Revenir à la rubrique : Courrier des lecteurs

Tribune libre de Didier Dérand – Requins : La vérité monsieur le préfet, juste la vérité

Monsieur le Préfet,   Le 3 mai 2019 j’ai adressé à Madame la Ministre des Outre-Mer un courrier relatif aux derniers développements de ce qu’il est convenu d’appeler la « crise requin » à l’Ile de la Réunion : l’origine potentielle des attaques de requins – notamment celles survenues dans l’ouest de notre île au cours des années […]

Ecrit par Didier DERAND – le mardi 18 juin 2019 à 14H43

Monsieur le Préfet,
 
Le 3 mai 2019 j’ai adressé à Madame la Ministre des Outre-Mer un courrier relatif aux derniers développements de ce qu’il est convenu d’appeler la « crise requin » à l’Ile de la Réunion : l’origine potentielle des attaques de requins – notamment celles survenues dans l’ouest de notre île au cours des années 2011 à 2013 – à travers les rejets de centaines de tonnes de déchets de poisson effectués apparemment par une entreprise locale dans la baie de Saint-Paul.

Par courrier du 22 mai 2019, Madame la Ministre m’informait qu’elle avait chargé le Préfet de la Réunion de m’apporter une réponse.
A ce jour, je n’en ai reçu aucune. Croyez bien que je le regrette.
 
Le 16 mai 2019 j’ai adressé à la Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt, un mail à propos de la légalité de ces rejets de déchets de poisson en mer. Mail transmis par la DAAF à la préfecture. Là encore, aucune réponse de votre prédécesseur.
 
Ces faits sont connus de l’Etat français depuis près de quatre mois, suite au témoignage du marin à l’origine des révélations et à l’interview réalisée par l’agence Imaz Press sur les quais du Port le 24 février 2019 :
[https://www.facebook.com/yannis.latchimy.98/videos/278149336462011/]url:https://www.facebook.com/yannis.latchimy.98/videos/278149336462011/
http://www.ipreunion.com/actualites-reunion/reportage/2019/02/24/dechet-crise-requin,98035.html
[https://www.zinfos974.com/Requins-Que-s-est-il-passe-dans-la-baie-de-Saint-Paul_a140076.html]url:https://www.zinfos974.com/Requins-Que-s-est-il-passe-dans-la-baie-de-Saint-Paul_a140076.html
 
Pourtant rien n’a bougé que ce soit au niveau local ou national ; et l’on ne peut que s’étonner du silence de l’Etat – comme de certains médias locaux – dans cette affaire.

Pourtant dans ce dossier, des gens sont morts. D’autres ont été handicapés à vie.

Pourtant des familles ont été détruites.
 
Des familles ont le droit de savoir POURQUOI leur enfant est mort.
Les réunionnais ont le droit de savoir ce qui s’est réellement passé.
 
La défense des hauts intérêts d’une industrie locale florissante, pour louable qu’elle soit dans le contexte économique actuel, peut-elle passer avant le droit à la vie, réaffirmé par l’ordonnance du Conseil d’Etat n° 370902 en date du 13 août 2013 (Ministre de l’Intérieur c/ commune de Saint-Leu) ?
 
Ces faits mettent également en exergue les failles et les paradoxes voire l’absurdité de la politique mise en œuvre par l’Etat français pour la gestion de ce problème, à savoir la destruction systématique des requins tigre et bouledogue dans les eaux réunionnaises alors même que :
 

  1. l’ordonnance du Conseil d’Etat précitée, qui a condamné l’Etat français pour sa gestion de la « crise requin », ne l’a nullement contraint à procéder de la sorte : la tuerie des requins qui se perpétue dans nos eaux n’est absolument pas une obligation légale.

 

  1. les rejets de centaines de tonnes de déchets de poisson dans la baie de Saint-Paul ont très certainement attiré les requins pendant plusieurs années à proximité immédiate des plages et des spots de surf de la côte ouest.

 

  1. les rejets organiques terrestres posent toujours problème. L’étude ECoReCo-Run de l’Université de la Réunion, réalisée de 2015 à 2017, a révélé la présence de….poulets dans 29% des estomacs des requins tigres pêchés. D’après les auteurs, « une aussi grande quantité de poulets, retrouvés régulièrement au cours de l’année, ne semble pas relever d’un apport naturel et normal par les ravines. La présence d’un poulet dans un sachet plastique fermé par un double nœud ou celle d’individus quasiment intacts laisse penser qu’il ne s’agit pas d’animaux morts et emportés par des ravines mais plutôt d’animaux qui seraient utilisés lors de cultes en milieu littoral ».

