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Harcèlement sexuel : L’exception sexuelle ?

"La guerre des sexes aura-t-elle lieu ?"

Ecrit par Régis De Castelnau – le mercredi 15 novembre 2017 à 18H36
« La guerre des sexes aura-t-elle lieu ? » titrait en 2002 le Nouvel Observateur. Depuis les révélations sur les agissements de l’infâme Weinstein, nous voyons, effarés, s’allonger chaque jour la liste de ses victimes, tout comme celle d’autres prédateurs et satyres, du moins pour les plus célèbres d’entre eux. La dernière personnalité mise en cause (à l’heure où ces lignes s’écrivent) est l’islamologue Tariq Ramadan, qui annonce son intention de porter plainte pour dénonciation calomnieuse. Cependant que Marlène Schiappa, héraut (le féminin n’est pas encore proposé) et Secrétaire d’État auprès du Premier Ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, réfléchit, avec l’aide de l’inénarrable psychiatre Muriel Salmona, à « l’impunité des crimes sexuels »…
 
[par Paul Bensussan, psychiatre, ]urlblank:http://www.vududroit.com/?s=http%3A%2F%2Fwww.vududroit.com%2Fwp-admin%2Fpost-new.php%3FPHPSESSID%3Deu1nhjbh5sjnjmgnvv798k05g0%23_ftn1
[expert agréé par la Cour de cassation et par la Cour pénale internationale de La Haye]urlblank:http://www.vududroit.com/?s=http%3A%2F%2Fwww.vududroit.com%2Fwp-admin%2Fpost-new.php%3FPHPSESSID%3Deu1nhjbh5sjnjmgnvv798k05g0%23_ftn1  [1]
 
« Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante », écrivait Montesquieu dans ses Lettres persanes. Plus encore en matière de délinquance sexuelle… C’est sans doute en raison de la noblesse de la cause, mais aussi de l’impossibilité de faire entendre des voix contraires, que sans trembler et avec une belle détermination, la Secrétaire d’État « réfléchit à l’impunité des crimes sexuels ». Et s’est vu pour cela remettre un rapport par la psychiatre et traumatologue Muriel Salmona [2], proposant entre autres mesures-phare l’imprescriptibilité des crimes sexuels.

Plus réservée, l’animatrice Flavie Flament ( !) ne proposait en matière de viols sur mineurs qu’un allongement du délai de prescription [3]: 20 ans après la majorité, c’est court, lorsque l’on sait qu’il faut parfois des décennies, voire toute une vie, pour recouvrer la mémoire du traumatisme enfoui ou, si on ne l’a pas perdue (la mémoire) trouver le courage de parler. Ce qui, en novlangue, pourrait se traduire par : pour que la parole se libère.
 
Les féministes de l’aile furieuse se réjouissent : « libération de la parole », « loi du silence », « impunité des criminels sexuels », sont égrenées au fil des articles, telle une litanie de poncifs laissant pour la plupart entendre que la législation et la justice française (sans parler de la police) font preuve, vis-à-vis des délinquants sexuels, d’un coupable laxisme.
 
Sans que nul ne s’étonne, ou ne s’en indigne, des propos militants (et jargonnants) abondent dans un rapport qui devrait se vouloir avant tout scientifique. « Culture du viol (pas moins !) et impunité », « déconstruire [sic] le déni et la loi du silence »… Comment les magistrats français peuvent-ils ainsi laisser dire et écrire, par tous media confondus, que la justice française est aussi désarmée, quand on ne la dit pas complaisante ? Tout simplement parce que la cause et les slogans qui la résument sont trop consensuels pour que l’on puisse s’y opposer. Et surtout trop binaires. « Slogan » : une formule courte, destiné à propager une idée, soutenir une action. Si l’on critique un manifeste « contre » l’impunité des crimes sexuels, cela signifie-t-il qu’on est « pour » cette impunité ? Peut-on s’indigner des outrances ou des sophismes militants sans être suspecté de faire partie des partisans de la « loi du silence », terme que l’on réservait autrefois aux enfants victimes d’abus sexuels et qui s’applique à présent aux femmes victimes ?
 
