J’avais subi trois semaines d’hospitalisation à Saint-Pierre, en 1986. Je n’en garde que d’excellents souvenirs malgré une opération de plus de six heures rondement menée par le docteur Nicholas, suite à l’éclatement d’un ulcère qui était entrain de m’empoisonner lentement mais sûrement.
J’en garde un souvenir souriant parce qu’alors, la santé publique n’était pas encore une marchandise comme le pain ou la bagnole, qu’il fallait rentabiliser à tout prix. Un souvenir serein parce que les équipes du chef infirmier X m’avaient soigné comme un coq en pâte ; parce que les personnels de l’établissement, chapitrés par le directeur Billant, se comportaient comme dans un 4-étoiles, y compris pour la cuisine, de haut niveau.
Ce temps est loin. Je viens de rester une semaine en service cardiologie à Bellepierre. In coup d’congne i poique mwin.
Un lit d’hôpital n’est plus fait pour participer des soins mais pour rapporter du fric. Et ça ne fait qu’empirer. Tout ce qui marchait bien, les aéroports, les autoroutes, le système de santé, la moutarde tout comme nombre d’industries, tout a été vendu aux copains des dirigeants sous prétexte d’ultra-libéralisme. Ça rapporte des milliards au CAC-40 et pas un sou aux déjà pauvres.
De l’eau sans sel
Quand je dis " l’ignoble ", ça passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, y compris dans les détails insignifiants. Le plateau repas par exemple. Mon premier jour en cardio, titillé par une petite faim, j’attendais la jaffe.
Surprise, aucune petite cuillère pour le yaourt. Renseignements sollicités, il paraît que des " clients " (ben oui, on n’est plus des patients mais des clients) volent les petites cuillères et les couteaux. Et l’hosto n’a pas les moyens d’en racheter. C’est plus fort que minable ! Pourquoi ils n’en fournissent pas en plastique ? On vole assez rarement des couverts en plastique. Comme les autres, j’ai dégusté mon yaourt (sans sucre) avec le manche de ma fourchette.
Pour ce qui est du repas lui-même, après avoir gardé un yaourt anémique et une pomme dure comme une âme d’huissier, plate comme un poisson-torpille, j’ai renvoyé mon plateau et ai ainsi maigri de 12 kilos en une semaine.
Parce que c’était innommable, inconcevable, épouvantable. " On en a empalé pour moins que ça ", disait le Goth copain d’Astérix. Car en cardio, tout, tout, tout, est sans sel. Le cuisinier n’y est pour rien : il obéit aux ordres. Quand je dis " sans sel ", c’est sans sel, mais aussi sans poivre, sans oignon, sans ail, sans huile, sans rime ni raison?
Quand vous ne savez plus si c’est de la viande ou quelque indéfinissable quelque chose, vous résistez furieusement à l’envie de tout balancer par la porte. Mais je suis bien élevé.
Le riz était aussi sans sel et je suppose que l’eau de la carafe également. Il n’y a même pas de machine à café dans ce service ; sans doute pour nous éviter les tentations ?
Quand je dis " l’ignoble ", ça passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, y compris dans les détails insignifiants. Le plateau repas par exemple. Mon premier jour en cardio, titillé par une petite faim, j’attendais la jaffe.
Surprise, aucune petite cuillère pour le yaourt. Renseignements sollicités, il paraît que des " clients " (ben oui, on n’est plus des patients mais des clients) volent les petites cuillères et les couteaux. Et l’hosto n’a pas les moyens d’en racheter. C’est plus fort que minable ! Pourquoi ils n’en fournissent pas en plastique ? On vole assez rarement des couverts en plastique. Comme les autres, j’ai dégusté mon yaourt (sans sucre) avec le manche de ma fourchette.
Pour ce qui est du repas lui-même, après avoir gardé un yaourt anémique et une pomme dure comme une âme d’huissier, plate comme un poisson-torpille, j’ai renvoyé mon plateau et ai ainsi maigri de 12 kilos en une semaine.
Parce que c’était innommable, inconcevable, épouvantable. " On en a empalé pour moins que ça ", disait le Goth copain d’Astérix. Car en cardio, tout, tout, tout, est sans sel. Le cuisinier n’y est pour rien : il obéit aux ordres. Quand je dis " sans sel ", c’est sans sel, mais aussi sans poivre, sans oignon, sans ail, sans huile, sans rime ni raison?
Quand vous ne savez plus si c’est de la viande ou quelque indéfinissable quelque chose, vous résistez furieusement à l’envie de tout balancer par la porte. Mais je suis bien élevé.
Le riz était aussi sans sel et je suppose que l’eau de la carafe également. Il n’y a même pas de machine à café dans ce service ; sans doute pour nous éviter les tentations ?