[http://www.info-requin.re/IMG/pdf/ecoreco-run.pdf]url:http://www.info-requin.re/IMG/pdf/ecoreco-run.pdf
[https://www.zinfos974.com/Des-poulets-retrouves-dans-les-estomacs-des-requins_a141180.html]url:https://www.zinfos974.com/Des-poulets-retrouves-dans-les-estomacs-des-requins_a141180.html
 

  1. selon la même étude, « parmi les poissons consommés par les deux espèces, une part non négligeable (~15% en nombre et en masse) sont des déchets de pêche et de poissonneries. En particulier la totalité des restes des grands poissons pélagiques (….). Ces déchets pourraient contribuer à fixer les requins tigre, et bouledogue dans une moindre mesure, à proximité des côtes. Les déchets de pêche peuvent être rejetés au minimum à  2,5 milles nautiques au large. Cette distance est faible pour des requins tigre, qui pourraient avoir pris l’habitude de rester à proximité de certains sites fréquemment utilisés par les pêcheurs pour se débarrasser de leurs déchets ».

 

  1. à ce jour les rejets de déchets de poisson continuent impunément, en violation de l’arrêté préfectoral du 18 juillet 2012. Ce qui a conduit votre prédécesseur à émettre le 24 mai….un communiqué de presse à propos des rejets dans le port de Saint-Gilles :

[https://www.clicanoo.re/Societe/Article/2019/05/24/Saint-Gilles-Decouverte-de-dechets-de-poisson-dans-le-port_578338]url:https://www.clicanoo.re/Societe/Article/2019/05/24/Saint-Gilles-Decouverte-de-dechets-de-poisson-dans-le-port_578338
 

  1. l’appâtage quasi-quotidien réalisé par le CRA (Centre de Ressource et d’Appui pour la réduction du risque requin) dans le cadre des opérations de pêche attire les requins près des côtes, au mépris de la sécurité des usagers.

 

  1. la pêche aux requins, baptisée par les autorités du doux nom de « prélèvement », ne fait que détruire un peu plus des espèces dites « accessoires » déjà menacées comme le requin marteau halicorne ou la grande raie guitare.

Ainsi, entre le 29 mars 2018 et le 30 mai 2019, pas moins de 27 requins marteaux ont été capturés, dont 9 sont morts et 4 ont été relâchés « fatigués » !
Sur la même période les captures réalisées par le CRA ont été de 21 requins bouledogues (7%), 84 requins tigres (28%), et 194 prises accessoires (65%) dont 38 trouvées mortes (20%) à l’arrivée des pêcheurs. Ce programme de pêche capture en priorité des prises accessoires et des requins tigres.
[https://www.facebook.com/notes/vie-oc%C3%A9ane/une-p%C3%AAche-cibl%C3%A9e-sur-les-prises-accessoires-/2124210244332001/]url:https://www.facebook.com/notes/vie-oc%C3%A9ane/une-p%C3%AAche-cibl%C3%A9e-sur-les-prises-accessoires-/2124210244332001/
[http://www.info-requin.re/syntheses-des-operations-de-peche-de-prevention-a856.html?fbclid=IwAR3NLAU-t7eIimEwBc4rDOLcrv3FGv8A4ih4_L7Plf9X5ZNAnuFmFE0nu90]url:http://www.info-requin.re/syntheses-des-operations-de-peche-de-prevention-a856.html?fbclid=IwAR3NLAU-t7eIimEwBc4rDOLcrv3FGv8A4ih4_L7Plf9X5ZNAnuFmFE0nu90
 

  1. en tant que prédateurs de fin de chaîne, les requins – en particulier le requin tigre, véritable « éboueur des mers » – sont les garants de la bonne santé des populations d’animaux marins, en éliminant les cadavres et les animaux malades et/ou génétiquement faibles. Les détruire, c’est mettre en danger la ressource halieutique et la biodiversité marine (cf. épidémies de fibropapillomatose chez les tortues marines).

 

  1. la destruction des requins a commencé il y a 7 ans sans même que l’état de leurs populations ne soit connu. A partir d’une évaluation de la taille maximale de la population de requins bouledogue, les scientifiques de l’étude CHARC, réalisée de 2012 à 2015, concluent que « le nombre maximal de requins bouledogue à La Réunion est davantage de l’ordre de plusieurs centaines que de plusieurs milliers ».

[http://www.info-requin.re/rapport-scientifique-final-du-programme-charc-a454.html]url:http://www.info-requin.re/rapport-scientifique-final-du-programme-charc-a454.html
A la date du 30 mai 2019, les statistiques – incomplètes – publiées sur le site info-requin font état de 374 requins tués (141 bouledogues contre 233 tigres). Vu l’appréciation quantitative précédente sur la taille de la population de requins bouledogues dans nos eaux, on pourrait la mettre en danger à plus ou moins long terme en continuant la pêche. [http://www.info-requin.re/prelevements-r67.html]url:http://www.info-requin.re/prelevements-r67.html
 

  1. l’étude CHARC a montré que les requins tigres vivent préférentiellement au large.

