Un plaisir effrayant, voilà ce que l’on ressent à la lecture de ce roman, formidable à tous points de vue. On y rencontre à chaque page d’importants dirigeants politiques de l’actuelle Russie. Dont le premier d’entre eux, Vladimir-le-Petit dont l’auteur décline dans les moindres détails un cerveau plus reptilien que celui d’un mamba noir. Ce qui donne à penser que le pire est encore à venir.
Guiliano da Empoli, conseiller politique et essayiste, nous délivre ici son premier roman et, pour un coup d’essai, réussit un coup de très grand maître ; le Grand prix du roman de l’Académie française, rien que ça. Chapeau gars !
Peut-on le qualifier de polar ? Certainement pas. De roman social ? Encore moins. De roman politique ? Sans doute. De roman à flanquer la frousse ? Beaucoup certainement mais loin de la façon de Stephen King, lequel joue avec nos sentiments et nos moulins-à-poivre jusqu’à la dernière ligne.
Ici, on sait de quoi on parle et qui sont les protagonistes. L’auteur, avec de savants artifices d’écriture, nous met le doigt sur les motivations et les roueries de tous les participants de cette affaire, faisant d’événements connus de tous, les éléments de ce qui est bien un roman… sans en être vraiment un.
L’exploit n’est pas mince.
Ce mage, qui réussit à devenir l’Eminence grise du Vladimir en question, nous fait découvrir comment la Fédération de Russie est devenue l’immense mafia qu’elle est ; à partir des errements imbibés d’un Eltsine-Ubu-Jean Bedel-Duvalier-Idi Amine tout à la fois, avec un zeste de Lénine, un soupçon de Mao, une quille de Pinochet et une pointe d’Adolph. Le mélange fout la trouille, surtout quand on nous raconte que Vladimir, par le plus pur hasard, est devenu tout cela lui aussi, l’addiction ébriétale en moins. Le fonctionnement de cet Etat tentaculaire est simple : que les mafias oligarques me foutent la paix sans oublier de verser leur obole, le reste, j’en fais mon affaire. Avec tous les moyens à ma disposition, Goulag, appareil policier, délation, torture, assassinats…
C’est avec cette trame apparemment simple que Da Empoli parvient à nous maintenir en haleine au long des deux-cent-soixante-dix-neuf pages de cet extraordinaire bouquin qui nous laisse positivement sur les rotules. Car l’auteur nous fait comprendre sans ambages que c’est loin d’être fini : le démiurge du Kremlin, on le comprend dès les premières lignes, n’en a rien à foutre du sort de la planète si lui n’est pas au sommet d’une pyramide qu’il a lui-même imaginée.
J.B.
« Le mage du Kremlin »
Giuliano da Empoli
NRF-Gallimard
En librairie.