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Steeve éborgné par une balle de LBD : Le policier accusé évoque un tir de surprise

Au premier jour du procès du policier de la brigade anti criminalité du Port, accusé d'avoir tiré une balle de LBD blessant grièvement un lycéen en marge des émeutes de février 2014, des versions contradictoires ont été exposées.

Ecrit par 2181159 – le vendredi 22 avril 2022 à 05H16

« Plus l’audience avance et moins je comprends ce qui s’est passé ». Cette phrase de la procureure générale, Fabienne Atzori, partie poursuivante au procès de Philippe P., accusé d’avoir éborgné Steeve, 16 ans, lors des émeutes du Port en février 2014, résume parfaitement le sentiment de ceux qui ont assisté à cette première journée d’audience.

On entend bien le contexte dans lequel les faits criminels reprochés se sont déroulés. Depuis trois jours, les violences urbaines secouaient la cité portoise pour cause d’augmentation du prix des carburants. Dans la nuit du 1er au 2 février 2014, la fébrilité était retombée mais vers une heure du matin, les échauffourées avaient repris. Plusieurs équipages de la brigade anti criminalité étaient engagés afin de faire revenir le calme.

Mais soudain, les incendies avaient recommencé ainsi que les jets de projectiles et de cocktails molotov péi à destination des forces de l’ordre. Philippe P., élément de la BAC de jour du Port depuis 2007, se trouvait avec son équipe. Le quatuor de policiers avait l’habitude de collaborer et se connaissait parfaitement. 

Incendies, barrages enflammées, cocktails molotov péi

Cependant, l’ambiance n’était pas au beau fixe avec le commandement. Les interventions étaient désorganisées et une certaine mésentente régnait. Alors que les affrontements se déroulaient avenue Rico Carpaye, l’équipage de Philippe P. avait en charge les rues adjacentes.

Depuis environ 22 heures, un autre quatuor de jeunes habitant juste à côté avait décidé d’être spectateur des affrontements. « C’était chaud, on s’est retrouvé encerclé » a raconté à la barre Jordan*, un ami de Steeve. Aussi, les quatre dalons avaient décidé de rentrer chez eux en courant.

Vers 2 heures du matin, ils s’étaient dispersés au milieu de la trentaine d’émeutiers. Steeve s’était retrouvé seul à l’angle des rues Berlioz et Ajaccio. A bord d’une 308, l’équipage de Philippe P. était alors arrivé.  Ce dernier aurait tiré une balle de LBD sur le lycéen à un ou deux mètres de distance.

Mésentente et interventions désorganisées au sein des forces de l’ordre après trois jours de lutte

C’est ici que les versions divergent. « Nous avons été saisis par la juge d’instruction afin de chercher à savoir si la victime était un émeutier et s’il avait été blessé de façon réglementaire » a indiqué l’enquêteur de l’IGPN, l’Inspection générale de la Police nationale, dépêché sur place le 11 février. Selon ce dernier, deux riverains, les époux R., ont vu toute la scène par la fenêtre de leur appartement. Le couple voit Steeve au sol recroquevillé, puis deux policiers sortent du véhicule posent alternativement un pied sur son dos comme s’ils allaient l’interpeller, l’insultent puis quittent la scène. Une demi heure après, ils reviennent et, à la lampe torche, fouillent les lieux. Car entre temps, Philippe P. a informé ses collègues : il a tiré. 

A un ou deux mètres de distance, un LBD est une arme létale

« La version du couple comme celle de la victime n’ont jamais varié. Le policier qui a tiré n’était pas en légitime défense.  En revanche, celles des policiers ont été confuses et mensongères » témoigne l’enquêteur de l’IGPN. Celui-ci ajoute que pour chaque tir effectué lors des opérations, les policiers doivent faire un rapport. Concernant Steeve, la règle n’avait pas été respectée. « Ils ont caché les faits pour se protéger et pour couvrir leur collègue qui avait déjà été impliqué dans une affaire similaire en 2009, estime l’enquêteur. A cette distance, l’arme est très dangereuse voire létale ».

« Il a levé les bras et a dit lé bon, lé bon »

Des éléments vigoureusement contestés par l’avocat de la défense, Me Laurent Franck Liénard. Mais aussi par les trois policiers de la BAC qui accompagnaient Philippe P.

Tous ont raconté à la barre une version strictement similaire : ils allaient interpeller Steeve lorsqu’un appel d’un collègue ou d’un supérieur leur a intimé de se rendre avenue Carpaye. Un agent venait de se blesser avec une grenade et avait perdu plusieurs doigts qu’il fallait retrouver. Deux des équipiers qui allaient procéder à l’interpellation, pied sur le dos de Steeve, avaient laissé tomber. Le véhicule était reparti lorsque Philippe P. avait évoqué son tir. « On a fait demi tour et on a croisé le jeune, il nous a dit en levant les bras au ciel Lé Bon Lé bon. Pour nous, il n’y avait rien d’autre à signaler. C’est après quand on a vu que la presse se déchainait que le ciel nous est tombé sur la tête ».

Sauf que pour l’IGPN, cette version ne tient pas, l’appel ayant été reçu alors que Steeve, grièvement blessé à l’oeil, avait déjà été recueilli par des riverains qui avaient prévenu les pompiers.

Philippe P. aurait tiré par peur ou par surprise dans une sorte de réflexe. Il n’aurait révélé les faits que tardivement à l’IGPN à l’issue de plusieurs auditions et confrontations.

Sa version des faits est attendue ce vendredi, tout comme celle de Steeve qui sera appelé le premier à la barre de la cour criminelle.

*Prénom d’emprunt

 

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