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Tribune libre d’André Oraison et Julie Pontalba

Le 21 septembre a été décrété « Journée internationale de la paix » par l’Organisation des Nations Unies. Le thème de cette année a pour titre : "Façonner la paix ensemble". Partout en France, des actions seront menées pour assurer la sauvegarde « de la paix, de la sécurité sanitaire et sociale, du climat et du désarmement nucléaire ». Dès la création de notre mouvement, nous avons contribué à cette journée en organisant notamment des rassemblements sur le parvis des Droits de l'Homme à Champs Fleuri. Cette année, les rassemblements sont à proscrire pour des raisons sanitaires. Néanmoins, nous avons souhaité participer à cette importante journée. Le 5 septembre dernier, nous avons écrit au Secrétaire général des Nations Unies (sous couvert du préfet de La Réunion et du ministre français des affaires étrangères) ainsi qu'au Secrétaire général de la Commission de l'Océan Indien (COI), pour demander de manière argumentée que notre zone océan Indien – telle que définie dans la résolution onusienne 2832 – fasse l’objet d’un traité multilatéral afin qu’elle soit classée « zone dénucléarisée », à l’instar de la quasi-totalité des autres parties de l'Hémisphère Sud de la Planète.

Ecrit par André Oraison - Julie Pontalba – le lundi 21 septembre 2020 à 08H00
Monsieur António GUTERRES, Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, (Sous couvert du préfet de La Réunion et du Ministre des Affaires étrangères de la République française)

Monsieur le Secrétaire général, 

 
Le Mouvement Réunionnais pour la Paix (MRPaix) a pour objectif la mise en œuvre de toutes les dispositions de la « Déclaration faisant de l’océan Indien une zone de paix », contenue dans la résolution 2832 (XXVI) adoptée le 16 décembre 1971 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Bien qu’ayant été approuvée à l’unanimité des États participants, force est de constater que cette importante résolution est restée lettre morte, tout comme les 37 autres résolutions ayant le même objet et qui ont été votées par l’organe plénier de l’Organisation mondiale entre 1972 et 2019. 
 
Près d’un demi-siècle après l’adoption de la résolution 2832, les spécialistes de la géopolitique sont à l’unisson pour dresser un procès-verbal d’échec durable du projet onusien visant à ériger en « zone de paix » l’océan Indien. En 2020, cette région du monde demeure une « zone conflictuelle » et, plus encore, une « zone de convoitises » pour les grandes puissances extra régionales qui sont membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies (la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie) comme pour certaines grandes puissances riveraines (notamment l’Arabie saoudite, l’Inde, l’Indonésie, l’Iran et le Pakistan) et il en est ainsi pour de multiples raisons économiques, politiques, religieuses ou territoriales. 
 
Il en est résulté une multiplication des bases militaires de plus en plus sophistiquées qui, par suite, sont autant de menaces directes pour l’ensemble des États riverains de l’océan Indien et de leurs populations, en cas de conflits armés. On peut ici évoquer la redoutable base militaire américaine installée, au cours des décennies « 70 » et « 80 », à Diego Garcia, l’île principale de l’archipel des Chagos, ou la base militaire chinoise non moins importante inaugurée le 1er août 2017 à Djibouti, à proximité du golfe d’Aden et du détroit stratégique de Bab el-Mandeb. 
 
On peut toutefois expliquer en partie le fiasco ainsi constaté dans la mise en œuvre de la résolution 2832. Les 38 résolutions votées à ce jour par l’Assemblée générale en vue de l’application de la « Déclaration faisant de l’océan Indien une zone de paix » ne sont pas des décisions mais des recommandations comme le sont la plupart des résolutions à usage externe adoptées par l’organe plénier des Nations Unies. Autant dire qu’elles sont dépourvues de valeur contraignante. Leur objectif consiste à proposer aux États membres des Nations Unies un comportement donné, sans plus. En conséquence, les pays membres de l’Organisation mondiale ne commettent aucune illicéité et n’engagent pas leur responsabilité internationale en ne les respectant pas, ce qui est malheureusement très souvent le cas. C’est là que le bât blesse. 
 
Dès lors, ériger du jour au lendemain la région de l’océan Indien au rang de « zone de paix » tangible et permanente, au sens où l’entend – à la date du 16 décembre 1971 – l’incontournable mais peut-être trop ambitieuse résolution 2832, paraît relever du domaine de l’impossible. Pour avancer, il convient désormais d’être réaliste : pour le MRPaix, il n’y a pas d’autres méthodes efficientes, dans ce contexte difficile, que de procéder par étapes. 
 
Sachant que la plus grande menace qui pèse à l’heure actuelle sur les États riverains de l’océan Indien est, sans conteste, la prolifération des armes de destruction massive et tout particulièrement celle des armes nucléaires, le MRPaix souhaite ardemment qu’un traité international ouvert à tous les États riverains de l’océan Indien et à ceux de « l’arrière-pays » soit signé dans les meilleurs délais avec l’appui officiel, à titre de garantie, des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies. En ce sens, Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies, nous sommes en eurythmie avec votre volonté déterminée qui consiste à endiguer la prolifération des armes nucléaires dans les diverses régions du monde. Nous partageons votre jugement critique lorsque vous déclarez le 9 août 2020 – lors du 75e anniversaire du bombardement atomique de Nagasaki – que « les progrès historiques en matière de désarmement nucléaire sont menacés, car le réseau d’instruments et d’accords visant à réduire le danger des armes nucléaires et à les éliminer s’effondre » et que « cette tendance alarmante doit être inversée ». 
 
