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ZONEX de surf à Saint-Leu : qui se chargera de la patate chaude ?

Les médias de la Réunion se sont fait l’écho récemment d’un communiqué de la commune de Saint-Leu relatif au propos du projet de création d’une zone d’expérimentation opérationnelle (ZONEX) pour l’activité surf sur le territoire de la commune : http://www.ipreunion.com/actualites-reunion/reportage/2020/12/18/pour-une-pratique-encadree-du-surf-saint-leu-la-mairie-fait-le-point-sur-la-creation-d-une-zone-d-experimentation-operationnelle,128672.html   Il s’agirait là d’une première : aucune zone de surf aménagée, surveillée et réglementairement […]

Ecrit par Didier Derand – le lundi 11 janvier 2021 à 17H38
Les médias de la Réunion se sont fait l’écho récemment d’un communiqué de la commune de Saint-Leu relatif au propos du projet de création d’une zone d’expérimentation opérationnelle (ZONEX) pour l’activité surf sur le territoire de la commune :
 
Il s’agirait là d’une première : aucune zone de surf aménagée, surveillée et réglementairement autorisée n’a en effet été mise en place à ce jour à la Réunion.
 
Mais il est essentiel de s’interroger sur la faisabilité d’un tel projet au vu de ses implications juridiques vis-à-vis notamment du risque requins.
 
1. Sur le contexte
 
Ledit projet avait été présenté publiquement par le Centre Sécurité Requin au cours du mois de juillet 2020, mais de façon très partielle et sans aborder l’aspect juridique, pourtant capital pour la commune :
 
Celle-ci insiste donc, à juste titre, sur cet aspect qui conditionne la mise en place et le fonctionnement de la ZONEX, de par l’engagement qu’il implique du maire de Saint-Leu en matière de responsabilité.
Dans son communiqué, la commune de Saint-Leu précise :
 
« Actuellement, un arrêté préfectoral interdit la pratique de  toute activité nautique utilisant la force motrice des vagues dans la bande des 300m sauf si le maire accepte de lever cette interdiction dans le cadre d’une zone d’expérimentation Opérationnelle (ZONEX) et d’en assumer l’entière responsabilité. La création de cette ZONEX et des conditions de mise en œuvre de la pratique encadrée du surf sont depuis plusieurs mois  à l’étude. »
« La ville de Saint-Leu partage avec l’ensemble des partenaires l’ambition d’une reprise du surf. Elle espère aussi pouvoir compter sur la même unité pour un partage équitable et solidaire des responsabilités juridiques et financières. Il s’agit là d’une condition sine qua non à la réussite d’un projet de cette envergure dans lequel environ un million d’euros de fonds publics seront à mobiliser. »
 
Des déclarations qui pourraient sembler contradictoires au premier abord…..

Par ailleurs, comme le souligne la commune dans ce communiqué :
«  les [demandes de] clarifications portent par exemple : – sur le degré de responsabilité du maire et de la collectivité, notamment en cas d’accident, avec des incidences pénales et financières, qui peuvent fragiliser l’équilibre financier de la collectivité (l’association n’ayant pas les ressources financières suffisantes pour indemniser les victimes ou les ayants droits) ».
 
La judiciarisation des rapports entre les citoyens et l’administration est un problème qui prend de plus en plus d’importance avec la déresponsabilisation des individus. Et, on l’a encore vu récemment, les demandes d’indemnisation en cas d’accident peuvent prendre des proportions très élevées, souvent insoutenables pour une petite commune.
On citera, pour exemple, les affaires suivantes :
–       La famille d’un surfeur noyé le 7 septembre 1998 après que son leash se soit enroulé autour d’une bouée de signalisation de la zone de bain, a réclamé à la commune plus de 90 000 euros (cour administrative d’appel de Nantes 25 juin 2004, n°02NT01756, commune de La Tranche-sur-Mer) ;
–       Un surfeur attaqué par un requin à Saint-Leu le 5 août 2012 a réclamé à l’Etat plus de 150 000 euros (conseil d’Etat 22 novembre 2019, n°422655, consorts B.) ;
–       En octobre 2017, la cour administrative d’appel de Paris a condamné la commune de Moorea-Maiao (Polynésie française) à payer près de 180 000 euros à la famille d’un pratiquant de planche à bras qui s’était noyé dans le lagon à proximité d’une passe (CAA Paris 3 octobre 2017, n°16PA02142, commune de Moorea-Maiao) ;
–       En juin 2012, la cour administrative d’appel de Bordeaux a condamné la commune de Saint-Leu à payer près de 250 000 euros à la famille d’un nageur qui avait trouvé la mort en tentant de porter secours à des enfants emportés par le courant dans une passe du lagon de Saint-Leu (CAA Bordeaux 7 juin 2012, n° 10BX01723, Mme B. et autres c/ commune de Saint-Leu).
–       Et encore il s’agit là de sommes « minimes » par rapport aux centaines de milliers d’euros qui ont pu être demandées par des victimes ou des ayants droit. On pourrait multiplier les exemples :
–       Après une glissade sur une plateforme rocheuse le 30 décembre 2013, un baigneur grièvement blessé a réclamé à la commune plus de 500 000 euros (CAA Bordeaux 24 juin 2019, n°18BX02225, commune de Petite Ile, Réunion) ;
–       Accidenté après un saut d’un plongeoir situé sur une plage le 18 août 1984, un baigneur a réclamé à la commune plus de 1,2 million d’euros (CAA Nantes 29 décembre 1990, n° 89NT00423, commune de Sainte-Marie-Sur-Mer) ;
–       Suite à un accident après le plongeon d’un adolescent depuis une digue le 13 juillet 2003, la famille a réclamé à la commune plus de 4 millions d’euros (CAA Bordeaux 2 octobre 2012, n°10BX01391, commune de Saint-Martin-de-Ré).
 
