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Entre rires et gourmandise: Vangassayes, poissons d’ail, une bombe atomique au Piton… Un tour de l’île dans les sixties (3)

Souvenirs, souvenirs

Ecrit par zinfos974 – le samedi 21 mars 2020 à 11H13

Nous en étions restés aux débuts de la zone Est, avec les bichiques, chevaquines et autres bouillons coquilles… On ne saurait parler de l’Est sans évoquer le cirque de Salazie, coin charmant, plein de gens agréables et de surprises très cocasses.

Salazie a, de tout temps, été le royaume du chouchou et du cresson. Ah ! Qui dira jamais assez le charme mystérieux d’un « soussoute-la-morue » sinon d’un cari « porc-cresson » bien onctueux, gras à souhait, j’en salive rien que de l’évoquer. Mais Salazie, c’est bien plus que ça, et ce n’est pas Stéphane Fouassin qui s’inscrira en faux.

Pisse-en-l’air, pâtés-piment, bombe atomique au Piton

Le charme vous saute à la gorge un peu avant le pont de l’Escalier, avec la célèbre « roche Pisse-en-l’air » : si on a laissé découvert le cabriolet, on en prend plein la gu… pour pas un rond. Au village de Salazie, halte obligée chez quelques-uns des fabricants de charcuterie et autres petits pâtés-piment dont ils ont le secret par là-haut. La gourmandise est soi-disant un péché, je suis farouchement contre cette affirmation grotesque.

Lorsque j’étais à la rédaction du Mémorial, j’eus cette chance immense de rencontrer chez lui, à Mare-à-Citrons, René Payet, ingénieur des Ponts et Chaussées, ex-pilote de chasse et inénarrable directeur de l’usine de Rivière-du-Mât.  Il habitait une merveilleuse maison toute en bardeaux, avec un vivier rempli d’anguilles et de poissons. Cet homme vraiment hors du commun avait réellement modernisé le fonctionnement de son usine. Car s’il était… « original », personne n’a jamais dit qu’il était con !

Il avait imaginé un moyen génial pour résoudre deux gros problèmes de La Réunion, le manque d’eau et les ravages cycloniques.

« Allons fé pète in’ bombe atomique su le Piton-des-Neiges ! » avait-il lancé, suffoquant d’incompréhension l’île et la communauté scientifique au grand complet. « Cela va créer un énorme cratère qui se remplira d’eau et résoudra nos problèmes d’approvisionnement pour l’éternité ».

 

Mais il avait un autre argument, le René : « Notre Piton est trop haut ; c’est  lui qui attire les cyclones ». Il a été prouvé, depuis, que c’est exactement le contraire : les reliefs bien fournis ont plutôt pour effet de repousser les météores. Et puis, personne, à son grand dépit, n’a apporté la moindre foi aux délires abscons de René. Moi, malgré tout, j’aimais bien ce vieux bonhomme bien original, bien dans la lignée des Tatave ti-couteau, Adrien ti-canif, Téophile et autres Vieux-Lion. Sans eux, il manquerait un grand charme à notre « grande » histoire de tous les jours.

Yabs-chouchoux ? Yabs-la-taille ?

Il y eut aussi, à Salazie, du raisin, de cette même espèce « Isabelle », fournissant le même « vin qui rend fou » (Ouaf ! Ouaf !) qu’à Cilaos. La production a été abandonnée voici longtemps. On me dit qu’elle reprendrait vie actuellement… Outre le « raisin à vin », Salazie, Grand-Îlet et Mare-à-Vidot fournissaient aussi un magnifique chasselas très bien vendu sur tous les marchés.

Les parents de nos copains salaziens pensionnaires au vieux lycée, se tapaient le trajet Grand-Îlet/Roche-Ecrite pour venir en vendre à Saint-Denis le jeudi. Gaspe ! Ils en apportaient un peu pour nos copains, les Yabs-chouchoux (nous, nous étions les Yabs-la-taille), et nous en profitions largement car plus généreux tu meurs.

Après le Voile-de-la-Mariée, la montée vers Hell-Bourg relevait de l’Himalaya : seuls les véhicules à fort tirant pouvaient y prétendre. Car la côte se posait un peu là !

Pour les cars-courant-d’air, pas de problème : ces engins disposaient d’un moteur surpuissant. Pareil pour les Citroën C11 et C15 qui engloutissaient ces fichus virages sans sourciller. Pour tous les autres véhicules, sans exception, ils devaient aborder ces maudites côtes… en marche-arrière. Car sur les voitures de cette époque, la marche-arrière était mille fois plus puissante que la 1è. Bonjour le torticolis des chauffeurs.