Pour que « cette tendance alarmante » soit « inversée », il convient d’abord de rappeler que le « désarmement général et complet » – un des objectifs majeurs des Nations Unies depuis leur naissance en 1945 – peut notamment être obtenu par la création de « zones de paix » et plus précisément par la création de « zones dénucléarisées » dans les diverses parties du monde. Or, nous savons aussi que, dans ce domaine spécifique, des progrès non négligeables ont déjà été réalisés par la voie conventionnelle, au cours de la seconde moitié du XXe siècle et tout particulièrement dans l’Hémisphère Sud dont relève la région de l’océan Indien. 
 
Ainsi, l’Antarctique est démilitarisé en vertu du traité de Washington signé le 1er décembre 1959 par le « club des Douze ». Son désarmement est clairement indiqué dans son article 1er, ainsi rédigé : « Seules les activités pacifiques sont autorisées dans l’Antarctique. Sont interdites, entre autres, toutes mesures de caractère militaire telles que l’établissement de bases, la construction de fortifications, les manœuvres ainsi que les essais d’armes de toutes sortes ». Ainsi, le continent Antarctique est-il devenu – dès 1961 – la première « zone de paix » effective et intégrale de l’Hémisphère Sud et même de la Planète toute entière, dès lors qu’il est soumis à un double régime de démilitarisation et de dénucléarisation. 
 
L’Amérique latine est la deuxième « zone de paix » de l’Hémisphère Sud. Mais contrairement à l’Antarctique qui fait l’objet d’une démilitarisation totale, la « zone de paix » créée dans le sous-continent américain n’est que partielle en ce sens qu’elle s’analyse seulement en une « zone dénucléarisée ». Dans le traité signé le 14 février 1967 à Tlatelolco, les Parties s’engagent à ne pas tolérer la présence d’armes nucléaires sur leurs territoires respectifs et acceptent, par suite, d’être soumis au contrôle de l’Organisme pour la prohibition des armes nucléaires en Amérique latine (OPANAL). Ce traité est lui-même complété par deux protocoles additionnels concernant les territoires relevant de quatre puissances extérieures à l’Amérique latine – les États-Unis, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni – et les garanties accordées par les cinq puissances nucléaires officielles et membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies qui s’engagent à ne pas utiliser des armes nucléaires dans la zone concernée.  
 
Sur un espace allant de l’Équateur jusqu’aux limites de la zone couverte par le traité sur le continent Antarctique, le Pacifique Sud est lui aussi devenu une « zone dénucléarisée ». Signé le 6 août 1985 par une douzaine d’États, dont l’Australie et la Nouvelle-Zélande, le traité de Rarotonga qui l’institue est également complété par trois protocoles additionnels adoptés le 8 août 1986. Ces protocoles concernent les territoires du Pacifique Sud relevant de trois puissances extérieures à cette région – les États-Unis, la France et le Royaume-Uni – et les garanties accordées par les cinq puissances nucléaires officielles sous le contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). 
 
Pour être complet, il faut enfin mentionner le traité sur la « zone exempte d’armes nucléaires en Afrique » ou traité de Pelindaba (une petite localité d’Afrique du Sud qui abritait jadis un centre de recherche nucléaire, aujourd’hui démantelé). Signé au Caire le 11 avril 1996, ce traité prévoit la création d’une « zone dénucléarisée » comprenant le continent africain proprement dit et toutes les îles avoisinantes que l’Union africaine « considère comme faisant partie de l’Afrique ». Cet accord reconnaît néanmoins aux États Parties le droit d’utiliser l’énergie nucléaire des fins exclusivement pacifiques sous le contrôle de l’AIEA. Trois protocoles au traité de Pelindaba concernent par ailleurs les territoires de l’Afrique relevant de deux puissances extérieures à ce continent – l’Espagne et la France – et, une nouvelle fois, les garanties accordées par les cinq grandes puissances nucléaires officielles. 
 
Ainsi, après l’Antarctique en 1959, l’Amérique latine en 1967 et le Pacifique Sud en 1985, c’est l’Afrique toute entière qui devient en 1996 le quatrième secteur de l’Hémisphère Sud à être exempt d’armes nucléaires. Dès lors, pourquoi ne pourrait-on pas parvenir au même résultat positif dans l’océan Indien ? Une malédiction immarcescible pèserait-elle sur l’espace indianocéanique pour qu’il n’en soit pas aujourd’hui ainsi ? En vérité, nous ne le pensons pas. L’avenir de l’océan Indien n’est pas un destin aveugle : il reste placé sous notre entière responsabilité. Après les succès que nous venons de recenser dans la plupart des secteurs de l’Hémisphère Sud, le MRPaix a en effet la conviction que cette étendue maritime de 75 millions de kilomètres carrés que constitue l’océan Indien a, elle aussi, vocation à devenir une « zone dénucléarisée » par la voie d’un instrument conventionnel multilatéral établi sur les modèles des traités de Pelindaba, de Rarotonga ou de Tlatelolco. 
 
C’est dire en toute dernière analyse, Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies, que nous vous demandons solennellement de tout mettre en œuvre, dans le cadre de votre éminente Organisation internationale, afin que l’océan Indien ou océan Afro-asiatique devienne – après l’Antarctique, l’Amérique latine, le Pacifique Sud et l’Afrique – le dernier secteur de l’Hémisphère Sud à être érigé au rang de « zone dénucléarisée », une zone dénucléarisée concrète et pérenne par la voie d’un engagement international multilatéral approprié et toujours avec la garantie des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. 
 
Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, l’expression de nos sentiments les plus respectueux. 
 
Julie Pontalba et André ORAISON, respectivement Présidente et Conseiller juridique du Mouvement Réunionnais pour la Paix (MRPaix). 

 

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