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Vidéo – Infirmiers de réanimation: « Je n’arrive pas à comprendre la logique de l’administration ! »

Ils sortent du silence.
Éreintés par deux ans de suractivité, les infirmiers de réanimation montrent leur exaspération face à des décisions jugées incohérentes de l’administration. Le courrier publié la semaine dernière constituait un cri du coeur spontané après avoir vu des représentants s’exprimer à leur place en des termes qui ne collent pas à leur réalité.
Au travers de cet entretien, des infirmiers du CHU de La Réunion nous offrent une visibilité sur leur quotidien. Ils reprennent aussi en quelque sorte le contrôle sur leur communication.

Ecrit par 1639 – le dimanche 30 janvier 2022 à 07H15

Zinfos : Comment vous est venue l’idée d’écrire ce courrier ?

Bertrand (prénom d’emprunt) : Ça faisait quelque temps que je voyais passer dans les médias des gens qui parlent de la crise Covid mais qui n’ont jamais mis les pieds dans un service de réa et je ne suis pas convaincu qu’ils aient croisé un seul patient Covid.

Ça fait trois semaines que le préfet dit des choses, Ça fait trois semaines que la directrice de l’ARS dit des choses mais le gars qui m’a fait dégoupiller c’est le représentant de la CFTC, interviewé sur un plateau télé et qui a dit : « non mais vous savez, les soignants reviendrons travailler avec plaisir ! ». Quand j’ai entendu ça je me suis dit : « mais qu’est-ce qu’il raconte lui ? ». J’ai écrit ce courrier en trois quart d’heure. Je l’ai fait lire à des collègues qui m’ont dit que c’était plutôt bien.

Courrier d’un infirmier en réanimation : Lettre ouverte à ceux qui parlent en mon nom

On s’était dit que ça n’allait rien changer mais qu’on allait quand même essayer de le faire publier, que ça allait nous faire du bien…

Comme une sorte de thérapie…

Je pense que ce qui transparaît de la lettre est valable pour les infirmiers de médecine et de pneumo qui sont, je pense, quand on y réfléchit bien, beaucoup plus la tête sous l’eau que nous. En réa on a cette chance là que, légalement, on ne peut pas avoir plus de trois patients par infirmier. En médecine, des collègues peuvent se retrouver avec douze à quinze patients dans la journée. C’est ingérable ! Donc plein de gens se sont reconnus dans ce courrier. 

Stéphane (prénom d’emprunt) : Même si nous n’avons pas de connexion avec d’autres établissements, il n’y a pas de raison que d’autres collègues ne soient pas aussi impactés par ces désorganisations permanentes. Ça fait deux ans qu’on est dans ce mouvement-là. Lorsqu’il y a une vague on entend : « Il faut ouvrir des lits, il faut du personnel ». Une fois qu’on est au creux de la vague, la DRH, l’administration de façon générale, agit comme par réflexe et reprend sa logique initiale qui consiste à dire : « il faut serrer la vis parce que c’est notre travail et notre mission ». Je n’arrive pas à comprendre la logique de l’administration !

Bertrand : C’est le « quoi qu’il en coûte », sauf pour les soignants finalement ! 

La leçon de 2020 n’a pas servi selon vous ?

Stéphane : On était dans un « quoi qu’il en coûte » dans l’objectif du soin et on repart vers un : « il faut économiser au maximum. Il faut réduire notre capacité de prise en charge au maximum ». Je trouve qu’il y a un coût qui est, par contre, très fort pour la santé globale. Ce sont les blocs opératoires qui sont obligés de fermer par manque de personnel ou par nécessité de redispatcher le personnel sur d’autres missions. Les IBOD par exemple sont des infirmiers spécialisés mais ils ne savent pas forcément faire de la réanimation. Moi je ne sais pas faire IBOD, je n’en suis pas capable, je n’ai pas la formation, je n’en ai pas la compétence. Si on me met au bloc opératoire demain pour rattraper le temps perdu, je ne suis pas sûr qu’on rattrapera le temps perdu grâce à moi… j’en ai bien conscience. Je ferai de mon mieux si je suis amené à être au bloc opératoire, je ne serai pas aussi précis, je ne serai pas dans l’anticipation, je ne saurai pas faire parce que je ne sais pas faire !

