Il y a quasiment deux ans, des agriculteurs prenaient l’initiative de retenir sur leur exploitation deux agents de la DAAF, le service d’Etat en charge des contrôles sanitaires, vétérinaires et phytosanitaires.
La « descente » des fonctionnaires faisait suite à un signalement du GDS de cas de maltraitance sur les animaux d’un élevage de la Plaine des Cafres. Arrivés sans prévenir vers 20H le lundi 29 juillet, deux des trois contrôleurs y passeront finalement la nuit, maintenus contre leur gré sur la parcelle d’un couple d’agriculteurs, les Lauret, aidés d’amis, d’autres éleveurs mais aussi de Gilets jaunes.
Cette poussée de tension arrivait à un moment où les éleveurs laitiers étaient particulièrement à bout, alors que leur combat contre les vaches malades fournies par la coopérative Sicalait occupait une bonne place dans l’actualité.
Le couple Lauret mais aussi deux autres personnes, à commencer par l’une des figures de la protestation contre la SicaLait, Jean-Paul Bègue, étaient appelés à la barre du tribunal correctionnel de Saint-Pierre ce jeudi après-midi.
Souffrance animale et souffrance humaine
L’audience débutée à 14 heures s’est achevée peu avant minuit. Afin d’éclairer les débats, plusieurs témoins ont été appelés à la barre par la défense, dont le vétérinaire Pascal Ramassamy, auteur d’une thèse sur le leucose bovine enzootique à La Réunion. Ce dernier a rappelé les dangers de la maladie « en présence d’un panel important d’autres maladies » et l’enjeu de « d’abord former » les agriculteurs au lieu de les traiter de « nuls ».
Hasard du calendrier, la présidente de la Sicalait Martha Mussard a été entendue en tant que témoin [au lendemain de la décision de la Cour de Cassation de condamner la coopérative pour avoir vendu des bêtes malades de la leucose à l’éleveur Joseph Payet]urlblank:https://www.zinfos974.com/Leucose-La-Sicalait-condamnee-en-cassation-pour-avoir-vendu-des-vaches-malades_a169902.html . Aux questions de Me Amel Khlifi-Ethève sur la couleur des passeports sanitaires attribués aux animaux, Martha Mussard s’est contentée de rétorquer que « ce n’était pas le procès de la Sicalait », feignant de ne pas savoir qu’un animal au passeport vert devait réglementairement être indemne de maladies réglementaires telles que la leucose.
Tout au long des débats, la défense s’est attachée à raccrocher les infractions de maltraitance et l’épisode du 29 juillet 2019 au scandale de la leucose bovine et à sa dénonciation par ces éleveurs, eclus de la Sicalait, ruinés. Les difficultés financières ont expliqué les privations de soins médicaux pour les bêtes des époux Lauret et l’état famélique de 4 vaches constaté durant quelques mois dans l’élevage de Jean-Paul Bègue. L’agriculteur a ainsi confirmé à la barre avoir procédé au tarissement de ses vaches pour cesser la production de lait, étant dans l’incapacité de les traire.
« Il a été beaucoup question de souffrance », a relevé Me Gabriel Odier pour la défense des agents de la DAAF. L’avocat a fait valoir l’humiliation dont non pas l’institution mais des personnes ont été victimes au moment où elles ont été séquestrées durant 18H, filmées en direct sur les réseaux sociaux, insultées avec parfois « des propos à connotation identitaire ». 1 500 euros à 2 000 euros ont été demandés en préjudice moral, un euro symbolique pour la DAAF.
Les réquisitions sont tombées à 22 heures, laissant le champ libre à la plaidoirie des avocats.
Une interdiction d’exercer une activité professionnelle liée à l’élevage durant 5 ans a été requise à l’encontre de Mélusine Lauret. En tant que cheffe de son exploitation située à la Plaine des Cafres, diverses amendes ont également été requises à son encontre pour les faits de mauvais traitement sur animaux, ce que le couple a toujours réfuté d’ailleurs.
Du jamais vu à La Réunion
Pour les faits de séquestration, son mari Georges Lauret est sous la menace de 10 mois de prison avec sursis probatoire et obligation d’indemniser les victimes, c’est-à-dire les fonctionnaires placés sous l’autorité du préfet. Diverses amendes sont requises pour les faits de maltraitance.
Quasiment même tarif à l’encontre de leur camarade de lutte, Jean-Paul Bègue, contre lequel 4 mois de sursis probatoire et l’obligation d’indemniser les victimes ont été requis. 200 euros d’amende l’ont été au titre des mauvais traitements infligés à ses bêtes. Les deux hommes bénéficient de réquisitions plus musclées du fait qu’ils sont considérés par le parquet, certes dans une moindre mesure pour Jean-Paul Bègue qui est venu prêter main forte, comme les meneurs de cette fronde inédite sur notre territoire.
Enfin, le quatuor de prévenus était complété, en ces deux jours tumultueux de juillet 2019, par Yannis Latchimy, défendu par Me Brigitte Hoarau. L’homme proche des Gilets jaunes est poursuivi pour avoir filmé et diffusé sur les réseaux sociaux la séquestration des fonctionnaires de la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt. Pour les faits d’atteinte à la vie privée, 4 mois avec sursis ainsi qu’un stage de citoyenneté ont été requis.
« C’est le langage de la colère et de la défiance qui a parlé », a expliqué Me Isabelle Lauret, rappelant les « campagnes de déni et de remise en cause des capacités des éleveurs » réservées à ceux qui rompent le silence. Toujours pour la défense de ces éleveurs, « par opposition à un système qui les accule, les écrase, les ruine, les rend malade et qui les tue », Me Amel Khlifi-Ethève a plaidé la relaxe. Avec sa consœur Me Séverine Ferrante, elles ont fait valoir l’absence d’éléments prouvant que ce sont bien Georges Lauret et Jean-Paul Bègue qui ont effectivement empêché les agents de la DAAF de partir cette nuit du 29 juillet 2019.
Le délibéré est attendu pour le 1er juillet.
▶️ Plaine des Cafres: Des éleveurs retiennent des fonctionnaires de la DAAF sur leur exploitation
[Séquestration d’agents de la DAAF: Les éleveurs Jean-Paul Bègue et les époux Lauret devant la justice]urlblank:https://www.zinfos974.com/Sequestration-d-agents-de-la-DAAF-Les-eleveurs-Jean-Paul-Begue-et-les-epoux-Lauret-devant-la-justice_a169884.html