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« Notre but est de restituer à cette communauté malbaraise son honneur et sa dignité »

La voix d’Abady Egata-Patché dans son combat pour faire reconnaître l’engagisme indien comme un crime contre l’humanité sera portée par Me Yann Prevost et Me Massimo Bianchi. Ce dernier, avocat du barreau de Marseille, se définit comme une "sorte de bouée pour les libertés" de ses clients et interviendra gratuitement. Son but n’est pas "de déboulonner les statues" mais, par le biais de la justice, de détruire les préjugés et les stigmatisations dont souffre encore la communauté malbaraise pour que "son honneur, son identité et sa dignité" lui soient restaurées.

Ecrit par 2368250 – le mardi 11 janvier 2022 à 18H24

La première plainte déposée par M. Abday Egata-Patché n’avait pas abouti. En quoi, celle-ci sera-t-elle différente ?  

Le fondement juridique n’est pas le même que celui de mon confrère. Je ne fais pas de copié-collé. Nous avons matérialisé un fondement textuel qui est absolument différent. Par un rappel historique des évènements, nous pouvons déterminer que l’association Mémoire de Crève-Cœur et M. Abady Egata-Patché sont dans leurs droits.

Nous avons laissé à l’appréciation, pour l’instant, du ministère public comme garant des libertés publiques et du respect de la législation pénale, le fait qu’il convient de faire émerger la vérité sur un passé douloureux qui a marqué l’histoire de La Réunion. Ces descendants des engagés, qu’on appelle de manière familière les Malbars, sont encore discriminés à La Réunion, aujourd’hui. Quand vous arrivez à La Réunion et que vous êtes un métropolitain, la première chose que vous apprenez sur les Malbars, c’est les  « 3 V » (vilain, voleurs, vantards). C’est hallucinant […]. Nous sommes partis de l’historique de l’esclavage et de son abolition pour venir jusqu’à l’engagisme avec l’abolition progressive de la traite de l’esclave, on a déterminé qu’on a fait appel à des travailleurs étrangers en Asie et d’Afrique pour satisfaire les besoins en main d’œuvre des colonies. Et c’est par l’engagisme que plusieurs millions de travailleurs sont venus, notamment dans l’océan Indien, en l’échange de la promesse d’une vie meilleure. Ils ont signé un contrat d’engagement. Nous fait un travail de moine durant huit mois, loin de la première plainte qui tenait sur deux pages.
 
Vous avez donc mêlé le travail d’avocat qui se fonde sur des articles de loi et celui de l’historien qui doit se plonger dans le passé.

Absolument, on a réussi à déterminer qu’on peut assimiler l’esclavage à un crime contre l’humanité. Bien évidemment, cette incrimination doit suivre les principes généraux du droit par les nations civilisées, comme le dit la convention européenne des droits de l’homme en son article 7 paragraphe 2. Nous avons déterminé que nous n’étions pas prescrits. Par définition, les crimes contre l’humanité  sont imprescriptibles vis-à-vis de la disposition de l’article 133-2 du Code pénal. Les crimes contre l’humanité, comme l’atteinte volontaire à la vie, l’extermination et la réduction à l’esclavage comme visés dans les articles 211-1 et 212-3 du Code pénal déterminent que nous sommes dans un schéma d’imprescriptibilité. Aujourd’hui, la survivance de l’action publique contre les personnes morales, auteures de faits est déterminée car nous avons les autorités. Les conséquences contemporaines sont qu’il y a aujourd’hui des répercussions au quotidien. Les Malbars restent les 3V. Ils ne sont rien d’autre. Nous avons établis la qualité à agir de mon client et l’association. J’espère que le parquet aura une lecture courageuse et une lecture conforme. La balle est dans le camp du parquet qui a trois mois pour décider une ouverture d’information.
 
Pour autant, le parquet n’est pas obligé de poursuivre. Jusqu’où êtes-vous prêt à mener ce combat ?
 
Évidemment, si le parquet de Saint-Denis ne devait pas suivre, nous ferons le nécessaire pour saisir un juge d’instruction et déterminer ainsi l’ouverture d’une information judiciaire. En cas de refus, on irait porter le débat devant la chambre de l’instruction et ainsi de suite, devant les juridictions compétentes. Dans tous les cas, nous sommes déterminés à porter cette cause jusqu’à la Cour européenne.