Depuis quand êtes-vous infirmiers en réanimation ?

Stéphane : Pour ma part une dizaine d’années. La réanimation ne m’attirait pas du tout initialement. J’avais plutôt l’idée d’aller du côté de la psychiatrie. Et mon premier poste en sortant d’école a fait que je me suis retrouvé dans un hôpital et puis ça m’a plu, j’y suis resté. 

Bertrand : On a une spécialisation réanimation non reconnue par l’Etat ni par un diplôme (rires). On l’est devenu par la force des choses parce que la réanimation est un service auquel on n’est pas formé durant les études. Du coup, notre formation se fait sur le tas.

A quel moment on vous a demandé d’en faire ?

Bertrand : C’est moi qui ai choisi la réanimation parce que c’était un service qui m’attirait par ce côté technique et spécifique. Je ne m’imaginais pas du tout travailler en médecine car je me sens incapable de gérer 15 patients à la fois… On a toujours tendance à croire qu’infirmiers de réa, parce que c’est un peu plus technique, ça fait de nous des soignants différents, des soignants « plus capables » ou « élitistes » qu’un infirmier de médecine. Je serais par exemple incapable d’aller bosser en médecine. J’ai énormément de respect pour les infirmiers qui bossent en médecine autant que j’en ai pour ceux qui bossent en psy. Chaque service a ses spécificités. il s’avère que la réa, ça parle parce qu’il y a beaucoup de machines, on côtoie beaucoup la mort mais en médecine, en pneumo, en hépato-gastro, en ehpad, ils ont aussi des spécificités. La spécificité qui m’attirait c’était celle de la réa. Du coup je me suis formé à la maison, dans les bouquins. Jai été formé par mes collègues au début. 

Décrivez-nous votre quotidien 

Bertrand : La réa c’est beaucoup de machines, beaucoup de situations critiques, de stress, beaucoup d’implication émotionnelle – moins avec l’âge car on arrive à prendre du recul sur ce qu’on fait – mais ça reste psychologiquement pas évident parce qu’on a des patients qui, maintenant, ont notre âge. La première vague Covid concernait les personnes âgées, la deuxième les personnes obèses et cette fois-ci, l’âge est en train de baisser, dans la quarantaine.

Qu’est-ce qui a changé depuis deux ans ?

La prise en charge du patient de réa est souvent la même. C’est juste que là il y en a eu beaucoup. Et quand on veut faire les choses bien, il faut du temps. On a plus forcément le temps de faire les choses bien. 

Quel message voulez-vous adresser à l’autorité de tutelle ?

Stéphane : La problématique de management, de gestion humaine, elle est à tous les niveaux. Les médecins ne sont pas assez nombreux par rapport à la charge horaire qu’ils ont à faire. Nous ne sommes pas assez nombreux par rapport au nombre de lits ouverts. Les aide-soignants ne sont pas assez nombreux par rapport au nombre de patients, que ça soit en réanimation ou dans les autres services. Les patients sont aussi de plus en plus dépendants, nécessitent de plus en plus de manutention, d’aide pour les éléments de la vie quotidienne, se laver, se lever, pour aller au fauteuil, pour manger. Ce sont des mains, ce sont des bras, ce ne sont pas des machines qui vont faire ça. Il faut du monde pour arriver à le faire et le faire correctement. Il faut que le soin redevienne humain. Aujourd’hui on est dans l’efficience, il faut être productif, mais on n’est pas là pour être productif. On doit faire des soins ! Si on est là pour un objectif de retour financier, on a simplement perdu le coeur de notre métier. 

Bertrand : Allez dire à des parents dont le gamin de 6 mois doit se faire opérer du coeur que, finalement, on ne va pas l’opérer parce qu’on prend le personnel du bloc pour l’envoyer en réa pour soigner des patients Covid…

C’est du vécu ?

