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Vigies-requins : Pourquoi c’était couru d’avance

La non-validation de ce dispositif pourtant consensuel était évidente. D'une part en raison du protocole de validation, proche dans sa logique du débilisme institutionnel le plus profond, d'autre part en raison de la personnalité de Bernard Seret, à qui l'on a confié le soin de (non) valider, enfin, pour des raisons juridiques évidentes. Explications.

Ecrit par RD/PNE – le vendredi 14 novembre 2014 à 09H45

1/ Une fois de plus : plus c’est gros, plus ça passe

Figurez-vous que si les vigies-requins, solution plébiscitée par les amis des requins (et donc seule acceptable en ces temps de déification des squales, mascottes de la biodiversité menacée), n’ont pas été validées, c’est pour une raison tellement grotesque qu’elle est passée comme une lettre à la poste.

En effet, il fallait « x interactions » avec les requins pour valider le dispositif : il fallait donc que les vigies se trouvent confrontées à des sympathiques bouledogues pour que l’on voie la réaction de ces braves poissons, anthropophages à l’occasion.

Ubu-Roi (des cons) : or l’élément avancé par les tenants des vigies était justement que cette présence d’homme sous l’eau (occupant « la colonne d’eau ») était dissuasive. Et donc ? En x sorties et tests, pas un bouledogue ni un tigre ne s’est approché, n’a été aperçu. C’est donc que l’effet dissuasif fonctionne, a priori.

Que ce serait-il passé s’il y avait eu des « interactions » homme-requins ?

Ce brave Bernard Seret, qui milite contre le caractère balnéaire de la réserve (incompatibilité : effet réserve : changement comportement des prédateurs, l’homme devenant un intrus), aurait conclu à l’inefficacité du dispositif. Aussi sûr que l’eau ça mouille.

Nous sommes en Absurdie, avec des écologistes intégristes, conservationnistes et autres animalistes, adeptes de la pensée magique qu’ils déguisent en science (la biologie animale ça ne vaut pas grand chose : c’est de la science très molle, surtout en matière de connaissance des requins) à qui on a donné les clés. Les aspects sociaux, économiques, empiriques ? A la corbeille !

Bienvenue en technocratie scientiste caricaturale : des experts sans aucune légitimité démocratique, faisant fi de toute expérience des gens de la mer, décident seuls. Les « scientifiques » savent. Que les autres (= ceux qui ne disposent pas d’une thèse en biologie marine) se taisent et accessoirement se fassent bouffer ou voient leur revenus s’écrouler (économie nautique et balnéaire).

Un concours de crétinerie administrative de classe mondiale, cette crise requins ?

2/ Qui est Bernard Seret ?

Bernard Seret, biologiste marin de l’IRD, spécialiste des requins, a cette immense qualité d’être cohérent avec lui-même, qualité qui chez les adorateurs du requin-Dieu est plutôt rare. Cette franchise lui a d’ailleurs valu d’être privé de parole par ses congénères de l’IRD pendant un certain temps (voir cet excellent et donc rare article du JIR « les voix dissidentes ont été muselées », dont je n’ai pas les références sous la main).

En effet, M. Seret a depuis 2011 affirmé sans la moindre ambiguïté le caractère intrinsèquement incompatible de notre réserve marine (dans sa configuration actuelle) avec des activités balnéaires et nautiques : des études ont démontré le changement de comportement des prédateurs au sein de telles réserves (au-delà de l’effet « garde-manger », relatif dans notre réserve à la biomasse assez pauvre). En l’espèce, il semble bien que le requin, surtout bouledogue, si l’est laissé « peinard » au sein d’un espace donné, c’est-à-dire sans concurrence avec l’homme, s’approprie ce territoire. Et comme il s’agit d’une espèce sédentaire (lire la fiche du requin bouledogue sur le site même de l’IRD !) et donc au comportement possiblement territorial, il va « défendre » ce territoire ; qu’il s’agisse d’une zone dite « de repos » (comme l’affirme benoitement Marc Soria du programme CHARC : nous sommes face à des attaques « de repos », sans doute) ou de prédation, ou encore de reproduction, voire tout cela à la fois.

Extrait d’une des déclarations de Seret : « Mon analyse ne plaît pas beaucoup, mais la solution relève selon moi d’une décision politique. Ou on transforme cette zone récifale relativement réduite où se pratiquent la plupart des activités nautiques – 40 km – en parc aquatique et on met les moyens nécessaires pour protéger les usagers. Ou au contraire on décide d’essayer de développer la réserve marine trop petite et morcelée pour en faire une vraie réserve. Avec l’objectif, à terme, d’essayer de reconstituer l’écosystème qu’on avait il y a 15, 20 ou 30 ans, et de faire revenir les requins de récifs. Il y aura peut-être des sacrifices à faire, des activités pourraient disparaître, mais d’autres pourraient aussi apparaître. »Nouvelobs.fr, 17 juillet 2013.

http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20130716.OBS9740/la-reunion-on-ne-pourra-pas-eradiquer-les-requins.html

Vous l’aurez compris, les sacrifiés seront les surfers et les baigneurs et ces chers plongeurs à sensations amoureux du squale, les élus. Faut-il préciser que pour l’essentiel ces sympathiques biologistes marins sont… des plongeurs ?