Le surf est un sport à risques (noyade, collisions, etc…) se pratiquant dans un milieu à risques (vagues, récif corallien, rochers, courants, requins, etc….).

Puisque l’association « Leu Tropical Surf Team » n’a aucune assise financière, comment pourrait-elle déjà assumer les conséquences d’un accident ? Et a-t-elle une quelconque légitimité pour assumer une responsabilité juridique dans ce domaine ?
 
S’agissant de l’Etat, il n’a jusqu’à présent pas semblé très désireux de prendre le risque d’une éventuelle condamnation en cas d’accident, puisque le préfet de la Réunion s’est contenté globalement d’interdire les pratiques liées à l’usage du domaine maritime les plus exposées au risque requin. En effet, depuis l’ordonnance rendue par le conseil d’Etat le 13 août 2013 (n° 370902, ministère de l’intérieur c/ commune de Saint-Leu), les arrêtés préfectoraux successifs – dernier en date : l’arrêté n° 2020-208 du 6 février 2020 – se sont limités à interdire la baignade et les activités nautiques utilisant la force motrice des vagues sauf dans les lagons, les espaces aménagés et surveillés hors lagons et les ZONEX, dans des conditions définies par arrêté municipal.
Dans les faits, depuis cette date, le surf est interdit partout à la Réunion.

La responsabilité de l’initiative d’une ZONEX de surf a été dûment laissée aux maires, l’Etat se cantonnant aux obligations qui sont les siennes définies notamment par l’article L.2215-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) :
« La police municipale est assurée par le maire, toutefois : (…) 3° Le représentant de l’Etat dans le département est seul compétent pour prendre les mesures relatives à l’ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, dont le champ d’application excède le territoire d’une commune ; (…) ».
 

2 Rappel des textes applicables

 
Le domaine maritime est caractérisé par un concours des polices du préfet et du maire de la commune.
 
Le cadre juridique de la police des baignades et des activités nautiques est régi par les articles L. 2212-2 et L. 2212-3  (police générale), et L. 2213-23 (police spéciale) CGCT :
–       L. 2212-2 : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques (…) ».
–       L.2212-3 : « La police municipale des communes riveraines de la mer s’exerce sur le rivage de la mer jusqu’à la limite des eaux ».
–       L.2213-23 : « Le maire exerce la police des baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés. Cette police s’exerce en mer jusqu’à une limite fixée à 300 mètres à compter de la limite des eaux.
Le maire réglemente l’utilisation des aménagements réalisés pour la pratique de ces activités. Il pourvoit d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours.
Le maire délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante pour la sécurité des baignades et des activités mentionnées ci-dessus. Il détermine des périodes de surveillance. Hors des zones et des périodes ainsi définies, les baignades et activités nautiques sont pratiquées aux risques et périls des intéressés.
Le maire est tenu d’informer le public par une publicité appropriée, en mairie et sur les lieux où elles se pratiquent, des conditions dans lesquelles les baignades et les activités nautiques sont réglementées ».
 
La police spéciale du maire s’exerce donc jusqu’à 300 mètres en mer à compter de la limite des eaux. Au-delà de ces 300 mètres, la compétence revient au représentant de l’Etat, en l’occurrence le préfet maritime.
Bien entendu, ces dispositions n’enlèvent rien aux pouvoirs de police du préfet maritime dans la bande des 300 mètres, aussi bien en ce qui concerne la police administrative générale que les nombreuses polices spéciales.

