorsqu’elle était enceinte et le Noël sans ses enfants qui a provoqué le déclic. Je suis sereine, car j’ai vu du chemin dans son discours. Elle est déterminée dans son divorce », assure-t-elle.
Pour expliquer l’attitude de sa cliente, elle souligne que Patricia « n’a jamais eu une vie simple. Elle a toujours connu la violence. Un schéma de violence qui se reproduit et qu’elle banalise, qu’elle minimise. Elle a de l’ego et le statut de victime était pour elle comme avouer ses faiblesses. Alors même qu’elle est faible. La peine, elle est déjà en train de la vivre en étant séparée de ses enfants ». Elle demande donc la relaxe en raison du manque d’élément dans le dossier.
Un « dossier brouillard »
C’est à Me Nicolas Dyall qu’est revenue la difficile tâche de défendre Jean. Il regrette que dans ce dossier « l’on ait cherché la simplicité à la place de la complexité. En voulant faire passer cette affaire en comparution immédiate, il a fallu boucler le dossier en 48h pour tout savoir. Aujourd’hui, c’est un dossier-brouillard parce qu’on n’a pas répertorié tous les éléments de l’infraction ».
La défense précise que le témoignage de l’enfant ne peut pas être considéré comme neutre, puisqu’il a passé sous silence les violences de sa mère pour tout mettre sur le dos de son beau-père. « La claque pour avoir voulu aller à l’école, c’est sa mère. La cicatrice dans le dos, c’est sa mère », souligne-t-il pour justifier sa demande de requalification des charges contre Patricia pour violences.
Il ajoute que la position d’emprise de Jean sur Patricia n’est pas claire. « Madame est sous emprise ? C’est le préjugé habituel. Si elle ne l’a pas dénoncé, c’est parce qu’elle a également participé à ces violences. Mon client a perdu sa dent suite à un coup de madame, mais on nous dit qu’il n’y a qu’une seule vision à avoir. Elle a d’abord parlé de coup de pied dans le ventre, avant de se rétracter et de parler d’un léger coup de coude. En plus, il s’est jeté pour la défendre alors que je présentais cet élément. Il faut reconnaître qu’on nage dans le flou ».
Il demande la relaxe pour les faits de non-alimentation des enfants, pour les violences conjugales, car elles sont partagées, et pour les sévices sur le chien. Il souhaite également que son client, qui vient de trouver un emploi, ne soit pas envoyé en prison.
Finalement, le tribunal va suivre les réquisitions et condamner Jean à 5 ans de prison, dont deux avec sursis. Il a interdiction d’entrer en contact avec les victimes et une obligation de soins et de dédommager à hauteur de 1500 euros par enfants. Patricia est condamnée à 10 mois de prison avec sursis et doit également verser 1.500 euros à chaque enfant. Une expertise médicale complète est demandée pour Jérémy et une expertise psychiatrique pour les deux enfants.
*Prénoms d’emprunt
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