Ou plaignantes. Car tel est bien le problème et l’immense difficulté de la chose : nul(le), parmi les militants, ne semble faire la différence entre victime et plaignant(e). Aucune autre explication ne peut être proposée au fait que 93% de femmes disent avoir été harcelées sexuellement au cours de leur existence. Si chacune d’entre elles avait déposé une plainte, aurait-il fallu condamner la totalité des harceleurs mis en cause ? Ou plutôt, comme l’exige le droit, tenter de réunir les preuves, à défaut les témoignages, ou un faisceau d’arguments ? Cette rigueur juridique est intolérable à « celles et ceux », pour parler en langage actuel, qui s’indignent de la proportion de classements sans suite, assimilée à une impunité.
 
C’est dans le même élan bien-pensant, dans une même empathie pour les victimes et surtout sous les mêmes pressions militantes que la loi contre le harcèlement sexuel au travail dite « loi de modernisation sociale » votée en 2002 [4], avait considérablement élargi l’infraction introduite en 1992 dans le Code pénal. Nous avions à l’époque critiqué la nouvelle définition, si floue qu’elle semblait inapplicable [5]. Les Sages du Conseil constitutionnel avaient d’ailleurs décidé, le 5 mai 2012, d’abroger ce texte de loi et ce délit [6]. Leur décision avait fait l’effet d’un coup de tonnerre et, à la veille du second tour des élections présidentielles, avait déclenché la réaction immédiate des deux candidats, promettant de concert le vote d’une nouvelle loi. De fait, le délit de harcèlement sexuel n’existait plus dans le Code pénal, du moins le temps du remaniement de sa définition : une nouvelle loi avait été promulguée le 6 août 2012, sans satisfaire les militants. Un bref rappel de cet épisode nous éviterait peut-être de commettre les mêmes erreurs.

Introduite dans le Code pénal en 1992, la notion de harcèlement sexuel était initialement fondée sur l’abus d’autorité : seules les relations sexuelles « extorquées » étaient visées, la loi permettant de sanctionner ceux qui, usant de leur pouvoir hiérarchique, exerçaient des pressions sur une personne, évidemment subalterne, afin d’obtenir « des faveurs de nature sexuelle en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes, exerçant des pressions graves ». En clair, était harceleur celui qui usait du pouvoir exorbitant de recruter ou promouvoir celle qui se montrait complaisante ou, à l’inverse (et plus intolérable encore), de virer ou « placardiser » celle qui l’était moins. Celle ? La loi prévoit évidemment tous les cas de figure. Mais ne soyons pas hypocrite : l’écriture inclusive n’était pas encore en vogue et ce sont bien les hommes qui se comportent en prédateurs et les femmes qui en sont les victimes potentielles.

Jusqu’en 2002, l’auteur du harcèlement était donc par définition un supérieur hiérarchique et le texte de loi dénué d’ambiguïté. La loi dite de « modernisation sociale » avait considérablement étendu la notion de harcèlement. Le lien de subordination et l’abus de pouvoir avaient disparu de la définition et le harcèlement pouvait émaner d’un pair, voire d’un subalterne. Exit aussi les pressions, promesses, menaces ou représailles…

Mais alors, que restait-il et comment était défini le harcèlement sexuel ? Le plus banalement du monde, par l’article 222-33 du Code pénal, en forme de tautologie : « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ». La directive européenne de 2002 entretenait d’ailleurs le flou et l’arbitraire, en définissant le harcèlement sexuel comme « un comportement non désiré à connotation sexuelle ». Une drague entre collègues, perçue comme lourde ou insistante, devenait un délit potentiel.

C’est précisément ce flou qui que relevait le Conseil constitutionnel : comment définir un délit par la seule subjectivité de celui ou celle qui se plaint ? L’authenticité émotionnelle de la plaignante, si elle était révoltée ou bouleversée, devrait-elle suffire à définir le délit ?
La loi de 2002, dite « de modernisation sociale », avait été accueillie comme un progrès considérable par les mouvements féministes. Parmi les évolutions applaudies, figurait pourtant ce que les juristes appellent le « renversement de la charge de la preuve », mettant le présumé harceleur en demeure de prouver sa bonne foi. Ce qui faisait dire à Catherine Le Magueresse, juriste, présidente de l’Association Européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail : « Beaucoup de victimes [la confusion est constante entre victimes et plaignantes] étaient découragées par la loi, car c’était à elles d’apporter la preuve des faits. Désormais, l’accusé aussi devra donner des preuves de son innocence ! ».

