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Usine des Filaos – Bruniquel

Nul ne peut dénombrer exactement la quantité d'usines sucrières implantées sur le territoire réunionnais entre le XIXe siècle et la fin du XXe siècle. Certaines ont été éphémères alors que d'autres ont résisté au temps subissant des transformations adaptées suivant les progrès industriels passant de statut de simple moulin à sucre à celui d'unité industrielle de production de sucre de canne.

Ecrit par Sabine Thirel – le samedi 21 novembre 2009 à 08H01

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Plusieurs historiens se sont penchés sur les archives départementales pour mettre en exergue la période faste des sucreries de l’île. Les traces des propriétaires successifs des établissements et leurs différents directeurs se trouvent inscrits dans les registres, sur les actes notariés ou d’état civil. Ils nous démontrent aussi que l’usine ne tournait pas uniquement grâce à un nom, à l’argent, aux structures ou aux machines. La main d’œuvre était le pilier du développement de la production de sucre dans l’ile.

 

En effet, le cannelier comme le dit Firmin Lacpatia dans « Les indiens de La Réunion » ou le pied de canne, demandait beaucoup plus de personnel pour la plantation, la coupe et la fabrication du sucre que la précédente plante maitresse : le café. Plus les sucriers plantaient plus ils demandaient de main d’œuvre et plus ils voulaient produire de sucre. A la date arrêtée par Jean-François Géraud de 1848, plus de 290  unités de production sucrière avaient existé ou existaient encore.

 

Beaucoup d’entre elles ont duré peu de temps, se faisant absorber par leurs voisines plus équipées et plus grandes. C’est le cas de l’usine des Filaos qui est aussi nommée comme l’un de ses derniers propriétaires Bruniquel à l’Ermitage Saint-Gilles. Située sur un terrain marécageux, légèrement en hauteur, cette usine existe depuis 1865. Sa construction présente un avantage  important  celui d’avoir été construit après la révolution industrielle et par la même de pouvoir bénéficier des dernières découvertes en la matière.

 

Cependant, cette construction tardive survient en pleine crise du sucre, période où le sucre de betterave  arrive en concurrence sur le marché national puis mondial, ce qui provoque une chute de la valeur du sucre de canne et une restructuration des usines allant déjà vers la centralisation. Les planteurs regroupent les moyens de fabrication sur l’usine jugée la mieux appropriée car mieux équipée, grande et puissante pour broyer un fort tonnage, et fabriquer le plus de sucre possible. De nombreuses sociétés se forment ainsi.

 

Les petits propriétaires sont ruinés et absorbés par les plus grands. Leurs usines et souvent leurs terres sont récupérées en échange d’un acompte souvent insuffisant pour se relancer. Ainsi, au bout de trois ans d’existence,  l’Usine des Filaos doit déjà faire face aux difficultés. En 1868, hypothéquée, elle passe aux mains du  Crédit Foncier Colonial, un certain Bruniquel l’achète et en 1910, elle est revendue à la famille de Villèle, descendant des Desbassayns.

 

A travers les broussailles, deux usines distinctes sont visibles sur ce terrain. La petite, toute en pierre de basalte arbore une basse cheminée blanche, elle devait abriter un moulin à eau. L’autre en murs blancs découpés de fenêtres en demi-lune, est surplombée d’une cheminée de basalte en pierres taillées, qui se détache sur le ciel et qu’on peut apercevoir de loin puisqu’elle dépasse les filaos. En 1917, en se consacrant totalement à la fabrication du rhum, l’usine cesse de produire du sucre. A la fin de la première guerre mondiale, la famine aidant, elle se transforme en usine de tapioca comme bon nombre de ses consoeurs.

 

Mardé, aujourd’hui âgé de 65 ans n’a jamais travaillé à Bruniquel, bien qu’il soit petit-fils d’une ouvrière de cette époque. Il habite toujours dans les environs, quartier de l’Œil de Bœuf où sont né et ont vécus ses propres parents. Il se rappelle des expressions de sa grand-mère, lorsqu’elle lui racontait qu’elle travaillait pour la famille Villèle dans cette usine et que pendant la guerre l’usine était devenue « une fabrique de cordes de Chocas ou d’Aloès. C’est juste après cette époque que l’usine a fermé ses portes définitivement.

 

Il ne reste que quelques murs et deux cheminées dressés comme des gardes aveugles, témoins d’une époque révolue. La canalisation venant de la ravine de l’Ermitage, à un kilomètre de là, envahie d’épineux serpente dans la savane dorée par le soleil de plomb. Non loin de là, le quartier de l’Œil de Bœuf abritait les travailleurs de l’usine. Les nombreux engagés Indiens ou Malgaches, ou  les rares affranchis, employés comme manœuvres, gardien de bœufs Moka, ou encore journaliers agricoles, vivaient dans des paillotes et des cases en bois sous tôle.

Sources :
Firmin Lacpatia  « Les indiens de La Réunion » Origine et recrutement- Surya Editions- 2009
François Géraud- thèse sur le sucre – 2002
Sudel Fuma, Histoire d’un peuple. La Réunion 1848-1900, CNH 1994 •
Marimoutou Michèle, Les engagés du sucre, Editions du tramail, 1999;
Le Patrimoine Des Communes De La Réunion – Auteur : Collectif- Editeur : Flohic – Collection : Le Patrimoine Des Communes De France -2000 

 

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