A Hell-Bourg, l’enchantement était immanquablement au rendez-vous. Coquettes maisonnettes en bois-de-tamarin et bardeaux ; caris poulets « grands-pattes-grands-collets », civets zanguilles, zandouilles-zharicots, zandettes frites, bouillon brède « creusson », raisin, fruits à gogo… et surtout, surtout, la gentillesse et l’indolence d’une population à la douceur renommée depuis toujours.

Bon Dié, siouplé !

 

Nous revenons sur la côte Est ?…

Dans ce périple circulaire que beaucoup ont oublié, il y avait Sainte-Anne et Sainte-Rose, leurs bouillons-coquilles et poissons rouges, vendus directement sur le bord des routes par des pêcheurs qui vous racontaient, les yeux encore rougis, que « na trois jours mon cousin la coule èk sa pirogue ».

Ces pêcheurs-vendeurs étaient des gens durs à la peine ayant toujours suscité chez moi la plus vive admiration. Ils travaillaient dans des conditions épouvantables, les infrastructures ne rêvant même pas alors d’être aménagées. Ils s’y mettaient à 10 pour tirer, le long de faibles accès mal bétonnés, leurs pirogues, luttant contre une mer toujours mal lunée Dangereux ? Certes ! Aléatoire ? Encore plus ! Mais ils le faisaient parce que « la case nana femme èk z’enfants ! »

Encore plus digne d’admiration, ces gens trimant plus que des boeufs-charrettes, conservaient, en guise de contre-poison je suppose, un humour de tous les diables. L’histoire suivante, on me l’a certifiée et je vous la vends comme telle, est originaire de Sainte-Rose :
Un brave pêcheur-pirogue n’avait rien remonté depuis des jours. Ses enfants criaient famine. Le soir à 22 heures, avant de sortir en mer, il implora un improbable bon dieu qui, jusqu’alors, ne l’avait guère inondé de ses largesses : « Bon Dieu, siouplé ! Donne à mwin deux trois poissons à soir. Zenfants la faim mi dis aou. Hein ! Si ou donne a mwin in pé poissons, domain mi sa l’église brûle in chandelle po ou ! » 

Sur le coup de minuit, voilà que ça marche. La ligne se tend et le brave homme remonte un superbe poisson rouge. Ravi mais goguenard, il regarde le ciel et dit : « Alorss’, a ou aussi il fo promette in bougie po gaingn in zaffair ? Ben pou out’ bougie-là, ou va attende su’l côté d’tantôt ! » Manque de bol, une vague crée un gros tangage, le poisson en profite pour battre de la queue et regagner l’océan.

Désolé comme Job, le pêcheur regarde le ciel et dit à Dieu : « Alors a ou aussi ou comprends pas in’ ti plaisanterie ? »

Bigarades et brosses-coco

Plus loin, dans les forêts du Grand-Brûlé, il y avait sur les murets bordant la route, des gosses en guenilles vendant vangassayes et bigarades, enfilées sur des branches, les agrumes certainement les plus immangeables de la planète, d’une effroyable acidité. Mais pour des limonades, elles sont sans pareil. 

Saint-Philippe, à quelques encablures, a de tout temps été le royaume de la vanille (ça on le sait), du poisson d’ail et des maisons astiquées. J’explique… La vanille de Saint-Philippe se passe de commentaire. Je vous recommande chaudement une recette très personnelle, le T-Bone (ou le filet d’angus) grillé à la vanille. Si vous êtes sage, peut-être que je vous la donnerais ?

Pour le « poisson d’ail », il s’agit d’une espèce dont je suppose que 99,99% des Réunionnais se demandent de quoi je parle ? Ce poisson, très beau et, malheureusement pour lui, délicieux, existait en grand nombre dans la région de Saint-Philippe. Un poisson argenté, long, très rond, charnu et si délicieux que c’en était un péché.

Mais ce qui a toujours soulevé en moi (pas en moi seulement) un profond émerveillement, c’est l’état des maisons de cet endroit. La plus petite baraque, la bicoque la plus pauvre étaient d’une propreté stupéfiante. Nous le voyions bien en passant devant : l’extérieur était exempt de taches ; et pour ce que nous pouvions en voir en passant devant, les planchers intérieurs brillaient ; d’un rouge stupéfiant. On sentait bien que la maîtresse de maison y allait chaque matin de sa brosse-coco.

