Ce courrier fait suite à la publication de l’ouvrage bienvenu de Frédérique de VIGNEMONT : « Désenchanter le corps », titre qui a priori suggère une « négativité ». Mais le sous-titre : « Aux origines de la conscience de soi » (1) tempère cette première impression. Comment s’abstenir d’en prendre connaissance quand la conscience de soi constitue la thématique centrale de mes recherches depuis des décennies (2) ?
Selon mes habitudes, après une première lecture de l’introduction et de la conclusion de l’ouvrage plus une attention portée aux références bibliographique, pour cet ouvrage il m’est venu l’image – déjà suggérée par la Professeure de biologie et embryologiste Rosine CHANDEBOIS (3) – d’un aveugle. Il s’agit du biologiste moléculaire qui a besoin d’un paralysé, ce dernier embryologiste, que le premier porte sur son dos pour le guider.
Trop rapidement perçue, Frédérique de VIGNEMONT se présenterait comme une philosophe à la croisée de la philosophie « aveugle » et des sciences cognitives « clairvoyantes » dont je me demande laquelle est l’aveugle et laquelle est le paralysé.
Pardon pour mes premières perceptions à l’égard de cette auteure dont j’ai pu reconnaître dans un second temps le mérite d’avoir ouvert, grâce aux éditions Odile JACOB (fille de François !), un ouvrage qui devrait la propulser vers des univers qui ont assurément omis d’intégrer les sensations dans l’approche incarnée des cognitions.
Ce livre s’inscrit de fait dans la logique des travaux d’Alain BERTHOZ qui notait du temps d’Henri PIERON – lui-même classé parmi les psychologues – : « Il arrive à un moment où la psychologie commence à acquérir une certaine reconnaissance en tant que science et où il apparaît évident que l’étude des phénomènes psychiques ne peut s’affranchir de celle du fonctionnement du corps ». C’est assurément l’ambition de de VIGNEMONT avec cet ouvrage de 2023.
En tant que psychologue mais surtout comme psychothérapeute, nous rajoutons que les « phénomènes psychiques ne peuvent s’appréhender ni à la deuxième ni encore moins à la troisième personne ». Et c’est là que nos critiques s’adressent à cette jeune chercheuse.
L’intériorité psychique humaine n’est accessible ni par la méditation, dans ce livre préconisée, ni même par l’exploration strictement cognitive si le chercheur n’explore pas par lui-même son histoire oubliée et son inconscient ; qui eux se manifestent selon une clairvoyance apparaissant par l’intermédiaire de scénarios imagés que nous avons nommés « rêves ».
La recherche scientifique chez l’humain se serait fourvoyée, Frédérique de VIGNEMONT le dit explicitement, en occultant la vie cachée de l’inconscient ; à condition que cette dimension nous permette de trier le bon grain de la nature initiale de l’ivraie des névroses (acquises). Ainsi formulerons-nous quatre remarques :
1) La recherche conventionnelle en laboratoire, qui vise à enrichir notre connaissance, repose sur des faits et des lois qui s’avèrent désincarnés.
2) La synthèse, qui devrait s’efforcer de dégager les notions essentielles, a tendance à les isoler de leur genèse émergente liée à l’histoire du vivant depuis plusieurs milliards d’années. Et ce, tout en se libérant de théories générales préalables du fait de leur obsolescence qui fonctionne comme de véritables obstacles épistémologiques que Gaston BACHELARD avait déjà évoqués.
3) La vulgarisation (ou l’enseignement), qui diffuse la science, se présente trop souvent disjointe, en pièces détachées. Il faut voir comment sont instruits les étudiants en médecine : les fonctions physiologiques, cardiaque, pulmonaire, rénale, endocrinienne, nerveuse, etc. sont enseignées par des spécialistes différents si bien que, lorsque les étudiants posent des questions à la périphérie de ces enseignements disjoints, il leur est répondu très humblement : « Votre question sort de mon champs de compétence !».
4) Enfin, alors que les applications devraient rendre actifs les étudiants donc futurs médecins, ceux-ci sont pré-conditionnés à interroger d’autres spécialistes ; ou s’entoureront d’un nombre de plus en plus important d’examens complémentaires craignant, à juste titre, on ne les blâmera pas !, une erreur dans l’établissement du diagnostic.
L’ouvrage de Frédérique de VIGNEMONT se situe sur la voie de la reconnaissance de la dimension subjective de l’exploration de l’intériorité chez l’humain comme faisant partie intégrante de l’approche scientifique.
On regrettera cependant une plus grande implication de l’auteur, d’autant plus qu’elle dit, en conclusion : « Qui suis-je ? Je pourrais vous parler de ma famille et de la société qui me définissent en partie. Je pourrais aussi vous raconter mon enfance et les rencontres qui ont façonné la personne que je suis devenue. Je pourrais vous décrire ma personnalité, mes convictions, mes rêves ou encore mes craintes »… Il nous faut peut-être attendre un nouvel ouvrage ? !
Je devrais confier à cette auteure une chose – ayant bénéficié de deux périodes
de soins psychanalytiques, une première qui dura cinq années, une autre six
ans plus tard qui durera trois années : la cognition est étroitement
influencée par les sphères émotionnelle et sensualiste. Mes deux expériences, que je qualifierais de thérapie de ma mémoire autobiographique incarnée à la première personne, m’auront fait découvrir des dimensions de mon histoire depuis ma naissance : et la seconde expérience psychanalytique m’aura permis de pénétrer dans la logique téléosémantique de mon cerveau mettant en scène, à l’insu de ma conscience, des scénarios imagés (des « rêves ») me transmettant l’intime conviction d’un enchantement du vivant pouvant être désigné de « génie chez l’humain » aux origines de la conscience de soi.
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Réf :
1) Frédérique de VIGNEMONT, Désenchanter le corps, Aux origines de la conscience de soi, Odile Jacob, 2023.
2) Frédéric PAULUS, L’éducation fondée sur les sensations, Le Printemps, Ile Maurice, 2007. Version initiale 1987.
3) Rosine CHANDEBOIS, Le gène et la forme, ou la démystification de l’ADN, Editions Espace 34 Montpellier, 1989.
Frédéric Paulus
CEVOI (Centre Etudes du Vivant de l’Océan Indien)
Expert Extérieur Haut Conseil de Santé Publique
A mon avis c’est une bien drôle de façon de présenter un ouvrage et son auteure !
Quand on a lu votre billet, on ne sait rien de Frédérique de VIGNEMONT, qui « se présenterait comme une philosophe » dites vous au 3è §.
Et on ne connaît pas plus les grandes lignes des thèses qu’elle développe dans son ouvrage, ni s’il s’agit de philosophie, de psychologie, de médecine, ni si c’est son premier ouvrage.
En revanche, on sait que vous avez passé 8 années en thérapie, grâce à laquelle vous avez tout compris de « la logique téléosémantique » du cerveau, ce qui vous donne, selon vous, toute compétence pour conseiller l’auteure de « Désenchanter le corps ».
Et ce n’est pas cette phrase sibylline qui va nous éclairer après que vous avez péroré sur la formation des médecins :
« L’ouvrage de Frédérique de VIGNEMONT se situe sur la voie de la reconnaissance de la dimension subjective de l’exploration de l’intériorité chez l’humain comme faisant partie intégrante de l’approche scientifique. »
Et bien sûr vous n’avez pas oublié de sortir de la naphtaline Rosine CHANDEBOIS, et étonnamment LABORIT est resté au placard !
J’ai effectivement le projet de connecter l’actualité de l’œuvre de Rosine Chandebois a celle de Lamarck, Lynn Margulis, Francisco Varela, Henri Laborit, Federico Navarro (un ami psychiatre reichien), Antonio Damasio et bien sûr Carl Gustav JUNG.
Vous avez raison pour la présentation du livre de Frédérique de Vignemont, je m’adressais à elle directement. Le lecteur peut la suivre sur le web.
Vous êtes médecin par ailleurs ? Pour vous sentir impliqué ? En quoi ai-je pérore ? Merci.
F P
Vous pensez que Frédérique de Vignemont lit Zinfos ?
Je sors de la lecture de ce billet avec l’esprit « désenchanté »…J’ai l’impression d’être encore plus ignorante que je l’étais.
Non « Omarie », patience, une synthèse à partir des auteurs cités plus haut devrait vous enchanter. Rosine Chandebois fut ostracisée car elle s’est confrontée aux pontes nobelises que furent Royer, Jacob et surtout Monod avec son « hasard ». De plus elle osa se démarquer de Darwin.
L’avenir devrait lui donner raison.
FP
Je ne suis pas sûr de bien vous comprendre M. Paulus. L’ouvrage de l’auteure que vous citez, est un ouvrage de philosophie et plus précisément dans le registre de la phénoménologie (notamment celle de Merleau-Ponty) et qui donc cherche par la réflexivité à aller à la « chose même » et donc de décrire les faits fondamentaux (les invariants anthropologiques) qui nous définissent car, précise-t-elle, ils sont à « l’origine de la conscience de soi corporelle ». Vos propos, très intéressants en l’occurrence, ressortissent d’un tout autre registre, ceux précisément de la psychologie et accessoirement de la psychanalyse junguienne des archétypes et des rêves qui n’ont donc rien à voir avec l’argumentaire proposé dans ce livre. La seule critique acceptable eut été une critique philosophique de la thèse soutenue par l’auteure : le primat des sciences cognitives sur l’approche psychologique et/ou psychanalytique que vous défendez, riche d’une longue expérience d’analyse et de thérapie salvatrices..
A Apax, merci pour votre contribution,
Effectivement de Vignemont se réfère de la phénoménologie de Merleau-Ponty sans citer F.rancisco Varela, et cela est regrettable avec son ouvrage, « l’inscription corporelle de l’esprit », (1994).
de Vignemont se réfère aussi à « L’erreur de Descartes » (1994), de Damasio sans évoquer le changement radical annoncé dans son dernier livre « Sentir et savoir », « Une nouvelle théorie de la conscience ». Cet ouvrage vient de paraître ! ! Et elle ne devait pas y avoir accès ?! Pourtant publier chez Odile Jacob.
Et j’ai des difficultés à avancer des reproches tant le sujet est complexe, et aussi risqué de recevoir des critiques faciles, mais il deviendra plus abordable avec Chandebois et son organogenèse radicale et évolutionniste sans Darwin ! La théorie de ce dernier n’est pas à mettre de côté sans lui accorder la place qui lui a été octroyée en reléguant Lamarck quasiment aux oubliettes. Ah ces anglais !
Quant à JUNG bravo pour votre culture. En ce qui me concerne je ne suis pas Jungien comme Jung souhaitait d’ailleurs que personne ne le devienne.
Je préfère l’image de l’électron libre.
FP
Vous en appelez à Merleau-Ponty, Francisco Varela, Damasio, Jung.
Même Chandebois (et son anecdotique anti-darwinisme désuet) , semble avoir un avis sur le sujet.
Et en fin de compte vous ne nous direz jamais ce qu’entend Frédérique de Vignemont par « Désenchanter le corps«
Réponse à Mordicant.
Étant à la retraite je vais essayer de vous satisfaire bien que réaliser comme une « fiche de lecture » ne m’enthousiasme pas. Il me faudra éviter les jugements. Je ne sais si vous avez vous-même réalisé un ouvrage mais c’est très méritant de le faire, surtout dans ce domaine particulièrement complexe du fonctionnement du cerveau et de l’esprit car c’est cela dont il s’agit. Je voulais attirer l’attention sur l’ouvrage d’Antonio Damásio « sentir et savoir » car il situe EXPLICITEMENT (enfin) les sensations en amont de la connaissance et des cognitions…
A bientôt, mais je ne vous garantis rien.
FP
En guise de fiche de lecture à propos de l’ouvrage de de VIGNEMONT, si par bonheur par le Web interposé, elle pouvait se référer, à minima, à ces trois auteurs qui abordent la conscience de « soi » supposée inscrite dans le corps : en premier le grand biologiste espagnol Faustino CORDON et ses articles très explicites réunis par Patrick TORT dans l’ouvrage collectif : « Pour Darwin » (bien que plus tard je suggèrerai l’hypothèse que majoritairement les darwinistes se seraient fourvoyés en devenant exclusivement darwinistes malgré les révisions bienvenues de Patrick TORT, ( bref!) .
Dans cet ouvrage de CORDON sont présentés ses : Fondements biologiques d’une théorie de la conscience », Ed Puf 1997.
Le second auteur est : Eric KARSENTI « Aux sources de la vie, De la cellule à l’être humain », médaille d’or du CNRS. Cet auteur s’inscrit dans la continuité du grand Ilya PRIGOGINE décédé en 2003 qui marqua vraiment les débuts prometteurs d’une biologie émergentiste dont la conscience est un début moléculaire et une fin organique… dont nous avons des difficultés à objectiver sa réalité (certes) et enfin à ces deux auteurs notamment (avec ceux déjà cités plus hauts), je rajoute l’ouvrage de Rosine CHANDEBOIS qui suggère : « Pour en finir avec le darwinisme » ouvrage disponible chez L’Harmattan, 2010.
Le darwinisme se présenterait, si je ne suis pas dans l’erreur comme un obstacle épistémologique à l’altruisme dans une « société (ou civilisation!) ou tout peut s’acheter et tout peut se vendre. » et elle défend sa conception de l’unité developpement- évolution du vivant qui réunit un même processus que CHANDEBOIS nomme « évolution directionnelle ».
Bonne lecture.
Frédéric Paulus