L'association ADESIR OI, dont le président est Mohammad Bhagatte, l'imam de la grande mosquée de Saint-Denis, a invité le professeur Jean Baubérot, un des spécialistes français de la laïcité pour donner une série de conférences dans l'île.
Il y a de multiples façons d'appréhender la laïcité, depuis la plus intégriste, défendue par ce qu'on appelle les "laïcards" jusqu'à la plus "ouverte". Jean Baubérot fait plutôt partie de cette dernière catégorie.
J'ai longuement pu discuter avec le professeur Baubérot lors d'un déjeuner organisé ce samedi midi par l'association ADESIR au restaurant Le Jaïpur, à Saint-Denis. L'homme est affable, manifestement très cultivé et il connait son sujet sur le bout des doigts.
Lors d'une violente polémique avec la journaliste de gauche Caroline Fourest en octobre dernier, cette dernière avait accusé le professeur Baubérot d'avoir une "vision relativiste de l’histoire de la laïcité (où toutes les interprétations de 1905 se valent), une volonté de renégocier la Séparation, un militantisme obstiné pour importer les accommodements religieux » et le modèle canadien, un soutien aux sectes, un vocabulaire caricatural et inversé minimisant le danger du radicalisme religieux tout en parlant de danger "laïciste" et d'"intégrisme républicain". Une conception désarmante de la laïcité qui va jusqu’à la complaisance affichée envers les mouvements religieux radicaux, sexistes et homophobes, comme l’UOIF, qui l’invite presque chaque année à son Congrès. Jean Baubérot se défend de placer la liberté religieuse avant l’égalité, mais tous ses travaux et ses prises de positions militent dans ce sens…"
Comme on le voit, les propos sont très violents et tranchés.
Rien de tel lors de nos échanges de ce midi. Il est vrai que la discussion a été facilitée par le fait qu'on a surtout évoqué la situation particulière du "vivre ensemble" à l'ile de la Réunion. Les clivages ne sont pas aussi tranchés ici qu'en métropole et on aurait du mal de voir des intellectuels réunionnais échanger des propos aussi agressifs sur le thème de la laïcité.
Nos échanges ont été extrêmement enrichissants et j'ai pris énormément de plaisir à échanger avec le professeur Baubérot. Je n'ai cependant pas pu m'empêcher de penser à Caroline Fourest à certains moments de la discussion. Par exemple, quand j'ai évoqué le récent reportage de France 2 diffusé mercredi tourné en caméra cachée par deux femmes habitant la ville de Sevran dans le 93. On y voit, dans certains quartiers populaires, des rues désertes. Des bars sont interdits aux femmes. Quand les deux militantes demandent pourquoi?, on entend distinctement sur la vidéo : "Dans ce café, il n'y a pas de mixité. On est à Sevran, on n'est pas à Paris. T'es dans le 93 ici ! C'est des mentalités différentes, c'est comme au bled".
Quand je rapporte ces propos au professeur Baubérot, il ne cache pas son scepticisme. Il met en avant un ami à lui qui habiterait dans le 93 et qui ne lui rapporte pas du tout le même genre de scènes. Et selon lui, "il faut se méfier de ce genre de reportages. Il y avait eu la même chose avec l'émission Tabou de Bernard de la Villardière et, par la suite, on avait constaté que les choses ne s'étaient pas du tout passées comme ça avait été rapporté".
Pourtant, difficile de parler de manipulation en l'occurrence puisque tout est enregistré et que les faits sont difficilement contestables.
De la même façon, quand je lui demande son avis sur le fait que toutes les volailles abattues à la Réunion sont halal ou que les compagnies aériennes ne servent pas de repas contenant du porc ou du boeuf pour raisons religieuses, il prend soin de démarquer la religion. Selon lui, si de tels faits existent, c'est pour des raisons économiques qui sont sans doute le fait des professionnels, mais qui ne seraient pas à l'initiative des religieux.
Après près de deux heures de discussion au cours de laquelle nous avons beaucoup cherché à comprendre les raisons du fameux "vivre ensemble" réunionnais, j'ai conclu en affirmant que nous avions la chance de vivre à la Réunion et de pouvoir vivre en totale harmonie avec nos concitoyens, sans tenir compte de leurs races ou de leurs religions. Mais qu'il convenait malgré tout de demeurer vigilant car les choses évoluaient très vite et qu'on assistait à une montée du radicalisme qui pouvait être extrêmement dangereuse, au point d'être capable de faire exploser ce "vivre ensemble" dans les années à venir. Et j'en voulais pour preuve la montée sensible du Front national à la Réunion.
L'imam Mohammad Bhagatte a cherché à minimiser cette montée du radicalisme. Selon lui, il n'y a pas de mosquée radicalisée à la Réunion, contrairement à ce qu'on affirme, et il m'a proposé d'effectuer en sa compagnie la tournée des différentes mosquées de l'ile pour m'en convaincre. Ce que j'ai volontiers accepté.
