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Vidéo – Bruneau Laurette : « On ne peut pas continuer sur ce système » à l’île Maurice

Inconnu il y a quelques mois encore, Bruneau Laurette est devenu le visage de la contestation mauricienne. Il balaye l’idée d’en être le symbole mais confirme qu’il a été le déclic qu’attendaient nombre de Mauriciens murés dans le silence, par peur de s’afficher aux premières loges de la contestation de la parole d’Etat. Bruneau Laurette fait le bilan de plusieurs semaines de mobilisation et évoque la forme que pourrait prendre son combat, "dans la rue et devant la justice, simultanément". Il répond à Zinfos974.

Ecrit par zinfos974 – le samedi 19 septembre 2020 à 07H00

Avez-vous été surpris par l’ampleur de la manifestation du samedi 29 août ?
Le 29, on s’attendait à une bonne foule. La police m’avait demandé combien de personnes j’attendais, j’ai dit aux alentours de 25000 et même plus. Là on était déjà dans une position confortable. Mais notre expectation (prévision, ndlr) était 50000, mais quand même 150000 c’est au-delà de nos espérances.

Le combat se joue en interne, mais mobilise aussi les expatriés…
On a fait une mobilisation simultanée avec la diaspora mauricienne. Le gouvernement s’est retrouvé entre le marteau et l’enclume, c’est ce qui a fait le succès de cette marche. Ce qui veut dire que l’on a mis tout le monde à contribution dans le combat et ce qui est magnifique là dedans c’est que tout le monde se sent Mauricien, sans le côté communal, sans le côté discriminatoire. On était des milliers de drapeaux mauriciens qui flottaient dans les rues de Port Louis, c’était magnifique.  

Pourquoi vous êtes devenu le visage de la contestation à l’île Maurice ?
Je pense que moi j’ai osé. C’est comme si le faire officiellement, se mettre debout et de dire qu’il est temps que tout cela s’arrête, je pense donc que c’est par rapport à ça que ça a créé un déclic. Beaucoup de personnes se sont retrouvées (dans ce discours, ndlr). Ils me regardaient comme un symbole. En fait, je ne suis pas un symbole, je suis juste un catalyseur et j’ai créé une sorte d’éveil des consciences. Parce que vous savez qu’à Maurice, on a tendance aussi à communaliser des choses et à les politiser pour pouvoir régner au nouveau du pouvoir surtout. Je suis un petit peu le symbole qui réunit un petit peu tout le monde, toute la masse populaire, les différentes communautés et je redis aussi que j’ai des personnes à mes côtés. Et qu’on y va ensemble.

Pouvez-vous expliquer au public réunionnais ce que signifie le terme de « communaliser » à l’île Maurice ? 
Ce qu’on fait à l’île Maurice c’est qu’on essaye de diviser pour tout ramener aux communautés et aux religions : la communauté hindoue, musulmane, catholique et autres, on essaie de segmenter. C’est juste pour pouvoir contrôler, diviser et régner.

Est-ce que c’est une lourde charge que vous avez endossée ?
En fait, ce combat-là ce n’est pas moi qui l’ai choisi. Le combat m’a choisi ! Mais je pense que j’ai le caractère nécessaire pour pouvoir tenir parce que je ne suis pas la personne qui laisse quelqu’un sur le bord de la route. De par mon métier aussi, on est appelé à s’épauler. J’ai beaucoup évolué dans le secteur de la sécurité maritime, dans les eaux de Somalie où nous avons des équipes. En plus, dans le paramilitaire, nous avons un code d’honneur, un code éthique donc même si on doit retourner avec une dépouille, on va le faire. On va jamais laisser un collègue sur le champ de bataille donc c’est un petit peu le combat que j’ai entrepris avec la population mauricienne, de les épauler et d’être à leurs côtés dans la rue, malgré l’adversité, malgré « David Vs Goliath », je vais le faire.