Donc on demande à quelqu’un de farouchement opposé au caractère balnéaire de la réserve (qui était balnéaire AVANT d’être une réserve) de se prononcer pour une solution de compromis, compromis qu’il a toujours rejeté en bloc et, pour le coup, c’est son droit. Au moins il est honnête. Quoique, s’il l’avait vraiment été, il aurait refusé la mission consistant en l’évaluation d’un dispositif auquel il n’a jamais cru une seconde.

Bravo. Demandons à un collège de bonnes sœurs son avis sur l’implantation d’un club échangiste au Vatican et faisons mine de nous étonner de la « non validation » du projet.

Qui sont les idiots dans cette affaire ? Les surfers ? Les institutions ? Les biologistes marins d’État ? Chacun se fera son opinion.

3/ Le Droit, le grand oublié de cette affaire de vigies

Je me souviens avoir jeté un froid lors d’une réunion de la ligue en présence de Mme Couapel au sujet du plan « vigies-requins renforcé » : tel l’oiseau de mauvaise augure, j’évoquais ainsi l’obligation de sécurité dans le contrat de travail.

Et bien oui, l’employeur est en droit français tenu de garantir la sécurité de ses salariés, obligation sinon de résultat au moins de moyens.

Dans ces conditions, équiper nos vigies de flèches mouchetées (à bouts arrondis pour ne pas faire bobo au gentil requin bouledogue) était une bêtise certaine. A tout le moins, les vigies doivent être en mesure de neutraliser (on parle de poissons) un requin bouledogue agressif. Le volet juridique a été vraisemblablement éludé. Ce n’est pas faute d’avoir alerté à ce sujet. Mais que voulez-vous : les uns et les autres pensent avoir la science infuse et ne s’écoutent que peu. Moralité : on fait du surplace pendant que le bouledogue colonise notre littoral, lagons y compris, comme nous l’avions tous prédit dès 2011. Mais nous étions et sommes encore des abrutis de surfers qui ne pensent qu’à « consommer » l’Océan et ses vagues, pas vrai ?

N’empêche, si l’on avait écouté ces « grattelles » de surfers depuis le début de cette crise requins, qui est accessoirement un scandale requins, on n’en serait pas là : à l’arrêt et en panne.

Conclusion : en quelques jours nous avons eu droit à un festival. Non-validation des vigies, fausse (???) annonce au sujet de la protection nouvelle des requins bouledogues… et requin(s) bouledogue(s) en plein lagon.

Tout cela aurait pu être évité si l’attentisme et la politique de la patate chaude n’étaient pas l’Alpha et l’Oméga de nos tristes institutions dépassées pour ne pas dire méprisantes. J’avais d’ailleurs fait part de mes craintes au sujet de l’enthousiasme institutionnel à l’endroit des vigies-requins, que je trouvais suspect. Les vigies comme une solution éludant les autres, c’était un danger. Nous y sommes, Caprequin excepté. Pire : les vigies ne sont pas validées !

On a clairement poussé, le préfet Marx en particulier (celui-là laissera un souvenir amer à la Réunion), les acteurs du dossier vers ce dispositif, seule mesure « politiquement correcte ». La ligue de surf a déployé ses efforts en ce sens et se voit aujourd’hui gratifiée d’une belle carotte king size que la morale m’interdit de localiser précisément.

Également et plus généralement, on ne peut que déplorer cette approche parcellaire de la crise, chaque spécialiste ne voyant que sa spécialité. Oui les vigies sont un dispositif a priori convainquant, intelligent, consensuel : mais le volet juridique, fondamental, a été ignoré. Comme d ‘autres aspects (sociaux, économiques, sociologiques etc.) sur d’autres dossiers de cette crise.

Comment expliquer, enfin, que personne (ou presque) n’ait compris dès le départ que le protocole de validation des vigies était un vaste foutage de gueule ?

Bref, si l’on ne peut malheureusement pas faire grand chose pour changer le court-termisme et/ou l’attentisme électoraliste de nos institutions (élus et hauts fonctionnaires), essayons au moins de plus nous écouter, nous, associations d’usagers qui nous battons, non pour un « pré-carré » mais aujourd’hui pour la survie de notre belle île.

 

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