Votre combat judiciaire a une portée politique, dans le sens où la France pourrait être reconnue comme coupable d’un crime contre l’humanité.
 

Il y a un aspect qu’on ne peut pas déterminer comme un aspect politique au sens pur du terme. Il n’est nullement question d’appartenance à un parti, nullement question de la sollicitation de votes. Il s’agit de restituer sociologiquement à une partie de la population réunionnaise sa dignité, son honneur et surtout son identité. On leur a piqué leur patronyme, leur nom de famille et leur lieu de naissance. Il y a des fantômes à qui on a donné des papiers qui sont Français aujourd’hui mais qu’on continue à appeler les « 3 V ». Il y a un aspect qui peut avoir des répercussions d’un point de vue politique, mais ce n’est pas notre but. Nous voulons apporter des réponses aux souffrances de cette communauté. Il ne s’agit pas de demander pardon. Ce n’est pas du wokisme. Nous sommes pas en train de déboulonner des statues. Le débat n’est pas là. Les débat est de dire qu’il faut que ça cesser de les stigmatiser. Surtout, on veut savoir ce qui s’est passé pour permettre à ces gens de retrouver leur dignité, leur honneur et leur mémoire. Pour que nous puissions reconstruire le ciment qui fait nation. Ce ciment fait nation d’autant plus à La Réunion qui est un exemple du vivre-ensemble. La Réunion devrait être un exemple pour la métropole. Ici un Créole peut discuter avec un Yab, un Chinois ou acheter un carri à un Malbar, sans que ça ne créée des problème. Tout le monde vit ensemble. Personne ne se regarde en chien de faïence. Personne n’est choqué si une femme est voilée. C’est une logique sociologique de justice républicaine, de justice indépendante pour restituer une mémoire et un honneur. Ce n’est rien d’autre. Il n’y a pas d’argent derrière. C’est juste l’initiative d’un homme qui a consacré toute sa vie à ce combat et qui a investi énormément d’argent personnel là-dedans.
 
En parlant de cette discrimination que subit la communauté malbaraise, ne faudrait-il pas plutôt revoir les livres d’histoire ?
 
Effectivement, sociologiquement, nous voulons combler un vide, ramener ce ciment. C’est bien d’apprendre à nos enfants, nos ancêtres les Gaulois, mais nous devons obtenir autre chose de l’Education nationale. Nous avons tous des spécificités. Il ne s’agit pas d’oublier la grande histoire de la France qui est admirable pour certains et critiquable pour d’autres. Seulement, si vous regardez le traumatisme intergénérationnel, il est très important. Sans oublier d’autres communautés, vous verrez que c’est rarissime d’avoir un polytechnicien métropolitain incarcéré à Domenjod. Pardonnez-moi, sans vouloir me montrer sectaire, mais en regardant le fonctionnement des juridictions à l’instruction, combien y a-t-il de magistrats malbars ? Zéro. Combien sont procureurs ? Zéro. Greffiers ? Quelques uns. Vous avez beaucoup d’hommes de l’escorte ou de la sécurité des tribunaux qui sont des Malbars [ … ] Y a-t-il un préfet malbar, créol ou kaf ?
 
 Ce travail de mémoire est-il enseigné par les parents aux enfants ou est-ce un tabou ?
 
C’est un tabou. Quand je suis arrivé sur l’île, on m’a dit : « Ne va jamais manger chez un Malbar car il va mettre des trucs dans ton assiette ». C’est un truc de fou. Je suis un métropolitain, un Zoreil, je viens dans le cadre de mon travail. Je ne connais pas cette île et je la découvre au fur et à mesure Comment ça se fait qu’ici, on ne dise pas « Ne va pas manger chez un kaf car il va mettre des choses dans ta nourriture ? » Mais on le dit de qui ? Des « 3V ». Qu’il ne faut pas manger chez eux, qu’ils mettent des animaux morts devant les portails. Bref, ces gens rasent les murs et en prennent plein la gueule. Rares sont ceux qui ont réussi dans la communauté mais ceux qui réussissent, il le font brillamment. Pour un qui réussit, il y en a 100 par terre.

