Combien de personnes ayant du mal à joindre les deux bouts vivent la boule au ventre dès qu’elles entendent leur téléphone sonner? La peur que ce ne soit une fois de plus un représentant d’une société de recouvrement qui vienne les harceler et les menacer dans l’espoir de se faire rembourser une dette.
Il est normal pour des sociétés de crédit qui ont prêté de l’argent de chercher à le récupérer, mais force est de constater que la compassion manque souvent. Elles ne veulent souvent rien entendre et mettent une pression phénoménale sur des personnes déjà fragilisées.
Il arrive aussi que des entreprises spécialisées dans le recouvrement entrent en toute connaissance de cause dans une totale illégalité en essayant de récupérer des sommes datant parfois de plus de dix ans, tout en réclamant des intérêts astronomiques. Il n’est pas rare de voir des dettes de 2 ou 3.000€ se transformer en 10 ou 15.000€ à rembourser!
Or, depuis 2016 nous explique Marianne, « la Cour de cassation a estimé que les intérêts de ces crédits devaient être prescrits au bout de deux ans. Malgré cette prise de position de la plus haute juridiction française, la plupart des sociétés de recouvrement continuent aujourd’hui encore de réclamer des intérêts sur cinq ans, se calant sur la prescription des loyers impayés, voire parfois sur quinze ans, en se basant sur le Code civil ! »
Pour arriver à leurs fins, ces sociétés de recouvrement peuvent compter sur la complicité d’huissiers peu scrupuleux qui n’hésitent pas à saisir les rares biens que possèdent ces familles déshéritées : fauteuils, canapés, télévisions… qu’ils revendent ensuite dans des enchères en trompe l’oeil où ils sont rachetés par des habitués, toujours les mêmes, qui s’enrichissent sur le dos des plus démunis en les acquérant pour une bouchée de pain. Résultat : le produit de la vente est tellement maigre qu’il ne vient même pas en diminution de la dette et couvre à peine les frais de l’huissier!
Ces sociétés de recouvrement se font une spécialité de racheter pour une somme ridicule « des dettes contractées parfois depuis plus vingt ans, en réclamant des intérêts pharaoniques, à plus de 16 % annuels« , explique Marianne.
À l’origine de l’alerte du parquet, on retrouve le juge de l’exécution parisien Cyril Roth, qui avait eu à juger en septembre 2021 le cas d’une assistante dentaire de 41 ans, à qui une de ces sociétés réclamait plus de 4.000 euros. EOS France, une des plus grosses sociétés de recouvrement en France, réclamait des intérêts de 16,40 %, sur 5 ans. Après avoir consulté un avocat, ce dernier estimait que sa cliente n’était redevable que de deux ans d’intérêts… soit 521,40 euros, en sus de la somme initialement due.
La décision du magistrat est accablante pour la société de recouvrement. Il valide le fait qu’EOS ne peut pas réclamer des intérêts au-delà de deux ans. Il calcule que la jeune femme ne « doit pas » plus que 2 352,54 euros (remboursement du capital restant dû + 2 ans d’intérêt), et condamne EOS France à lui verser 1 500 euros au titre des frais de procédure, et un euro de dommages et intérêts. Dans les faits, la dette de la jeune femme est effacée…
Mais surtout, le juge Roth, découvrant que les taux d’intérêt sont réclamés indûment sur plus de deux ans, considère qu’il s’agit « de pratiques déloyales« , rapporte Marianne. « Le fait pour une société ayant pour activité le recouvrement de créances contre des particuliers en matière de crédit à la consommation, de laisser penser aux débiteurs que des intérêts se prescrivent par cinq ans, et non par deux ans, au travers d’actes d’exécution forcés (…) est de nature à induire le consommateur en erreur sur ses droits et sur le montant de la dette », écrit-il. Le magistrat qualifie ce « comportement » de « contraire aux exigences de la diligence professionnelle ». Il estime qu’il repose « sur une présentation fallacieuse des règles de droit ». Et conclut : « un tel comportement relève donc d’une pratique commerciale déloyale » et constitue « une faute délictuelle ».
Constatant en outre que le cas d’Erika S. est loin d’être un cas isolé, et que d’autres consommateurs se voient encore réclamer des intérêts sur cinq ans, le juge Roth a donc saisi le parquet de Paris d’un article 40, estimant « que la réitération d’un tel comportement paraît recevoir une qualification pénale ». L’enquête préliminaire lancée pour des soupçons de « pratique commerciale déloyale » menace aujourd’hui tout le secteur du recouvrement, conclut Marianne.
Un conseil donc : en cas de doute et si vous vous trouvez dans ce cas de figure, n’hésitez pas à consulter un avocat…