3. Sur l’impossibilité pour l’autorité administrative de déléguer son pouvoir de police

Plusieurs arrêts attestent du fait qu’une autorité de police administrative ne peut déléguer son pouvoir par contrat, qu’il s’agisse d’activités juridiques ou d’activités matérielles :
–       Ainsi, le juge administratif a considéré, dès 1932, qu’un contrat ne saurait avoir pour objet de déléguer à une personne privée le service de la police rurale : ce dernier, de par sa nature, ne saurait être confié qu’à des agents placés sous l’autorité directe de l’administration de telle sorte qu’il y a excès de pouvoir si la charge de ce service est confiée à une fédération de propriétaires privés (CE, 17 juin 1932, n°12045, ville de Castelnaudary).
–       En 1997, le conseil d’Etat (CE) a annulé le contrat par lequel une commune confiait à une société de gardiennage la surveillance des voies publiques (CE, 29 décembre 1997, n°170606, commune d’Ostricourt).
–       A ces principes doivent être ajoutés les arrêts interdisant à une autorité de police administrative de s’engager contractuellement sur l’utilisation de son pouvoir. C’est ainsi que le conseil d’Etat a annulé un contrat portant sur la gestion du stationnement sur la voie publique au motif que ce contrat prévoyait d’une part le nombre des emplacements de stationnement, et, d’autre part, le fait que ce nombre ne pouvait être modifié unilatéralement par l’administration que dans la limite de 5 % (CE, 1er avril 1994, n° 144152, n°144241, commune de Menton). Du reste, ce dernier arrêt rappelle la règle énoncée par l’arrêt ville de Castelnaudary selon laquelle le pouvoir de police administrative ne saurait être confié qu’à des agents placés sous l’autorité directe de l’administration.

S’agissant plus particulièrement de la police des baignades et des activités nautiques, on peut citer les arrêts suivants :
–       Le fait pour une commune de concéder l’exploitation d’une plage ne peut avoir pour effet de transférer de la commune au concessionnaire le pouvoir d’assurer la sécurité sur cette plage : les pouvoirs de police du maire ne peuvent pas être délégués à une personne privée, par voie contractuelle ou unilatérale, même si elle est investie d’une mission de service public (CE, 23 mai 1958, Consorts Amoudruz ; CE 4 octobre 1961, Dame Verneuil).
–       Dans son jugement rendu le 19 décembre 2000 (Mme Meignen c/ commune de Vieux-Boucau et département des Landes), le tribunal administratif de Pau fait une analyse très précise des responsabilités de chacun, dans le cadre d’une convention passée entre la commune et le SDIS :
«…..que la circonstance que, par convention en date du 21 mai 1992 passée avec la commune de Vieux-Boucau, le service départemental d’incendie et de secours des Landes se soit engagé « à mettre en place pour la saison 1992 les moyens en personnel de surveillance et de sauvetage », ne saurait, s’agissant de l’accomplissement d’une mission afférente à l’exercice de la police municipale, dégager cette collectivité de la responsabilité qu’elle peut encourir directement envers la victime d’un accident, ou envers ses ayants droit, du fait de l’existence d’une faute provenant de l’insuffisance des mesures prescrites pour la prévention des accidents ou du fait de l’existence d’une faute lourde commise dans l’exécution desdites mesures, qu’ainsi la responsabilité des mesures particulières destinées à assurer la sécurité et le sauvetage des baigneurs sur le territoire de la commune de Vieux-Boucau ne peut incomber qu’au maire de cette commune ».
–       Il a été jugé que la surveillance des plages ne pouvait être confiée à un délégataire de service public, en l’occurrence une société de surveillance et de gardiennage, dans la mesure où la protection du bon ordre dans un lieu de baignade excède les missions que la loi permet à de telles sociétés d’exercer (CAA Lyon, 7 mai 2003, n°01LY02009, communauté de communes des vallons du Lyonnais c/ préfet du Rhône).
 
Et il est essentiel de noter que la commune de Saint-Leu ne saurait arguer de difficultés financières éventuelles pour échapper à ses obligations. Voir à ce sujet l’arrêt du conseil d’Etat du 25 septembre 1971 (n° 73707, n° 73727, commune de Batz-sur-Mer) : « (…) que ni la modicité des ressources de la commune, ni le fait que certaines communes se trouveraient grevées de charges supérieures à d’autres en raison de leur situation géographique, ne sont de nature à faire échapper la commune de Batz-sur-Mer à ses obligations ; que c’est à bon droit qu’il en a été décidé ainsi par les premiers juges ».
 
Au regard de l’ensemble de ces éléments il ne semble pas que l’autorité administrative puisse limiter sa responsabilité ou la déléguer à une personne privée, en matière de protection de la sécurité publique, car celle-ci lui incombe directement.
 
Alors il convient de s’interroger sur les rôles tant du Centre Sécurité Requin – groupement d’intérêt public – que de l’association à but non lucratif « Leu Tropical Surf Team » en la matière. Quelle pourrait être leur responsabilité juridique en cas d’accident puisque la commune tient visiblement à partager ladite responsabilité et que l’Etat ne semble pas prêt à l’assumer à sa place ?
 

Collectif d’associations :
Sea Shepherd Conservation Society – Longitude 181
One Voice – Association pour la Protection des Animaux Sauvages (ASPAS)
Sauvegarde des Requins – Requins Intégration
Tendua – Vivre Activement pour Garder Un Environnement Sain (VAGUES)

 

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