Il en veut pour preuve que "99,8% des prêches des imams sont diffusés, en français, sur internet", ce qui est un moyen facile de vérifier leur neutralité. Ce à quoi je lui ai rétorqué que l'expérience métropolitaine montre bien que c'est souvent à proximité des mosquées, avant ou après les prières, que les tentatives d'embrigadement s'effectuent.
Conclusion : Il y a bien une laïcité originale à la Réunion. Reste à savoir si elle va pouvoir continuer à vivre longtemps. Faut-il appliquer ici toutes les lois de la République française, même quand elles sont censées régler des problèmes qui n'existent pas ici avec la même gravité qu'en métropole? Et le fameux "vivre ensemble" réunionnais peut-il perdurer longtemps au milieu de ce monde perturbé où les nouvelles des attentats nous arrivent quelques minutes après qu'ils aient été commis? Voilà des questions qui seront sans doute abordées lors des conférences qui seront données par le professeur Baubérot et lors des débats qui suivront.
Pierrot Dupuy
Il y a de multiples façons d'appréhender la laïcité, depuis la plus intégriste, défendue par ce qu'on appelle les "laïcards" jusqu'à la plus "ouverte". Jean Baubérot fait plutôt partie de cette dernière catégorie.
J'ai longuement pu discuter avec le professeur Baubérot lors d'un déjeuner organisé ce samedi midi par l'association ADESIR au restaurant Le Jaïpur, à Saint-Denis. L'homme est affable, manifestement très cultivé et il connait son sujet sur le bout des doigts.
Lors d'une violente polémique avec la journaliste de gauche Caroline Fourest en octobre dernier, cette dernière avait accusé le professeur Baubérot d'avoir une "vision relativiste de l’histoire de la laïcité (où toutes les interprétations de 1905 se valent), une volonté de renégocier la Séparation, un militantisme obstiné pour importer les accommodements religieux » et le modèle canadien, un soutien aux sectes, un vocabulaire caricatural et inversé minimisant le danger du radicalisme religieux tout en parlant de danger "laïciste" et d'"intégrisme républicain". Une conception désarmante de la laïcité qui va jusqu’à la complaisance affichée envers les mouvements religieux radicaux, sexistes et homophobes, comme l’UOIF, qui l’invite presque chaque année à son Congrès. Jean Baubérot se défend de placer la liberté religieuse avant l’égalité, mais tous ses travaux et ses prises de positions militent dans ce sens…"
Comme on le voit, les propos sont très violents et tranchés.
Rien de tel lors de nos échanges de ce midi. Il est vrai que la discussion a été facilitée par le fait qu'on a surtout évoqué la situation particulière du "vivre ensemble" à l'ile de la Réunion. Les clivages ne sont pas aussi tranchés ici qu'en métropole et on aurait du mal de voir des intellectuels réunionnais échanger des propos aussi agressifs sur le thème de la laïcité.
Nos échanges ont été extrêmement enrichissants et j'ai pris énormément de plaisir à échanger avec le professeur Baubérot. Je n'ai cependant pas pu m'empêcher de penser à Caroline Fourest à certains moments de la discussion. Par exemple, quand j'ai évoqué le récent reportage de France 2 diffusé mercredi tourné en caméra cachée par deux femmes habitant la ville de Sevran dans le 93. On y voit, dans certains quartiers populaires, des rues désertes. Des bars sont interdits aux femmes. Quand les deux militantes demandent pourquoi?, on entend distinctement sur la vidéo : "Dans ce café, il n'y a pas de mixité. On est à Sevran, on n'est pas à Paris. T'es dans le 93 ici ! C'est des mentalités différentes, c'est comme au bled".
Quand je rapporte ces propos au professeur Baubérot, il ne cache pas son scepticisme. Il met en avant un ami à lui qui habiterait dans le 93 et qui ne lui rapporte pas du tout le même genre de scènes. Et selon lui, "il faut se méfier de ce genre de reportages. Il y avait eu la même chose avec l'émission Tabou de Bernard de la Villardière et, par la suite, on avait constaté que les choses ne s'étaient pas du tout passées comme ça avait été rapporté".
Pourtant, difficile de parler de manipulation en l'occurrence puisque tout est enregistré et que les faits sont difficilement contestables.
De la même façon, quand je lui demande son avis sur le fait que toutes les volailles abattues à la Réunion sont halal ou que les compagnies aériennes ne servent pas de repas contenant du porc ou du boeuf pour raisons religieuses, il prend soin de démarquer la religion. Selon lui, si de tels faits existent, c'est pour des raisons économiques qui sont sans doute le fait des professionnels, mais qui ne seraient pas à l'initiative des religieux.