Vous pouvez brièvement exposer votre passé. Qu’est-ce qui fait que vous vous êtes spécialisé dans le domaine maritime ? 
Quand la piraterie a commencé à descendre dans l’océan Indien, c’est là que je me suis spécialisé dans la sécurité maritime. Depuis douze ans, je fais ces trajets-là. J’évolue dans les eaux de la Somalie, des Seychelles, du Kenya. Souvent je fais aussi des formations en Afrique, en termes militaires et policiers donc c’est un petit peu le quotidien que je me suis construit, qui, quelque part, m’a aidé à me forger et à avoir ce caractère de dire « non » et de se mettre debout quand il le faut. 

Dès les premières heures après l’annonce de l’échouage d’un bateau au large de Maurice, vous avez voulu vérifier par vous-même la véracité des informations parce que vous mettiez en doute la parole de l’État ? 
J’étais dans la première équipe à aller porter secours pour empêcher l’huile de se propager. Quand j’ai vu le premier point du Premier ministre sur la situation, définitivement il y avait quelque chose qui clochait et j’ai pu commencer à douter à partir de là. Peut-être pour eux c’était nouveau, mais moi j’étais dans mes éléments. Jamais je ne laisserai quelqu’un venir insulter mon intelligence, dans ce que je fais dans ma vie professionnelle. Il y a des choses que l’on doit accepter, mais on ne peut pas non plus accepter d’avaler des anacondas et accepter à n’importe quel prix. Dès l’annonce du naufrage, ils auraient dû mettre des bouées autour du bateau déjà. Même si le bateau était échoué, ils auraient dû envoyer une équipe sur place pour aller voir, ça aurait pu être une mutinerie, voire une faction terroriste aussi. Le bateau aurait pu aussi être pris en otage par des Somaliens ou autres, je prends un exemple.

Vous voyez que le gouvernement ne cède toujours pas. Votre combat vous le voyez s’inscrire dans le temps ? 
Mon combat est sur le terrain et d’ordre légal (judiciaire, ndlr). Je vais faire les deux simultanément. Le combat a commencé et on ne sait pas quand il va se terminer. Mais on va se donner les moyens d’aller jusqu’au bout. On va continuer ce qu’on a commencé. 

Est-ce que vous avez peur que votre combat soit récupéré politiquement par des mouvements pour lesquels vous n’êtes vous-même pas d’accord ?
Je veux garder mon combat dans le côté apolitique, ça je l’ai déjà dit et je le maintiens. Mon combat reste apolitique et je ne veux aucunement qu’un parti politique vienne se greffer sur mon combat.

Est-ce compliqué pour les Mauriciens de se mobiliser ?
Peut-être que d’autres personnes vont me rejoindre, mais ça peut les mettre en péril. Moi je ne dépends pas du système mauricien, je peux bouger, faire des formations à l’extérieur. Aussi, il y a des personnes qui peuvent avoir des répercussions sur leur emploi direct. Vous ne savez jamais, quand vous vous attaquez à un système, d’où ça peut venir. Ce qui fait un petit peu ma force c’est que je ne suis pas dépendant du système. Ici à Maurice, ils peuvent mettre sous pression donc c’est un peu mon avantage, c’est pour ça que je vais continuer ce combat-là, au fond, même avec une équipe fantôme à l’arrière, qu’on ne voit pas. 

Est-ce que vous avez l’impression de vous mettre en danger ?
Je l’ai déjà fait quand je suis entré dans ce combat-là. Quand vous vous attaquez à un système, vous savez que vous entrez de plain-pied dedans. Vous savez ce qui vous attend. Donc le danger il est pour toi à ce moment-là. Même parmi les gens qui sont autour de vous, vous pouvez avoir des infiltrés aussi. C’est pour ça que je fonctionne en sécurisant au maximum. 

Comment vous pouvez savoir si les gens autour de vous sont fiables ?
Mon noyau est très minime. Ce sont des gens que je connais depuis une dizaine d’années. 