A la Réunion, si vous êtes Malbars, c’est un peu comme si vous étiez Palestiniens à Gaza. Il ne s’agit nullement de remettre en question la structure de La Réunion et sa gouvernance […]. L’histoire est ce qu’elle est. En revanche, quand on a la chance de la connaître, il ne faut pas s’en priver et il faut en tirer comme conséquences qu’on vient de quelque part et ce quelque part vit en nous. On doit pouvoir  arrêter cette mémoire de la douleur qui est transgérationnelle. Il ne faut pas être invisible mais bien visible. Ce n’est pas une assimilation. Ils sont citoyens français depuis bien longtemps. C’est plus que cela. C’est la reconnaissance de l’appartenance d’une partie de la population de La Réunion à une communauté réunionnaise qui est une communauté française, départementale, ultra-marine mais empreinte de culture propre qu’elle soit culinaire, spirituelles. Ce sont des cultures qui viennent s’additionner qui permettent à La Réunion d’être un exemple pour la métropole.
 
Seulement, les Malbars ne sont pas les seuls stigmatisés. Comme dit l’expression populaire : « On est tous l’Arabe de quelqu’un ». D’autres communautés sont victimes de stigmatisation.
 

Malheureusement aujourd’hui, nous sommes tellement disloqués qu’il faut faire sens, il faut faire nation. Il faut rapprocher les gens. Pour cela, il faut sortir de la stigmatisation et du silence. Il faut savoir prendre du recul et, excusez-moi du terme familier, mais on doit pouvoir reconnaitre qu’à cette époque-là tout le monde a « merdé ». 
 
Aujourd’hui, les Malbars sont comme les gitans du coin. En métropole dès que les gens voient les caravanes des gitans, les gens autour se barricadent. Un gitan est automatiquement un voleur. S’il a une Mercedes et une grosse roulotte, c’est qu’il touche les allocations, qu’il vole du cuivre, qu’il recèle. C’est tellement facile. Simplement car il a une belle voiture, on raisonne de la sorte parce qu’un gitan doit être voleur parce qu’il est pauvre. On doit sortir de là. C’est une maladie de l’esprit.
 
Et ça passe par la justice ?
 
Malheureusement, oui. La justice est un mal nécessaire. [… ] Il ne s’agit pas d’aller gratter quoi que ce soit, on ne veut pas de sous. La justice est un passage obligé. On peut faire toutes les conférences qu’on veut, cela ne sert à rien si vous n’avez pas la saisine de la seule autorité qui peut par son indépendance présumée, restituer la légitimité à une victime, la vérité à une famille ou réparer le préjudice qui a été infligé à l’ordre public, à la société, au vivre-ensemble, à la communauté des hommes sur un territoire donné [ …]. On peut essayer de nous montrer que notre plainte est mal fondée. Encore faut-il le démontrer. On peut essayer de nous décourager par le silence, l’ironie, mais nous sommes déterminés car la noblesse de ce combat et son importance symbolique pour le peuple réunionnais est à titre d’exemple. On veut faire preuve d’exemplarité dans l’amour de la République à travers la reconnaissance d’une partie de son histoire.
 
A vous entendre, ce combat vous parle, vous transcende. Vous qui venez d’Italie et n’avez pas la nationalité française, vous retrouvez-vous dans cette démarche judiciaire ? 
 
Je suis profondément attaché aux libertés individuelles. Je suis pénaliste à Marseille. J’ai eu l’honneur de défendre des milliers de personnes et les sortir des griffes d’un système qui dysfonctionne et qui parfois peut les broyer. J’ai joué mon rôle, celui d’être un ressort social, une sorte de bouée pour les libertés des personnes que j’ai eu l’honneur de défendre. Peu importe que les gens soient riches ou pauvres, Malbars ou Suédois, mon engagement était toujours total […] J’existe seulement pour ceux qui veulent un vrai avocat. Je souhaite que M. Abady Egata-Patché de son vivant puisse se voir restituer son engagement par la reconnaissance. Avec mon confrère Yann Prevost, on est des sentinelles de la liberté. On se lève parce que nous avons un supplément d’âme. Ce supplément d’âme, malgré les ecchymoses qu’on nous inflige, malgré le fait qu’on sait qu’il y a un mur de six mètres incliné, nous permet de l’escalader à mains nues. On essaye jusqu’au jour où on n’y arrivera plus. Nous sommes comme des chien de chasse, nous reviendrons à l’attaque à chaque fois. C’est notre instinct et c’est notre mode de fonctionnement.
 