Un personnel à hue et à dia
On commence vite à comprendre le pourquoi de ces incongruités quand on voit la " foule " de personnels chargée des soins et autres menues obligations ; des obligations par dizaines avec une infirmière et une aide-soignante pour 25 malades. Ou cour loin èk ça !
Le premier matin, premier petit déjeuner. Un bol de lait, une tasse de café soluble (mais pas mauvais), un sachet de sucre, une quille de beurre (vous savez, ces plaquettes d’un demi-centimètre d’épaisseur) et un petit pain (sans sel, of course). Je sollicitai timidement une deuxième plaquette de beurre ; l’infirmière me dit qu’elle allait m’en trouver une et est illico allée chercher cette plaquette que je n’ai jamais vue.
Je suppose qu’entretemps, elle a été happée par une petite vingtaine de collègues qui avaient des soucis moins beurrés que les miens et n’ai jamais fait la moindre remarque à ce sujet. Il était patent que ce personnel, courant à hue et à dia de 4 h du mat’ à 18 h, était en nombre tragiquement insuffisant.
Pareil pour l’aérosol qu’on m’avait gréé autour de la tête. Il fallait " déboucher les injecteurs avec une aiguille " (sic !). L’appareil prévu pour était hs. J’ai été " aérosolé " deux heures après.
On commence vite à comprendre le pourquoi de ces incongruités quand on voit la " foule " de personnels chargée des soins et autres menues obligations ; des obligations par dizaines avec une infirmière et une aide-soignante pour 25 malades. Ou cour loin èk ça !
Le premier matin, premier petit déjeuner. Un bol de lait, une tasse de café soluble (mais pas mauvais), un sachet de sucre, une quille de beurre (vous savez, ces plaquettes d’un demi-centimètre d’épaisseur) et un petit pain (sans sel, of course). Je sollicitai timidement une deuxième plaquette de beurre ; l’infirmière me dit qu’elle allait m’en trouver une et est illico allée chercher cette plaquette que je n’ai jamais vue.
Je suppose qu’entretemps, elle a été happée par une petite vingtaine de collègues qui avaient des soucis moins beurrés que les miens et n’ai jamais fait la moindre remarque à ce sujet. Il était patent que ce personnel, courant à hue et à dia de 4 h du mat’ à 18 h, était en nombre tragiquement insuffisant.
Pareil pour l’aérosol qu’on m’avait gréé autour de la tête. Il fallait " déboucher les injecteurs avec une aiguille " (sic !). L’appareil prévu pour était hs. J’ai été " aérosolé " deux heures après.
Mais comment font-ils ?
Le plus admirable est que jamais, jamais, une seule de ces personnes n’a fait montre de la moindre mauvaise humeur. Ce fut même tout le contraire, gentillesse, empressement, serviabilité, sourires que l’on devinait sous les masques.
Comme dans bien des cas de désespérance, contre ce mauvais sort qui leur est alloué, sous-effectifs galopants, manque de matériel fiable, horaires de hamsters dans leur roulette, salaires indignes, plans de carrière inexistants, interdiction d’ouvrir sa gueule autrement que pour dire « oui chef ! », j’ai vite compris que ces personnels absolument dignes d’hommages, n’ont que l’humour. La plaisanterie, le moucatage, le grain de folie, toutes choses seules capables de faire supporter l’insupportable.
De leurs réunions de travail, au petit jour lors du changements d’équipes, montaient souvent des crises de fou-rire.
Entendu un matin dans le couloir devant ma chambre, quand se préparaient les tonnes de cocktails médicamenteux… De jeunes aides-infirmières et infirmiers étaient là a se moucheter gentiment et rire follement…
" Ben embrasse a mwin alorsss ! " dit-il. Elle : " Ma embrasse a ou talèr somanqué. Là mwin na point l’temps ". Il n’en faut guère plus pour détendre une atmosphère plus que pesante.
Quand on se sent morveux on se mouche !
Malgré mon mauvais caractère légendaire, je n’eus pas une seule fois à redire de ces personnels. Ça avait commencé chez ma compagne, le dimanche à 14 heures. Je suffoquais, j’étais entrain de me noyer à l’air libre. Je ne sais si c’est aussi pénible dans un lac ou une baignoire mais je ne souhaite ça à personne sinon Poutine, bien entendu.
Le SDIS et le SAMU furent là très très vite. Et je ne me souviens de rien. Je me réveillai à 19 h en " chambre de déchocage ". Pompiers et médecins venaient de me vider les poumons en me remettant sur orbite à coups de caro électrique (défibrillateur, dit-on aussi). Voulaient pas me laisser partir. Et le diable ne voulait sans doute pas de moi : " Trop dur à cuire ! " qu’il a dit.