Il est donc probable que ce soient les rejets de déchets en tous genres et les appâts du CRA qui les attirent près des côtes (ainsi que la diminution de la ressource en poissons au large). Or une autre étude publiée en 2017 a montré que sur 21 attaques non provoquées ayant eu lieu entre 2000 et 2016, 11 étaient dues à des requins bouledogues, seulement 4 à des requins tigres et 6 n’étaient pas identifiées.
[https://www.researchgate.net/publication/314162399_Clinical_features_of_27_shark_attack_cases_on_La_Reunion_Island]url:https://www.researchgate.net/publication/314162399_Clinical_features_of_27_shark_attack_cases_on_La_Reunion_Island
Le requin tigre est donc beaucoup moins impliqué dans les attaques que le bouledogue. C’est pourtant lui que l’on tue en priorité ! Cela n’a aucun sens….
 

  1. tant le requin bouledogue que le requin tigre sont inscrits sur la liste rouge de l’UICN avec un statut « quasi menacé d’extinction », principalement du fait de la surpêche.

 
Sous des prétextes de sécurité publique dont on voit les limites (accident récent et mortel pour un surfeur), l’élimination de prédateurs indispensables au bon fonctionnement des écosystèmes marins n’est, définitivement, PAS la solution.
Détruire des requins au motif que leur présence constitue un danger pour l’homme, alors que dans le même temps on fait tout pour les attirer près des côtes, est absurde.
 
Il faut au contraire en finir avec la tradition du « tout-à-la-mer » à la Réunion ; accélérer l’adoption de systèmes de protection individuelle et collective partout où cela est possible :

  • les protections individuelles et le dispositif vigies-requins pour les surfeurs (le sonar de détection est encore en phase de test) ;
  • les filets de protection (déjà installés) ou les barrières magnétiques (en phase de test) pour les sites de baignade ouverts sur l’océan ;

 
……et enfin rétablir un accès à l’océan pour les réunionnais.
L’interdiction de la baignade et des activités nautiques, en vigueur depuis juillet 2013 sur la quasi-totalité du littoral, n’est plus tolérable. Cette réglementation, très restrictive, n’est ni respectée ni même appliquée. Elle est donc parfaitement inutile : c’est avant tout l’expression du Grand Parapluie Administratif : [https://www.zinfos974.com/%E2%96%B6%EF%B8%8F-Ils-surfent-a-Trois-Bassins-bravant-l-interdiction-Que-fait-le-Prefet_a135686.html]url:https://www.zinfos974.com/%E2%96%B6%EF%B8%8F-Ils-surfent-a-Trois-Bassins-bravant-l-interdiction-Que-fait-le-Prefet_a135686.html
La solution, pour les zones non protégées et non surveillées, est de retourner à une pratique « aux risques et périls des intéressés » comme le prévoit d’ailleurs l’article L.2213-23 du code général des collectivités territoriales. Cela incitera peut-être certains pratiquants du surf, activité majoritairement concernée par les attaques de requins, à respecter les règles élémentaires de prudence.
 
Depuis sept ans à la Réunion, plusieurs centaines de requins ont été tués pour être envoyés….à l’équarrissage. Un scandaleux gaspillage de biodiversité.
Il n’est nul besoin de continuer à tuer des requins pour protéger le public.
On doit au contraire tout faire pour réconcilier l’homme et le requin dans notre île ou au moins développer une meilleure acceptation du risque que cet animal représente.
 
Monsieur le Préfet, j’ai donc l’honneur de solliciter de votre part : 

  • l’arrêt de la politique d’extermination des requins tigre et bouledogue menée par l’Etat français à l’Ile de la Réunion depuis 2012,
  • le retour, en dehors des zones protégées et surveillées, à des pratiques de baignade et de surf « aux risques et périls des intéressés »,
  • la mise en place d’une commission d’enquête sur les faits précités (les rejets de déchets de poisson dans la baie de St-Paul), avec un « porter à connaissance » rendu public sous les meilleurs délais.

 
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer Monsieur le Préfet l’expression de mes sentiments respectueux.

 

Thèmes :
Message fin article

Avez-vous aimé cet article ?

Partagez-le sans tarder sur les réseaux sociaux, abonnez-vous à notre Newsletter,
et restez à l'affût de nos dernières actualités en nous suivant sur Google Actualités.

Pour accéder à nos articles en continu, voici notre flux RSS : https://www.zinfos974.com/feed
Une meilleure expérience de lecture !
nous suggérons l'utilisation de Feedly.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires