Nous sommes le 23 février 1991, plus d’un millier de manifestants bravent l’interdiction de manifester dans les rues du chef-lieu en soutien au maintien de la fréquence de Télé Freedom. Pendant cinq ans en effet, la télé de Camille Sudre émet dans l’île sans autorisation de diffuser. Le CSA s’apprête donc à couper le signal. Télévision appréciée d’une partie de la population de part sa programmation sulfureuse (films pornographiques, films de combat…) mais également grâce à une marque de fabrique offrant des plages de libre antenne, la télé de Camille Sudre est en sursis. Un arrêt de mort venu des plus hautes sphères de l’Etat puisque l’ordre de fermeture sera signifié par Michel Rocard alors Premier ministre. Une fermeture qui mettra le feu aux poudres.
Les émetteurs saisis
Le préfet de l’époque, Daniel Constantin, fait disposer des rangées de CRS dans les rues de Saint-Denis, sans s’imaginer un seul instant l’ampleur que va prendre la manifestation. Alors que des appels au calme sont diffusés sur les ondes de radio Freedom par son fondateur, dans les rues, la colère poursuit son œuvre. Dans l’après-midi de ce 23 février, les manifestants ne tardent pas à lancer des galets sur les forces de l’ordre disposés sur le Barachois. La réponse apportée par ces derniers avec le gaz lacrymogène repoussera une bonne partie des manifestants jusque dans le Nord de la ville, là où les événements prendront réellement corps. C’est donc dans cette nuit du 23 février que les émeutes à proprement parler commencent dans la plus grande confusion dans les rues du Chaudron et plus globalement de Sainte-Clotilde.
Déjà, cette nuit, un magasin Score est vandalisé et finira brûlé. Le lendemain, en catimini, les émetteurs de Télé Freedom qui trônent dans les hauteurs de La Montagne sont saisis. Malgré une nuit déjà fort agitée, le mécontentement ne faiblit pas. Au contraire, le pire est à venir.
Les jours suivants, d’autres magasins dans la zone industrielle du Chaudron mais aussi de Sainte-Clotilde sont pillés avant de finir calcinés à leur tour. Des morts suivront dans la nuit du lundi 25 au mardi 26 février. Alors que le magasin « le Géant du meuble » est à son tour la proie des pilleurs, un incendie piègera huit d’entre eux venus se servir, dont cinq femmes.
Le calme revient après une médiation au plus haut sommet de l’État
Le ministre de l’Outre-mer de l’époque, Louis Le Pensec, parlera, dans les jours qui suivent, de “complot” avant d’engager la responsabilité du leader de Freedom Camille Sudre ainsi que du PCR ayant attisé les émeutes. Une prise de position qu’il évoquera en séance dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale le 6 mars.
En catastrophe, Michel Rocard se rend à la Réunion le 17 mars et ne tardera pas à dévoiler son impuissance : « Je ne suis pas le père Noël », dit-il à son arrivée. Alors que les pillages et les destructions se poursuivent, il faudra attendre la venue de la première dame de France, Danielle Mitterrand, alors présidente de la Fondation France Libertés, pour voir la situation s’apaiser à partir du 21 mars, presque un mois après le début de la révolte.
Un tremplin politique pour Camille Sudre
La suite s’écrit dans le calme. Camille Sudre profitera de ce nouveau statut pour monter une formation politique qui jouera un rôle de premier plan dans les mois et années qui suivront jusqu’à arriver à la tête du Conseil régional en 1992. Un soutien populaire que récupérera également à son avantage Paul Vergès pour constituer une majorité confortable au sein de la pyramide inversée dès 1998.
Après ce coup d’esbroufe retentissant qui a tenu la Réunion et les plus hautes instances parisiennes en haleine pendant près d’un mois, la revendication d’espace d’opinion mais aussi de divertissement sera quelque peu atténuée par l’ouverture, sur un canal dédié, de la première chaîne privée « légale » à émettre dans l’île : « Antenne Réunion » qui, ironie de l’histoire, récupérera la fréquence de Télé Freedom.