Une infirmière dont je n’ai jamais vu le visage, m’a tenu la main plus de deux heures, m’écoutant sans broncher débiter ma connerie native à cent sous de l’heure. J’en avais gros, très gros sur la patate. Contre moi-même.
Parce qu’on peut mener une vie de barreau de chaise et passer longtemps entre les gouttes sans se mouiller. Mais quand l’addition tombe, on casque lourd. Et là, l’addition, c’était la peine que je causais aux autres à force de couillonnisse.
Je songeais à ma compagne, chez qui tout avait commencé, elle sensible au point de stresser devant une bonne nouvelle. A mes frangins. A Leïla, Junior et Sweetie. A mes amis, Ludo, Pierrot, Dédé, Loïs, Jean-Marc, Henri, Sully… Quel droit avais-je donc de les plonger ainsi dans le tourment, eux qui en avaient déjà plus que leur compte ?
L’infirmière m’écouta débiter tout ça sans broncher. De l’autre côté du rideau, son collègue tenait la main d’une vieille emphysémateuse entrain de cracher ses poumons, la rassurant d’une voix plus douce que celle d’une mère au chevet d’un enfant malade.
Ce sont ces personnels soignants que notre gouvernement ultra-libéral méprise au point de vouloir les rentabiliser.
Moi, je ne saurai jamais assez leur dire merci.
Le plus admirable est que jamais, jamais, une seule de ces personnes n’a fait montre de la moindre mauvaise humeur. Ce fut même tout le contraire, gentillesse, empressement, serviabilité, sourires que l’on devinait sous les masques.
Comme dans bien des cas de désespérance, contre ce mauvais sort qui leur est alloué, sous-effectifs galopants, manque de matériel fiable, horaires de hamsters dans leur roulette, salaires indignes, plans de carrière inexistants, interdiction d’ouvrir sa gueule autrement que pour dire « oui chef ! », j’ai vite compris que ces personnels absolument dignes d’hommages, n’ont que l’humour. La plaisanterie, le moucatage, le grain de folie, toutes choses seules capables de faire supporter l’insupportable.
De leurs réunions de travail, au petit jour lors du changements d’équipes, montaient souvent des crises de fou-rire.
Entendu un matin dans le couloir devant ma chambre, quand se préparaient les tonnes de cocktails médicamenteux… De jeunes aides-infirmières et infirmiers étaient là a se moucheter gentiment et rire follement…
" Ben embrasse a mwin alorsss ! " dit-il. Elle : " Ma embrasse a ou talèr somanqué. Là mwin na point l’temps ". Il n’en faut guère plus pour détendre une atmosphère plus que pesante.
Quand on se sent morveux on se mouche !
Malgré mon mauvais caractère légendaire, je n’eus pas une seule fois à redire de ces personnels. Ça avait commencé chez ma compagne, le dimanche à 14 heures. Je suffoquais, j’étais entrain de me noyer à l’air libre. Je ne sais si c’est aussi pénible dans un lac ou une baignoire mais je ne souhaite ça à personne sinon Poutine, bien entendu.
Le SDIS et le SAMU furent là très très vite. Et je ne me souviens de rien. Je me réveillai à 19 h en " chambre de déchocage ". Pompiers et médecins venaient de me vider les poumons en me remettant sur orbite à coups de caro électrique (défibrillateur, dit-on aussi). Voulaient pas me laisser partir. Et le diable ne voulait sans doute pas de moi : " Trop dur à cuire ! " qu’il a dit.
Une infirmière dont je n’ai jamais vu le visage, m’a tenu la main plus de deux heures, m’écoutant sans broncher débiter ma connerie native à cent sous de l’heure. J’en avais gros, très gros sur la patate. Contre moi-même.
Parce qu’on peut mener une vie de barreau de chaise et passer longtemps entre les gouttes sans se mouiller. Mais quand l’addition tombe, on casque lourd. Et là, l’addition, c’était la peine que je causais aux autres à force de couillonnisse.
Je songeais à ma compagne, chez qui tout avait commencé, elle sensible au point de stresser devant une bonne nouvelle. A mes frangins. A Leïla, Junior et Sweetie. A mes amis, Ludo, Pierrot, Dédé, Loïs, Jean-Marc, Henri, Sully… Quel droit avais-je donc de les plonger ainsi dans le tourment, eux qui en avaient déjà plus que leur compte ?
L’infirmière m’écouta débiter tout ça sans broncher. De l’autre côté du rideau, son collègue tenait la main d’une vieille emphysémateuse entrain de cracher ses poumons, la rassurant d’une voix plus douce que celle d’une mère au chevet d’un enfant malade.
Ce sont ces personnels soignants que notre gouvernement ultra-libéral méprise au point de vouloir les rentabiliser.
Moi, je ne saurai jamais assez leur dire merci.