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Elle se bat pour renouer des liens avec sa fille, endoctrinée par une « secte » à Maurice

Sur fond de conflit familial, la fille de Sabrina a été endoctrinée depuis ses 5 ans par la CTMI, un mouvement pentecôtiste subversif basé à Maurice. Si elle dénonce un "lavage de cerveau", la mère esseulée espère renouer des liens avec son enfant, devenue majeure.

Ecrit par zinfos974 – le vendredi 24 juillet 2020 à 10H29

« Je veux juste pouvoir lui parler normalement ». Cela fait de longues années que Sabrina se bat pour avoir des contacts avec sa fille, que l’on appellera Elodie, endoctrinée par la CTMI (Church Team Ministries International) basée à Maurice. Et c’est à sa propre famille qu’elle doit s’opposer : à sa mère, la grand-mère d’Elodie, et à sa soeur, la tante. Sa fille, aujourd’hui majeure, vit sous leur toit depuis ses cinq ans, sous les règles de l’Eglise Chrétienne (l’autre nom de la CTMI).

La CTMI est un réseau pentecôtiste fondé par un pasteur et sa femme, Miki et Audrey Hardy, dont les pratiques dénoncées comme sectaires ont fait couler beaucoup d’encre. C’est après avoir survécu à un grave accident que la mère de Sabrina, Mauricienne, se rapproche de l’Eglise Evangélique Missionnaire de Chaville, partenaire de la CTMI (sur notre île, la CTMI dispose aussi de relais, avec l’ACMIR, l’Assemblée Chrétienne Missionnaire de la Réunion). La famille vit alors dans le Sud de la France.

« Ça se passait très mal avec ma mère », raconte Sabrina. Adolescente, elle part à Maurice poursuivre ses études, où elle est logée chez des membres de l’Eglise Chrétienne. Mais c’est au moment de l’affaire Alladee, scandale qui a ébranlé l’Eglise Chrétienne, soupçonnée à l’époque d’avoir participé à un « kidnapping » d’enfants. « J’ai refusé de suivre leur enseignement religieux le jour où j’ai entendu les rumeurs au sujet du départ des enfants Alladee en Afrique du Sud. La fille était ma meilleure amie », retrace-t-elle. « J’ai retourné ciel et terre pour la retrouver ». Ses investigations ne sont pas appréciées, et Sabrina est renvoyée en France.

« Je ne la reconnais pas »

De retour dans l’Hexagone, en raison de grosses tensions familiales, Sabrina quitte le domicile pour aller vivre chez des amis. « J’ai appris qu’ils avaient déménagé à Maurice, sans rien me dire », se souvient-elle être tombée des nues. Elle roule alors sa bosse, vit de petits boulots, et rencontre le père de sa fille, laquelle naîtra en 2001.

Peu après, sa mère reprend contact en raison d’un décès dans la famille et lui suggère de venir à Maurice. Sabrina, qui vient de se séparer du père d’Elodie et dispose de la double nationalité, y voit une opportunité de ressouder les liens familiaux. Une décision qui aura du mal à passer pour le papa, bien qu’elle affirme avoir aujourd’hui tout son soutien dans ses démarches. « Ma famille avait besoin de ma présence pour léguer des biens familiaux, ma mère m’a retrouvée pour ça, je l’ai su en arrivant à Maurice », reproche-t-elle.

Là-bas, toute la famille vit dans le domicile légué à sa sœur. Mais Sabrina explique ne pas y être la bienvenue. Elle décide donc de prendre le large avec Elodie, mais sa mère et sa sœur préviennent la police pour espérer récupérer l’enfant. « Elles disaient que je la maltraitais. On a été trop matraquées, ma fille avait peur de la police. Je n’ai pas eu d’autre choix que de la laisser à ma mère pour faire cesser tous ces contrôles. J’ai promis à ma fille que je me battrai pour elle ».  

 

Autre scandale, début des années 2000 : il est reproché au numéro 3 du gouvernement, Xavier-Luc Duval, d’être particulièrement proche de la fille Hardy, Carole, nommée conseillère du ministre. Ce qui aurait permis à la CTMI d’infiltrer l’appareil étatique.
 
Quelques années plus tard, c’est l’affaire Steeve Goddard qui remet les pratiques douteuses de la CTMI sur le devant de la scène. Ce père de famille a passé des semaines à Maurice pour retrouver sa fille qui avait quitté l’Afrique du Sud pour rejoindre l’Eglise Chrétienne à Maurice.
 
En 2009, le leader de l’opposition Paul Béranger dénonçait dans la presse mauricienne des « ramifications multiples entre le PMSD  (parti dont le leader est Xavier-Luc Duval, ancien ministre du Tourisme, ndlr), la Tourism Authority, Events Mauritius et l’Eglise Chrétienne » qu’il qualifiait de secte et annonçait la préparation d’un dossier. Mais aucune suite n’a été donnée. De son côté, l’église catholique a aussi qualifié la CTMI de secte.

