Le tribunal de Kawéni était leur objectif : ce mardi en début d’après-midi, environ 2.000 manifestants mobilisés par le collectif les Forces vives de Mayotte, né sur les barrages qui fleurissent sur l’île depuis le 22 janvier, ont convergé vers le bâtiment de justice où les attendait un important dispositif de gardes mobiles.
Regroupées devant le tribunal, les forces de l’ordre ont repoussé la tentative des manifestants de pénétrer dans l’enceinte, essuyant des jets de pierre selon nos confrères de Mayotte la 1ère et usant de gaz lacrymogène pour disperser la foule.
Dans un communiqué publié ce mardi sur ses réseaux sociaux, le collectif les Forces vives de Mayotte avait annoncé son intention de boycotter la rencontre programmée avec des élus politiques à 13 heures locales, en mettant en doute leurs « véritables intentions ».
« Les Forces vives de Mayotte estiment que résoudre le problème migratoire et son pendant insécuritaire est un préalable indispensable avant de pouvoir aborder tout autre sujet », mentionne le communiqué, qui revendique « la fin de l’Apartheid réglementaire et juridique appliqué à Mayotte » et qui réclame l’instauration d’un « état d’urgence sécuritaire ».
Si l’installation de barrages dans plusieurs communes de Grande-Terre par le collectif semble remporter l’adhésion d’une bonne partie de la population, excédée par le racket d’automobilistes et les violences quotidiennes, le blocage induit un ralentissement de l’activité économique, voire un arrêt total dans certains secteurs.
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« Je ne manifestais pas parce que je travaillais, mais je soutiens le mouvement », explique une habitante des Hauts Vallons, dans les hauteurs de Mamoudzou. « Ce n’est plus vivable, on ne peut plus circuler en sécurité, on ne peut plus envoyer les enfants à l’école en sécurité. Vous imaginez bien que pour paralyser toute une île, il faut être vraiment désespéré. Je suis bloquée chez moi depuis dix jours, je suis en télétravail, mais dans ma société, certains ne peuvent pas faire autrement que de se déplacer : je travaille au port de Longoni et quand il faut décharger les bateaux, on ne peut pas faire autrement que d’être là. Sinon, il repart avec sa cargaison. »
De fait, entre les rayons des supérettes vides et les salariés bloqués chez eux, l’économie de l’île donne le sentiment de tourner au ralenti, au point que le Medef local a organisé ce lundi une réunion en visioconférence pour prendre le pouls de ses adhérents.
« C’était compliqué comme visio, parce qu’on sentait qu’il y avait de la détresse », relate une participante, qui assure cantonner ses déplacements à sa localité du sud de Mamoudzou. « Beaucoup d’entreprises mettent leurs salariés en activité partielle. Le dispositif pour faire les demandes a été allégé, ce qui montre bien que Paris est au courant de ce qui se passe ici. Après, les taux sont les taux plafonds, ce n’est pas la procédure Covid non plus. »
Ces dernières heures, des membres du collectif auraient procédé au blocage du ponton qui permettaient de prendre une navette privée pour se rendre sur Petite-Terre, la barge prévue à cet effet ayant déjà été rendue inopérante.
« La liberté de circulation d’accord, mais la violence alors, c’est admissible ? Moi, j’habite aux Hauts Vallons et j’entends des lacrymos tous les soirs. Vous n’imaginez pas comme c’est effrayant. Le collège de Koungou a été attaqué, mais qu’est-ce qu’on fait pour nous protéger ? », proteste cette employée du port de Longoni, en référence à la sortie musclée du préfet Thierry Suquet, qui avait fait sauter les barrages durant un week-end et puis claironné « la reprise économique et sociale de Mayotte ». C’était il y a une dizaine de jours et cette opération de communication a braqué une partie de la population.
« Le Medef nous a expliqué que le collectif ne communiquait plus avec le préfet et que personne ne sait vraiment qui ils sont », assure la responsable RH d’une entreprise. « Mais ils ont des revendications très précises, ils veulent que les campements de migrants s’arrêtent. Je sais que beaucoup ont l’impression que les gens ici sont racistes, mais ce n’est pas ça. Il n’y a pas d’infrastructures pour accueillir les migrants et cela pose des problèmes sanitaires. L’instruction en France, c’est un droit, mais à Mayotte, on crache dessus, c’est le seul Département où il y a des rotations d’enfants dans les écoles. Deux semaines d’école le matin, puis ensuite deux semaines l’après-midi. Tous les Mahorais qui ont les moyens envoient leurs enfants étudier ailleurs. »