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Loi El Khomry : précarisation des salariés et concurrence déloyale envers les PME

Le MEDEF est parvenu à convaincre le gouvernement qu’un allégement du Code du Travail et le renvoi à la négociation de branche ou d’entreprise pour fixer les rapports salariés/employeurs lèveraient « la peur de l’embauche » et relanceraient l’emploi. Or la réforme du droit du travail lancée par le gouvernement n’aura au contraire qu’une seule conséquence : […]

Ecrit par Dr Bruno Bourgeon, président d'AID – le jeudi 31 mars 2016 à 13H19

Le MEDEF est parvenu à convaincre le gouvernement qu’un allégement du Code du Travail et le renvoi à la négociation de branche ou d’entreprise pour fixer les rapports salariés/employeurs lèveraient « la peur de l’embauche » et relanceraient l’emploi. Or la réforme du droit du travail lancée par le gouvernement n’aura au contraire qu’une seule conséquence : accentuer la pression sur les salariés et sur les PME. Et aucun impact positif sur l’emploi.

Le Code du travail est un bouc émissaire. Le problème réside plutôt dans l’inflation des textes et de mesures dérogatoires qui se superposent sans grande cohérence depuis 30 ans. Le droit du travail n’a pas vocation à être simple. La jurisprudence de la Cour de cassation est abondante et les normes et les sources du droit social nombreuses. Ce n’est pas le Code du travail qui rend le droit du travail complexe mais l’empilement des textes. Multiplier les interlocuteurs et les niveaux de négociation (accords de branche, d’entreprise) ne fera que complexifier les choses. La réforme annoncée ne mènera pas à une simplification, mais à une dérégulation du marché du travail. Si le Code du travail existe, c’est qu’il y a un déséquilibre entre l’employeur et le salarié. Le Code du travail est là pour rétablir l’équité dans cette relation inégalitaire de subordination.

Ce projet de loi sonne le glas des 35 h. Après le « travailler plus, pour gagner plus« , la loi El Khomri offre aux salariés la perspective de « travailler plus, pour gagner moins« . L’extension du dispositif « forfaits-jours » qui permet de ne plus décompter les heures de travail, la possibilité de rémunérer 5 fois moins les heures supplémentaires, de fixer la durée quotidienne du travail de 10 à 12 H, de passer la durée hebdomadaire maximale du travail de 44 H à 46 H par semaine, par simple accord d’entreprise, voilà quelques exemples des outils à disposition des entreprises. Conséquence implacable : augmentation du temps de travail pour ceux qui ont déjà un emploi et éloignement de la perspective d’en retrouver un pour ceux qui l’ont perdu. On s’étonne du fait que la loi ait exclu de mettre en place des dispositifs simples permettant de garder les salariés tout en baissant leur temps de travail quand ça va mal pour l’entreprise. Ceci marque la volonté d’accroître la pression sur les salariés : « si ce que l’on te propose ne convient pas, des dizaines de personnes frappent à la porte pour prendre ta place« .

Envisager le recours au licenciement économique pour « réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité« , voilà des termes bien flous pour une jurisprudence foisonnante. Considérer le refus d’un salarié de voir temporairement son temps de travail et son salaire réduit, sans aucune contrepartie comme cause sérieuse de licenciement, revient à laisser à l’employeur le droit de décider unilatéralement d’envoyer des familles entières dans la précarité. Plafonner les indemnités prud’homales en cas de licenciement dépourvu de cause réelle. Nombre d’employeurs ne manqueront pas d’utiliser le licenciement comme variable de gestion. Un risque maximal de 15 mois de salaires pour un salarié ayant plus de 20 ans d’ancienneté, la belle affaire !

Le gouvernement se défend de toutes atteintes aux droits des travailleurs au motif que les dérogations seraient issues des négociations entre les employeurs et les syndicats. Or le taux de syndicalisation a été divisé par 4 en 60 ans, à l’heure actuelle il n’est plus que de 8%. Or la culture de la négociation ne se décrète pas. Permettre qu’un référendum d’entreprise valide un accord, lorsque les syndicats représentants 70 % des salariés de l’entreprise s’y opposent, est le signe d’un mépris envers les organisations syndicales. Comment croire ce gouvernement qui prétend favoriser le dialogue social ? Le lien de subordination n’est pas qu’une vue de l’esprit et, dans un contexte de chômage de masse et de mise en concurrence des travailleurs sur le marché de l’emploi, le rapport de force est déséquilibré. Cela conduira inévitablement à un dumping social et complexifiera la situation du salarié qui, en changeant d’entreprise, changera aussi de droit qui lui est applicable.

Les TPE/PME ne vivent pas, du fait de leur surface financière réduite, et d’une capacité de provisions de risque souvent limitée, le même risque à l’embauche que les grandes entreprises. Elles ne disposent que rarement d’opportunités de mobilité interne pour réajuster leur main d’œuvre. Enfin, rares sont celles qui disposent des ressources juridiques. En renvoyant aux accords d’entreprises, donc à la négociation syndicale, alors même que la négociation avec un salarié mandaté par un syndicat extérieur à l’entreprise est souvent un point de blocage, il n’est pas du tout sûr que la négociation soit le plus court chemin pour aménager le droit. Non seulement la réforme crée une concurrence déloyale entre grandes entreprises et TPE/PME, alors que ce sont elles qui vivent le droit du travail de la manière la plus pénalisante, mais aussi fait-elle abstraction du gisement d’emplois que peuvent constituer les 3 millions de TPE/PME françaises.

Oui à une réforme du Code du Travail, à condition :
   – que soient limitées les dérogations qui, loin d’avoir un impact positif sur la création d’emploi, ont un impact négatif sur les inégalités, la précarisation, le bien-être et les revenus des travailleurs ;
   – que le dialogue social et la représentation syndicale aient toute leur place dans l’entreprise, et que le gouvernement mette l’accent sur une véritable responsabilisation des acteurs sociaux ;
   – que le Droit du Travail prévoie des dispositions quand les choses vont mal en associant au volet « flexibilité« , un volet « sécurité« . Sinon ce ne sera pas plus d’emplois, mais plus de chômage ;
   – que la législation du travail n’omette pas de prévoir des dispositions quand les choses vont bien. Il est révélateur de constater que le gouvernement a totalement omis cet aspect dans son projet ; que le recours à la négociation d’entreprise serve à une amélioration de la situation des salariés et des demandeurs d’emplois, non à sa remise en cause ;
   – que le législateur tienne compte du fait que du grand groupe à l’entreprise familiale, tous les employeurs ne sont pas sur un pied d’égalité, et que les TPE/PME, principales sources de création d’emplois en France, méritent d’être soutenues ;
   – que la loi conserve une mention claire de la durée légale du temps de travail et préserve le taux de rémunération des heures supplémentaires pour un meilleur partage du travail ;
   – que la législation du travail ouvre la réflexion à une véritable réduction du temps de travail.

La question de la réforme du droit du travail est politique. Souhaitons-nous continuer à déréguler le marché du travail, sans aucun effet positif sur l’emploi ou l’économie réelle dans l’objectif de maximiser les profits des grands groupes ? Ou souhaitons-nous assurer des droits fondamentaux, du vivre-ensemble et un projet de société adapté aux évolutions actuelles du monde ? La réforme constitue l’opposé de ce en quoi nous croyons : une meilleure répartition du temps de travail et des richesses.

Dr Bruno Bourgeon, Président d’AID, Ex-adhérent de Nouvelle Donne ; http://aid97400.re

 

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