Jusqu’à présent, les captages d’eau phréatique du forage des Cafés et du réservoir Charpentier, à Sainte-Marie, n’avaient pas fait l’objet de signalement. Ces captages alimentent les secteurs des Cafés, de La Convenance, des Gaspards et de la Ravine des Chèvres. La dernière facture d’eau de la CISE est accompagnée d’un mot du maire, M. Jean-Louis Lagourgue.
Sur ce mot, il est précisé avoir été retrouvé « de manière chronique » à un taux supérieur au seuil réglementaire de la déséthyl-atrazine, un dérivé de l’atrazine, interdite à la vente en France depuis le 30 septembre 2002, et à la consommation depuis le 30 juin 2003. Les recommandations européennes sont postérieures (directive 91/414). Les normes sont de 0.1 µg/l (Agence de Sécurité Sanitaire des Aliments et normes écologiques européennes, qui est d’ailleurs le seuil de détection), et de 0.4 µg/l pour l’OMS. Les valeurs retrouvées à Sainte-Marie sont entre ces deux chiffres. La mairie s’engage à financer des études pour construire une station de traitement.
Chaque année à La Réunion, 1500 tonnes de pesticides sont consommés, dont 90% par l’agriculture. 24 captages (12%) en 2010 étaient non-conformes (taux de pesticides supérieur à 0.1 µg/l). Dans 50% des cas, il s’agissait d’atrazine ou de ses dérivés. En 2006, le captage de Dos D’âne a été fermé. Rappelons les récents problèmes du captage de La Salette à Saint-Pierre, et les coûts exorbitants du traitement.
L’atrazine étant interdite, elle a été remplacée par d’autres herbicides (comme le tristement célèbre glyphosate, ou Roundup, de Monsanto). Grâce aux travaux de Tyrone Hayes et de son équipe (1), l’atrazine et ses dérivés sont reconnus comme perturbateurs endocriniens des batraciens anoures, en féminisant les grenouilles mâles à des taux infinitésimaux (0.1 partie par milliard). Elle peut entraîner une dépression immunitaire létale chez une espèce de salamandre (2).
Aux taux recommandés par les agences européennes, elle ne serait pas cancérigène. Mais les études n’ont pas été poursuivies. Enfin une étude parue en 2009 (3) a corrélé les troubles de l’attention et de l’humeur des petits enfants avec la teneur en pesticides des eaux de consommation humaine. Il s’agissait d’organophosphorés. Pour mémoire, le 2,4,5-trichlorophénol, encore utilisé de nos jours, constitue l’un des deux composés de l’agent orange utilisé comme défoliant lors de la guerre du Vietnam.
Se débarrasser de l’atrazine, alors que 9 ans après son interdiction ses métabolites sont toujours présents, est ardu et montre bien la rémanence des eaux souterraines. Le Ray-Grass italien (Lolium Multiflorum), capable de détoxiquer l’atrazine grâce à ses enzymes, n’est utile que sur les eaux pluviales (4). Installer un traitement des eaux de niveau 3, c’est-à-dire en traitement d’affinage, avec rétention sur charbon actif, semble bien la seule solution. Mais à quel prix ?
La vraie solution est préventive, en diminuant l’usage agricole des désherbants organiques, par l’utilisation d’engrais verts, par l’allélopathie (compétition entre les différentes cultures), et surtout par la formation, l’information, la discussion, et la participation des agriculteurs à la sauvegarde de notre île. Rien n’autorise à croire, à la lecture du mot du maire sainte-marien, dans une commune hautement agricole, que les discussions aient été engagées dans ce sens avec la Chambre d’Agriculture.
Bruno Bourgeon, Alain Busser, Jean-Marc Tagliaferri
Membres EELVR
(1) http://ehp03.niehs.nih.gov/article/info:doi/10.1289/ehp.5932
(2) http://allenpress.com/pdf/entc(2)_a25_01%20168-173.pdf
(3) http://pediatrics.aappublications.org/cgi/content/abstract/peds.2009-3058v1
(4) http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0269749109002723