Quel progrès, en vérité. Ce qui faisait dire à François Fillon, alors Ministre des Affaires sociales, en séance parlementaire du 19 décembre 2002 : « Dans quel autre domaine accepte-t-on que l’accusé soit seul amené à fournir les preuves de son innocence ? Il n’y en a pas ! ». Il est vrai que, relus après la campagne des élections présidentielles de 2017, ces propos prennent une résonance particulière. Il reste que cette prise de position était courageuse.

Tout se passe en effet comme si, lorsque le crime ou le délit est sexuel, les règles classiques du droit pénal ne peuvent (ou ne doivent) plus s’appliquer. C’est bien cette « exception sexuelle du droit », selon la belle expression de Marcela Iacub, que remet en cause promeuvent aujourd’hui les thèses en faveur de l’imprescriptibilité : certes, on sait qu’après 20, 30 ou 40 ans, la preuve sera impossible à apporter. Mais qu’importe, dès lors que l’on confond réparation psychologique et réparation judiciaire et qu’on estime que celle-ci est l’indispensable préalable à celle-là ? Citons simplement les propos de l’avocat Claude Katz, à propos de la suppression du délit de harcèlement sexuel : « Cela est frustrant pour la victime, pour qui la déclaration de culpabilité est très importante, cela lui permet en effet de se reconstruire » [7].

La prise en compte de la violence psychologique par les tribunaux est un progrès essentiel : elle suppose la reconnaissance d’une violence invisible. De même, le fait que le harcèlement devienne, à la faveur d’une actualité, un débat de société est une avancée que nous saluons qu’il ne s’agit surtout pas d’éluder : on voit d’ailleurs se rallier à la cause, avec le #TousConcernés, des hommes aussi révoltés que les femmes par le comportement de leurs pairs [8]. Mais lorsque la psychiatrie et la psychologie se caricaturent elles-mêmes et envahissent le prétoire, contaminant jusqu’au discours des avocats, exigeant que le sentiment d’avoir été victime suffise à obtenir une condamnation et que la délation devient une compétition nationale, toutes les dérives sont à craindre.

Ce sont ce terrorisme intellectuel et cette pression « victimologique », cette « Dictature de l’émotion » [9], qui avaient poussé le législateur à satisfaire, en 2002, les revendications féministes en élargissant à outrance le champ du harcèlement sexuel.
Espérons qu’en 2017, le sens critique ne lui fera pas défaut.
 
 
[[1]] dernier ouvrage paru : Le Nouveau Code de la Sexualité, avec Jacques Barillon, éditions Odile Jacob

[[2]] Salmona M., « Manifeste contre l’impuni des crimes sexuels », 20 oct. 2017″

[[3]] [Mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur.e.s]urlblank:http://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2017/04/Rapport_MissionConsensus_VF.pdf , co- présidée par Flavie Flament et Jacques Calmettes, 10 avr. 2017
 
[[4] L. n° 2002-73, 17 janv. 2002, de modernisation sociale : JO, 18 janv. 2002

[[5]] Jacques Barillon et Paul Bensussan, le Désir criminel, Odile Jacob, 2004

[[6]] Paul Bensussan et Barbara Casalis, « Harcèlement sexuel : l’intolérable brèche », Rebonds, 16 mai 2012

[[7]] Neuer L., « Suppression du délit de harcèlement sexuel : quels recours pour les victimes ? », 4 mai 2012

[[8]][ Il faut souhaiter à ces vertueux de ne pas se voir « outés » dans les jours qui viennent : par les temps qui courent…]urlblank:http://www.vududroit.com/

[[9]] Paul Bensussan et Florence Rault, la Dictature de l’émotion, 2002, éditions Belfond

[Suivez le Zinfos Blog de Régis de Castelnau.]urlblank:http://www.zinfos974.com/decastelnau/

 

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