Après près de deux heures de discussion au cours de laquelle nous avons beaucoup cherché à comprendre les raisons du fameux "vivre ensemble" réunionnais, j'ai conclu en affirmant que nous avions la chance de vivre à la Réunion et de pouvoir vivre en totale harmonie avec nos concitoyens, sans tenir compte de leurs races ou de leurs religions. Mais qu'il convenait malgré tout de demeurer vigilant car les choses évoluaient très vite et qu'on assistait à une montée du radicalisme qui pouvait être extrêmement dangereuse, au point d'être capable de faire exploser ce "vivre ensemble" dans les années à venir. Et j'en voulais pour preuve la montée sensible du Front national à la Réunion.
L'imam Mohammad Bhagatte a cherché à minimiser cette montée du radicalisme. Selon lui, il n'y a pas de mosquée radicalisée à la Réunion, contrairement à ce qu'on affirme, et il m'a proposé d'effectuer en sa compagnie la tournée des différentes mosquées de l'ile pour m'en convaincre. Ce que j'ai volontiers accepté.
Il en veut pour preuve que "99,8% des prêches des imams sont diffusés, en français, sur internet", ce qui est un moyen facile de vérifier leur neutralité. Ce à quoi je lui ai rétorqué que l'expérience métropolitaine montre bien que c'est souvent à proximité des mosquées, avant ou après les prières, que les tentatives d'embrigadement s'effectuent.
Conclusion : Il y a bien une laïcité originale à la Réunion. Reste à savoir si elle va pouvoir continuer à vivre longtemps. Faut-il appliquer ici toutes les lois de la République française, même quand elles sont censées régler des problèmes qui n'existent pas ici avec la même gravité qu'en métropole? Et le fameux "vivre ensemble" réunionnais peut-il perdurer longtemps au milieu de ce monde perturbé où les nouvelles des attentats nous arrivent quelques minutes après qu'ils aient été commis? Voilà des questions qui seront sans doute abordées lors des conférences qui seront données par le professeur Baubérot et lors des débats qui suivront.
Pierrot Dupuy
Le professeur Baubérot animera deux conférences publiques :
- le 13 décembre à 19h au Salon d’Honneur de l’Hôtel de ville de Saint-Denis : Les défis de la laïcité face aux attentats
- le 15 décembre à 19h à la salle Le Kerveguen à Saint-Pierre : Les enjeux de la laïcité en France hier, aujourd'hui, demain
Le vendredi 16 décembre à 18h30, la présidente du Conseil départemental, Mme Nassimah Dindar et lui inaugureront une stèle de la laïcité sur le parvis des Droits de l’Homme à Saint-Denis.
Enfin, M. Baubérot a souhaité également avoir un temps d’échange privilégié avec les acteurs de la société réunionnaise lors d’un séminaire intitulé "Rencontre et échanges autour de la laïcité avec le professeur Jean Baubérot". Il aura lieu le samedi 17 décembre de 8h30 à 12h30 à l’hémicycle de l’Hôtel de Région Pierre Lagourgue à Saint-Denis. Ce séminaire est ouvert à tout le monde et il y a encore une soixantaine de places de disponibles.
Les organisateurs de cet événement espèrent que ses interventions permettront non seulement de préserver et d’enrichir notre vivre- ensemble, mais également de construire les bases d’un faire-ensemble, et que ces échanges, moments de rencontre et de discussion, auront des répercussions positives sur la société réunionnaise dans son ensemble.
- le 13 décembre à 19h au Salon d’Honneur de l’Hôtel de ville de Saint-Denis : Les défis de la laïcité face aux attentats
- le 15 décembre à 19h à la salle Le Kerveguen à Saint-Pierre : Les enjeux de la laïcité en France hier, aujourd'hui, demain
Le vendredi 16 décembre à 18h30, la présidente du Conseil départemental, Mme Nassimah Dindar et lui inaugureront une stèle de la laïcité sur le parvis des Droits de l’Homme à Saint-Denis.
Enfin, M. Baubérot a souhaité également avoir un temps d’échange privilégié avec les acteurs de la société réunionnaise lors d’un séminaire intitulé "Rencontre et échanges autour de la laïcité avec le professeur Jean Baubérot". Il aura lieu le samedi 17 décembre de 8h30 à 12h30 à l’hémicycle de l’Hôtel de Région Pierre Lagourgue à Saint-Denis. Ce séminaire est ouvert à tout le monde et il y a encore une soixantaine de places de disponibles.
Les organisateurs de cet événement espèrent que ses interventions permettront non seulement de préserver et d’enrichir notre vivre- ensemble, mais également de construire les bases d’un faire-ensemble, et que ces échanges, moments de rencontre et de discussion, auront des répercussions positives sur la société réunionnaise dans son ensemble.