Le fait désormais d’être connu hors de l’île Maurice, est-ce que ça vous sécurise ?
J’aurai des coups bas. Moi je m’attends à n’importe quoi, mais en faisant le choix d’être dans ce combat-là, j’ai choisi aussi de voyager beaucoup moins souvent. Il m’arrivait de voyager entre dix à quinze fois par an. Mais ça va se faire moins souvent. Mon combat, maintenant, il se passe dans les rues de Maurice, avec le peuple mauricien.

Quel est le calendrier politique mauricien et est-ce que vous avez des ambitions ?
Logiquement le gouvernement est là pour quatre ans encore donc ce que nous essayons de faire… soit il y a une amélioration, soit nous allons essayer de faire que le gouvernement parte. Le but ce n’est pas vraiment d’aller jusque-là. Si le gouvernement se ressaisit, s’il met tout ce qui faut en place, il n’y aura pas de souci. Mais on ne peut pas continuer sur ce système, surtout quand on voit depuis 9 mois comment ça s’est passé depuis les élections et ce qu’on est en train de subir. C’est inacceptable, en termes de pression, d’incompétence et de dysfonctionnement institutionnel. 

Après Gaetan Duval et Paul Bérenger, on vous présente comme le leader créole, êtes-vous à l’aise avec cette étiquette ?
Je ne veux pas qu’on me taxe comme un leader créole ou d’une communauté. Je veux plus être un collaborateur de tous les Mauriciens. Je suis en train de me bagarrer pour que le Mauricianisme prône et sorte gagnant de cette situation. 

Concernant l’échouage du Wakashio, quelle est votre hypothèse la plus probable ?
C’est au gouvernement de nous expliquer, de nous donner la réponse exacte de ce qui s’est passé parce qu’il y a beaucoup de zones d’ombre à éclaircir. Il faut qu’on arrête de pervertir le cours de la justice en allant saborder les preuves. Logiquement c’est quelque chose qu’on n’aurait pas dû faire. On aurait dû l’envoyer dans une cale sèche pour y réaliser des examens d’ingénierie mécanique, voir vraiment ce qui a provoqué les fissures. Ça n’a pas été fait, on a voulu saborder la partie avant du Wakashio. Et est-ce qu’il y a eu une dépollution qui a été faite ? Est-ce qu’on a enlevé tous les éléments toxiques et nocifs pour l’environnement ?

Quel est votre avis sur les manoeuvres de plusieurs bateaux autour du Wakashio après son échouage ?
Quand on regarde les manoeuvres des bateaux aux alentours, ça laisse beaucoup de questions en tête. Pourquoi il y a un bateau, en particulier, qui est venu dans les alentours du Wakashio, et qui est allé sur la côte Ouest de Maurice à plusieurs reprises. Autre chose : pourquoi on a voulu se débarrasser aussi rapidement de l’épave du Wakashio qu’on a sabordée. Donc il y a plusieurs hypothèses possibles, mais maintenant il faut aller vers la bonne. Mais pour pouvoir aller vers la bonne, on aurait dû avoir des éléments en main, mais qu’on a détruits, et qu’on est allé pour moi, entre guillemets, faire disparaître.

Quel est le message que vous souhaiteriez adresser aux Mauriciens, expatriés compris ?
Je veux dire à tout le peuple mauricien que je suis là pour révolutionner le système, on est là pour changer le système et je vais militer aussi pour que la diaspora ait un droit de vote à Maurice. Et que la répartition de tout ce qui est bien fait au pays soit distribuée convenablement à toutes les couches et non aux familles des ministres ou aux proches des députés ou membres du gouvernement. Il doit y avoir une bonne redistribution des richesses à tous les Mauriciens et que les droits fondamentaux et constitutionnels des Mauriciens doivent être respectés.

[CONTINUEZ DE SUIVRE L’ACTU MAURICIENNE SUR NOTRE SITE ZINFOS MORIS]urlblank:https://www.zinfos-moris.com/

 

 

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