Claude Vinh San, une rare élégance morale et physique
Seuls ses très proches le savaient au bout du parcours. Avec la courtoisie innée des originaires d’Extrême-Orient, il refusait d’embêter les autres avec ses soucis. La nouvelle a donc frappé chacun de stupeur : Claude faisait partie des immortels. Et en fait, il va le rester.
Claude me laisse une image d’une rare élégance, aussi bien morale que physique, à la courtoisie sans faille, l’esprit ouvert au monde. Plus généreux que critique envers les autres, il ne se lançait jamais dans une diatribe sans la contrebalancer par une appréciation flatteuse, destinée à racheter l’autre.
Et toujours la main tendue vers l’ami dans le besoin, je suis bien placé pour le savoir.
Le grand public retiendra avant tout le musicien, c’est compréhensible. De très nombreux chanteurs et instrumentistes sont passés par le Jazz tropical (et non le contraire comme l’a dit une présidente !).
Claude et ses amis ont fait les beaux jours de l’Hôtel d’Europe, comme Tropina, Barre, Julot Arlanda, comme l’ami Luc aussi. Ce fut un compositeur prolixe.
« Missié Satan »… « Maloya »… « Régina »… « Séga hula hop »… « Ti Cafrine là »… le très malicieux « Bonbon coco »… Mes préférés restent « Ton ti geule rose », superbement réalisé par un Narmine en pleine forme ; et surtout, « Biguina coco », qui me ramène invariablement à mes premières années au vieux lycée car on l’entendait le samedi soir sur l’ORTF. Nostalgie… Il pleut dans les yeux…
Claude aimait jouer et aimait donner du plaisir aux danseurs. Pour cela, il s’est toujours entouré des meilleurs, souvent des jeunes à qui il donnait leur chance. On n’en finirait plus de lister tous ceux qui sont passés par le Jazz tropical:
Narmine, bien sûr, mais aussi Espel, virtuose de la guitare ; Georges Amaury, « son » chanteur ; Teddy, Harry et Guy Pitou, les as “prêtés” par Loulou son pote ; Axel Trémoulu, autre grand six-cordier ; Jimmy Tarby (« Biguina coco ») ; Copette-le-Grand ; et Ti-Vellaye, le papa de Ti-Coq, à la batterie et au « grattèr »…
Le jour où Claude découvrit l’immense talent du jeune accordéoniste surdoué, Didier Jeannette, il s’empressa de le faire connaître dans les bals et à la télévision. Ce fut toujours son souci, aider ceux qui le méritaient.
Claude restera aussi un homme de lettres. Avec ses poèmes et chansons, mais également par la splendide biographie qu’il a consacré à un autre héros de l’histoire et du patrimoine de Bourbon : son père, Duy Tan Vinh San, dernier empereur d’Annam. Il lui a non seulement rendu hommage à travers ses phrases si belles et si simples, mais a également fait procéder au retour à Hué de ses cendres dormant depuis 1945 près de Bangui où son avion avait été abattu par… ceci est une autre histoire.
Nous venons coup sur coup de perdre Narmine, Ange et aujourd’hui Claude. Je sais que là-haut ils se tapent un sacré bœuf à notre santé.
Je n’arrive pas à effacer leurs numéros de mon répertoire. Salut à toi, dernier prince d’Annam, ultime prince de Bourbon. La chaleur de ton sourire va salement me faire défaut.