Est-ce que personnellement, vous aussi, avez été victime de discrimination ?

Même ici à La Réunion, je me suis fait massacrer et crucifier. Par exemple, certains de vos confères qui veulent me matérialiser comme le grand requin de Marseille ou l’avocat de la mafia italienne. C’est la même chose que les « 3V ». On part du même supposé discriminatoire qui consiste à dire : parce qu’il vient de Marseille, c’est un mafieux. On est toujours le mafieux de quelqu’un, comme on est le toujours le Malbar de quelqu’un et on est toujours le « 3V » de quelqu’un, peu importe sa couleur, sa religion. C’est terrible. A Marseille, on m’appelle l’Italien. Personne ne m’appelle le Marseillais à Marseille. Et ici, on m’appelle le Marseillais. Ceux qui m’ont discriminé ce sont les Blancs. Il faut arrêter avec la stigmatisation. On a d’autres problèmes. Il faut regarder les gens et leur cœurs. Il ne faut pas regarder leur taux de mélanine. Ce n’est pas leur taux de mélanine qui induit leur cœur. Le cœur, vous l’avez ou pas. [ …] Mon seul combat est un combat pour la vérité et la dignité, mais à l’aune d’une volonté de rassemblement, d’une volonté d’amour pour le peuple de La Réunion dans son intégralité, dans toutes ses articulations et non pas par des segments, des fragments.
 
N’est ce pas le combat de David contre Goliath, quand on voit la place qu’occupe l’extrême droite dans les médias et sur les plateaux télévision. À croire que les stigmatisations deviennent la norme à force de nous les répéter ?
 
Abady Egata-Patché est un homme qui est dans l’apaisement, dans l’amour et dans la sincérité. Pour lui, il n’y a pas de place pour le terrorisme intellectuel ou physique. Pour lui, le débat sur l’extrême droite est un non-débat car elle n’a pas à exister. Il appelle cela : « Les petits serpents qui se nourrissent de la douleur et de la haine ». Il m’a demandé et je le cite : « Maître, j’ai besoin de vous, le samuraï. J’ai besoin d’un guerrier pour couper la tête des petits serpents ». Il me l’a dit en joignant les mains en signe de prière et baissant la tête comme signe de remerciement. Quand vous voyez cela, il faut mener ce combat pour ce grand Monsieur. On ne peut laisser l’extrême droit se populariser. Si demain, il faut mener ce combat pour une autre communauté, je le ferai.  
 
Votre combat va plus loin que la simple reconnaissance d’une stigmatisation d’une communauté. Vous voulez combattre ses raccourcis et ses préjugés qui empoisonnent nos existences.
 
Le but est de restituer du sens au vivre-ensemble, le plaisir de se rencontrer et d’échanger sans à priori, sans me dire parce qu’il est Malbar, je dois cacher mon portefeuille ou si parce qu’il est Chinois, il doit être en train de m’espionner. Ce ne sont que des délires qu’il faut casser. Sinon, tout devient paranoïa et complot. On devient le voleur de quelqu’un. On est le comploteur de quelqu’un. On est le dissident de quelqu’un. J’en ai que faire de ça. Je veux de l’amour entre les gens. J’ai quatre enfants français. J’ai une femme française. Je paye mes impôts en France depuis 25 ans et j’en suis fier mais je me fais massacrer, alors que je pourrais aller m’installer à Monaco ou à l’étranger. Si tu veux participer à une société, tu dois payer tes impôts et tu dois participer à la collectivité. Je n’ai pas le droit de vote mais je paye mes impôts. Je n’ai aucune reconnaissance particulière mais j’ai le droit de faire un métier. Un métier d’artisanat, d’art de la procédure. Je le mets à la disposition de causes nobles pour que la France se pérennise dans l’amour et non dans la haine, la stigmatisation.

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