Oui, en réa pédiatrique. Ils devaient commencer une mission aujourd’hui et ils ont décidé de décaler l’opération. Mettez-vous à la place des parents… Et là je parle d’un exemple percutant parce que c’est de la chirurgie pédiatrique mais c’est valable pour le cancer, pour la pneumo etc. Le fait de mobiliser plein de soignants pour prendre en charge le Covid amène des retards de prise en charge ou des absences de prise en charge pour d’autres pathologies. C’est compliqué parce qu’on a un gouvernement qui gère avec des bouts de ficelles. Il suffirait de dire : on embauche, on garde les gens formés. Les vagues de patients qui arrivent, on les gère avec ce personnel qu’on a embauché. Là qu’est-ce qu’on fait ? On déshabille Paul pour habiller Jacques et on va chercher Pierre. Ce sont des bouts de ficelles ! Tout cela pour des économies alors qu’au final, à plus grande échelle, ça impacte énormément les familles et les Réunionnais.

Vous disiez dans votre courrier que certains personnels arrivés en renfort ces deux dernières années avaient été remerciés dès lors qu’il y a eu un léger mieux sur le front du Covid ?

Stéphane : On se retrouve à devoir réouvrir le maximum de lits. C’est ce qu’on avait fait finalement au mois de juillet. À l’époque, l’ensemble des lits étaient ouverts, entre temps on en a fermé. On réouvre l’ensemble de ces lits-là et ça nécessite donc du personnel. En juillet nous avions le personnel adéquat. Du personnel qui était embauché sur des contrats dits « Covid », donc il y avait comme une sorte de finalité. C’était l’occasion de changer d’approche. C’était l’occasion pour la DRH et l’administration de dire : « pérennisons les embauches ». Ce qui n’a pas été fait puisqu’il ont fait l’inverse. Ils ont fait venir des personnes de métropole qui ont abandonné un travail et, arrivés ici, finalement s’entendre dire : « on n’a plus besoin de vous. On ne renouvellera pas votre contrat ». 

Que change le plan blanc pour vous ?

Stéphane : Le plan blanc implique que nous soyons tous mobilisables au niveau de l’hôpital public parce qu’il manque du personnel. Nous n’avons plus le droit de dire non, normalement. Certes il y a des ajustements mais la réquisition est toujours le dernier couperet possible et sur lequel on ne peut avoir aucune opposition possible. Pour moi, le management à visée économique donc libérale de manière outrancière, c’est  : on ne garde pas les personnels parce qu’on ne se projette pas sur l’avenir. On ne se projette pas sur nos besoins futurs, on imagine même pas une organisation autre au sein de l’hôpital en se disant que c’est peut-être l’occasion d’organiser différemment. Même si on compte mes heures, même si ce n’est pas de l’esclavage, en tout cas c’est toujours du temps que l’on prend sur nos vies privées Ce plan blanc nous empêche d’avoir des projections. On doit être disponible tout le temps. 

Bertrand : Ils réquisitionnent des personnels épuisés ! Je ne souffre pas quand je vais au boulot, je suis content mais je veux juste qu’on arrête de dire : « je vous écoute » alors que l’administration continue à faire derrière des choses qui font que rien ne change. Et encore, on n’a pas parlé des médecins qui font de ces horaires…

Stéphane : Il ne faut pas confondre deux choses : est-ce qu’on va être ravi d’être réquisitionné ? Je n’en suis pas certain. C’est la première chose. L’autre phrase que j’ai trouvée incongrue, dite par le président du CME, le conseil médical d’établissement, était celle où il estimait que le plan blanc était accueilli comme un soulagement par les personnels. Je trouve que ce sont des positions très étonnantes car ça fait totalement abstraction de notre quotidien. On le fait, ce n’est pas pour autant qu’on est contents d’être réquisitionnés. Je ne suis pas sûr que tous les militaires soient contents d’aller à la guerre. C’est le même parallèle pour nous. On est sur des actions qui sont usantes, fatigantes et permanentes. Que ça fasse partie de nos devoirs, c’est une chose. Qu’on soit heureux de le faire dans ces conditions-là, je ne pense pas. D’autant plus qu’il y avait vraiment moyen de faire différemment. 

Avant le plan blanc, on vous demandait déjà de faire des extra ?