Selon l’avocat Jean-Claude Bibi, cité par l’Express de Maurice, l’Union européenne a confirmé que l’APSA (Association pour la promotion de la santé) et d’autres organisations en lien avec la CTMI ont bénéficié injustement du Decentralised Programme of Cooperation (DPC) de l’Union Européenne, « alors que ces fonds auraient pu aller à d’autres ONG plus méritantes. »

En réalité, la CTMI entretient des liens étroits avec de nombreuses entités. Une pieuvre qui pilote sociétés et organisations. L’ONG Ti Rayon Soleil (qui « vient en aide aux enfants et aux personnes vulnérables, vivant dans des poches de pauvreté » selon ses termes) dont la marraine est l’ancienne joueuse de tennis Marie Pierce, est un exemple. Sous couvert d’humanitaire, l’Eglise Chrétienne est accusée de pratiquer le prosélytisme et l’endoctrinement, les enfants faisant partie des proies faciles. Un rapport américain (le trafficking report) place d’ailleurs l’île sœur dans les mauvais élèves en matière de lutte contre le trafic humain. Mais à Maurice, où les lobbies religieux sont puissants, la CTMI n’est pas considérée comme une secte.

 

Puis, elle tombe malade, et doit partir en France se faire soigner. « À la demande de ma mère, j’ai signé un papier disant que je lui laissais ma fille pour aller me faire soigner à l’étranger. Je le regrette profondément », exprime celle qui martèle : « Je ne l’ai pas abandonnée ». Si Sabrina n’a jamais fait de demande de visa pour Elodie, elle suppose que sa mère l’a fait à sa place, utilisant son identité.
 
Après avoir été soignée, nouvelle épreuve pour Sabrina, qui raconte avoir été « expulsée illégalement en pleine trêve hivernale ». Relogée, elle indique ne pas avoir pu quitter la France, les services de la préfecture l’ayant mise en garde sur le risque de perdre l’intégralité de ses droits au relogement. « Un avocat m’a fait un document que j’ai soumis à toutes les administrations. Le document expliquait la situation de ma fille et que ma situation locative actuelle ne me permettait pas d’aller à Maurice. » Un papier qui rappelle au passage qu’Elodie est mineure et que ses droits « doivent être protégés par le gouvernement français »
 
Pendant tout ce temps, les maigres échanges qu’a Sabrina avec sa fille passent par sa mère ou sa sœur. Lorsqu’elle retrouve une stabilité, Elodie a déjà subi un « lavage de cerveau ». « Quand elle me parle, je ne la reconnais pas ». Elle décide alors de ne pas aller la chercher « de force », craignant les réactions de sa mère et de sa sœur.
 
La crainte d’un mariage arrangé

Pour tenter de sortir sa fille des griffes de la CTMI, Sabrina a frappé à de nombreuses portes. « En 2015, j’ai alerté le 119 », explique-t-elle. Mais aussi l’ambassade, le commissariat, des associations comme la Miviludes, l’ADFI et le Gemppi, la CRIP, le défenseur des droits, le ministère des Affaires étrangères mais aussi le ministère de la Justice. « J’ai tout fait », assure-t-elle. En vain. Jusqu’à octobre 2019. « J’ai été convoquée par un commissariat de ma localité pour me présenter dans le cadre d’une audition », informe-t-elle. « La demande venait du procureur suite à une saisine du ministère de la Justice ». 

Lorsqu’elle en parle avec sa famille, elle reçoit un appel de sa fille. « Elle m’a proposé qu’on redevienne une famille unie à condition que j’abandonne la procédure », rapporte Sabrina. Hors de question, pour celle qui tient à mettre les dérives de la CTMI en lumière, et aimerait que son histoire permette au moins à d’autres cibles d’éviter le piège. Elle est d’ailleurs soutenue par le Concerned Parents Group, qui sensibilise sur les « groupes religieux malsains » et regroupe des parents dans son cas, les familles touchées étant nombreuses.

Aujourd’hui, Sabrina sait qu’elle ne peut plus forcer Elodie, 19 ans, à rentrer en France. Déplorant qu’elle n’ait « pas obtenu ses diplômes », elle n’a qu’une crainte : qu’elle fasse les frais d’un mariage arrangé. « Elle n’a plus de passeport ni de visa étudiant, elle est en situation irrégulière », suppose celle qui redoute même qu’une union ait déjà eu lieu. 

« Si je suis pour ma famille une simple raison administrative qui permet à ma fille de rester sur le territoire, je ne veux pas cautionner le plan d’Audrey Hardy et je sollicite publiquement la déchéance de ma nationalité mauricienne », exprime-t-elle avant de confier :« Le père et moi nous sommes tous les deux dépassés par cette situation. Nos souhaits sont de pouvoir rattraper le temps perdu, retrouver une complicité avec notre fille ».

Épuisée par son combat, Sabrina reproche aux autorités françaises et mauriciennes leur manque d’implication. « Je souhaite que le gouvernement mauricien puisse coopérer avec le gouvernement français », déclare-t-elle, réclamant au gouvernement mauricien la commission d’enquête qui n’a jamais abouti en 20 ans.

La CTMI au cœur de plusieurs scandales

Le premier scandale dont nous avons connaissance remonte à l’affaire Alladee, en 1997. Des enfants, disparus à Maurice, sont retrouvés au Zimbabwe, chez des membres de la CTMI. L’ASPA (considéré à l’époque par la presse mauricienne comme « l’agent recruteur » de l’Eglise Chrétienne) et la CTMI sont dans le viseur. Sous la pression, le premier gouvernement de Navin Rangoolam accède à la demande d’instauration d’un Select Comittee (commission d’enquête). Mais les travaux ne seront pas poursuivis après la dissolution du parlement.

 

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