La rouroute et curé de combat

A Saint-Joseph, nous faisions provision de safran et de « la rouroute » (arrow root) de Plaine-des-Grègues. De charcuterie aussi. Mais ce qui nous passionnait le plus, c’était la légende de la Grotte-des-Hirondelles.

Je la connais bien, cette grotte, pour l’avoir (un tout petit peu) visitée plusieurs fois avec les copains, chaque année au mois d’août, pendant les vacances chez Pépé Mémé. Elle est face à l’océan. Certains prétendent, mais la spéléologie m’a toujours révulsé, que si on la suit patiemment, on arrive dans la cour de l’école des garçons, de l’autre côté de la rivière des Remparts. Nous étions fous mais pas au point de vouloir percer ce mystère ; ce dernier restera entier jusqu’à ce que deux plus cinglés que nous, genre Vax/Tonton tentent l’aventure.

Il y avait encore plus drôle… Il y eut, plusieurs décennies durant, un curé de choc pour gérer la spiritualité des habitants de cette commune chère à mon coeur. Le père Le Ch…

Ce curé de choc, style Don Camillo, s’était juré de dresser ses ouailles contre les impies. Surtout politiques. Quelques semaines avant les élections, il ne manquait jamais de faire la leçon au petit peuple :

« Mes très chers frères, dimanche prochain, vous allez voter pour élire votre maire, pour choisir un remplaçant à Monsieur Raphaël Babet. Vous ferez votre devoir de citoyen en votre âme et conscience. Vous voterez Raphaël Babet ! »

 

L’église avait été entièrement rénovée par Raphaël Babet et la cure largement modernisée par le même député-maire. Je ne dis rien, là… On raconte également volontiers que lorsque la saint père L. C. s’en allait remettre dans le droit chemin ses ouailles perdues de quelque îlet, Roche-Plate etc., il y était transporté en chaise-à-porteurs soulevées par des employés communaux. Les chemins du Ciel sont donc réellement impénétrables.

Plage fantôme et les p… du flic

A Manapany, murènes, congres, calottes (bonnets-le-prête), sapo-sinois, birgots, colimaçons, et surtout, quand on avait une chance de cocu, « LA » plage de Manapany. Une plage qui a bel et bien existé. Qui existe toujours et dépend uniquement des grandes marées océaniques.

Il y a une plage de sable noir qui se pose à Manapany un mois dans l’année. Puis surviennent les grandes marées et ce sable se barre.

On le retrouve sur la petite portion littorale au nord d’Etang-Salé, sur la plage (?) de Trois-Bassins. Après ? Ben après, ce sable se barre on ne sait où. Puis revient où il peut bien.

Et ainsi de suite…

A Saint-Pierre, ville et commune indescriptibles, chères à mon coeur, on trouve tout ce qu’il y a ailleurs. Douceur de vivre, gourmandises, musique, chaleur de l’accueil… Mais c’est la seule ville aussi à ma connaissance, où un flic profita de son statut d’intouchable pour se monter un réseau de p… Elles opéraient dans un petit snack au bord de la plage.

Et maintenant, je ne peux m’empêcher de vous dire pourquoi Saint-Joseph, outre Pépé et Mémé, est si chère à mon âme…

C’était une saleté de nuit de décembre 1955, devant l’Hôpital de Saint-Joseph. Une femme sortit en grimaçant de l’institution. Nous prîmes d’abord la grimace de notre mère pour un sourire. Avant de comprendre que notre Papa venait d’y passer sur la table d’opération. Il avait 33 ans et s’appelait Jules.

 

A LIRE OU A RELIRE LES PREMIERS VOLETS :

[« Souvenirs, souvenirs… » : Entre rires et gourmandises (1)]urlblank:https://www.zinfos974.com/Souvenirs-souvenirs-Entre-rires-et-gourmandises-1_a150423.html

[Souvenirs, souvenirs… Entre rire et gourmandise : Zizimes, boeuf mort et bibi-jacquot : Un tour de l’île dans les sixties (2)]urlblank:https://www.zinfos974.com/Jules-Benard-Souvenirs-souvenirs-Entre-rire-et-gourmandise-Zizimes-boeuf-mort-et-bibi-jacquot-Un-tour-de-l-ile-dans_a150715.html

 

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