Stéphane : Bien sûr. Suite à l’annonce de Jean Castex sur le doublement des heures supplémentaires, on est régulièrement rappelé sur des arrêts, des absences de personnels, et donc on doit pallier, ce qui fait que, par rapport à notre planning initial, quel qu’il soit, on peut être sûr qu’il y aura au moins des demandes de rajout. Ça fait deux ans qu’on nous demande du rajout. Il y a l’encadrement des nouveaux arrivants qui est permanent. Quand on a du personnel qui vient, qui est remercié puis qu’on fait revenir d’autres personnes derrière, c’est toujours de la formation à assurer.  

Est-ce que des infirmiers ont dû travailler en étant covid+  ?

Bertrand : Il y a une note de service qui est sortie il n’y a pas longtemps, le 3 janvier, qui dit que tout soignant covid asymptomatique vient bosser. À partir du moment où on ne tousse pas, où on n’éternue pas, on vient bosser. Et rappelez-vous, quand Gillot a réouvert (en 2020, ndlr) c’était septaine obligatoire sauf pour les soignants. Pour quelle raison ? Parce que déjà à l’époque on était en manque de personnels dans les hôpitaux. 

Qu’est-ce que le public pourrait voir s’il venait à visiter un service de réa ?

Bertrand : C’est un endroit qui est très peu visible en effet dans les médias depuis deux ans. Et j’ai envie de dire que c’est presque malheureux. C’est extrêmement violent de rentrer dans la chambre d’un patient en réanimation. Il faut s’imaginer qu’on arrive dans la chambre de son père ou de sa mère qui est endormi dans un lit, qu’il a un tuyau dans la bouche qui lui permet de respirer, qu’il peut avoir un autre tuyau qui va lui permettre d’épurer son sang, d’épurer ses reins. Il y a des alarmes partout, des pousse-seringues,… 

Et surtout ça peut durer très longtemps pour certains cas ?

Bertrand : Et ça peut durer très longtemps. On a des patients qui sont restés 30, 40, 60 jours. On en a même un qui est resté plus d’une centaine de jours. Et c’est épuisant pour la famille. Ce sont clairement des ascenseurs émotionnels. Le propre du patient en réanimatoire c’est qu’il peut se dégrader extrêmement vite. On a parfois des familles qui viennent visiter des patients à qui on dit que le patient « va mieux » et eux entendent qu’il « va bien ». La nuance est subtile mais il y en a quand même une. Et on les rappelle 3 heures plus tard pour dire que leur état s’est complètement dégradé, qu’on a fait trois pas en arrière. Imaginez cela pendant deux mois, c’est extrêmement usant. 

Et des fois on se dit que ça serait une bonne chose de faire des journées portes ouvertes – entre guillemets – pour montrer au grand public ce que c’est effectivement être un patient en réanimation. Et pour y travailler, c’est quelque chose que je ne souhaite à personne. Personne de normalement constitué ne peut le souhaiter à quelqu’un d’autre. 

Votre coup de gueule vous semble-il partagé ?

Stéphane : Nombre de collègues, en fonction de leur contrat plus ou moins précaire, hésitent à dire tout haut ce qu’ils pensent parce qu’ils ont aussi un objectif de pérennisation de leur travail. C’est aussi un choix de vie, ce n’est pas anodin. La direction des ressources humaines – j’insiste sur « humaines » – ils devraient changer de nom et s’appeler ressources économiques. Il y a très peu d’humanité dans ce qu’ils font. C’est dramatique et là on est à devoir répondre à un plan blanc pour une question très claire d’argent. Avec ne serait-ce que 50 postes infirmiers supplémentaires, ça serait une goutte d’eau par rapport au coût global de la santé.

Bertrand : L’hôpital est en manque d’effectif mais le discours que l’on tient est applicable à n’importe quel service public : l’Education nationale, la Gendarmerie, la Police, la Poste , etc… ils sont tous en manque d’effectifs. Au travers de cette crise Covid, quelque part on se rend compte que c’est l’ensemble du service public qui va mal. Ce n’est pas une nouveauté mais le Covid a mis le doigt où ça fait mal. 

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