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Tribune libre : Que reste t-il du Tour Auto de La Réunion ?

Marceau Rivière, ancien champion de rallye à La Réunion, nous livre sa vision de l’évolution des rallyes dans l'île, et plus particulièrement du Tour auto.

Ecrit par Marceau RIVIERE – le jeudi 25 juillet 2019 à 14H49

Je suis depuis longtemps rangé des compétitions automobiles, ce qui ne m’empêche pas de suivre l’actualité et l’évolution d’une pratique qui a illuminé mes années de jeunesse, avec ses immenses joies quand on gagnait, et ses petites déceptions vite oubliées, quand l’auto ne rentrait pas. C’est en ce sens que je développe ci-après une réflexion que j’ai souhaitée lucide, portant sur l’évolution des rallyes à La Réunion, et sur le Tour auto en particulier, rapportée aux transformations de la société et de l’espace réunionnais de ces cinquante dernières années, loin des poncifs et des discours convenus.

Le Tour Auto : Des temps pionniers à l’affirmation

 J’évoquerai d’abord ici la naissance de l’épreuve, puis sa montée en puissance, notamment au travers des éditions de 1977 et 1979 que j’ai courues avec deux pilotes différents, mais avec le même grand bonheur, celui de la victoire finale ; ces années — là marquent à mon sens, l’arrivée à maturité de cette compétition créée en 1969, en écho à l’émergence encore timide du marché automobile dans l’île. Le « Tour  » comme on avait pris l’habitude de l’appeler, était à ses débuts un rallye raid qui suivait dans sa quasi-intégralité la circonférence de la Réunion, doublée d’escapades redoutées sur les routes encore sommaires des hauts, avec des parcours de liaison infernaux, et des épreuves de vitesse. J’ai encore en mémoire les hauts faits et légendes, au début de ces années 70, de mes héros d’alors, rapportés par la mémoire collective : le rallye était un combat contre le temps, le manque de matériel, la poisse, mais aussi la fatigue ; pilote et copilote se débrouillaient souvent seuls en cas d’incidents mécaniques, parfois en pleine nuit noire : l’aventure était au coin des innombrables chemins de cannes, au sein d’un habitat très clairsemé, voire inexistant en certains endroits.

À compter de 1973 -1974, le Tour Auto acquiert une visibilité nationale, avec la participation d’équipages métropolitains de très haut niveau, qui trustaient les victoires dans les championnats de France ou d’Europe des rallyes. Le format des deux étapes du vendredi soir / samedi midi, du samedi soir / dimanche après-midi, s’impose et se pérennise. Le but affirmé des locaux était alors de battre les métropolitains, rude tâche qui sera réalisée la première fois en 1979 par un très jeune pilote de talent, pour son premier tour. Parallèlement, les distances à parcourir et le kilométrage des épreuves spéciales s’accroissent considérablement ; ainsi le Tour 1977 propose un parcours de 1200 KMS, dont 32 épreuves spéciales d’une longueur totale cumulée de 295 Kms. La revue spécialisée « Echappement « , y décrit « un rallye long, éprouvant, sélectif « .  

Le Tour 1979 constitue le sommet jamais atteint, je crois, en matière de distances : un total de 1400 KMS, dont 505 KMS répartis sur 48 épreuves spéciales. Ce long parcours permettait l’élaboration de stratégies de course. La notoriété du Tour était alors telle, qu’il était avec le tour de l’île cycliste, l’évènement le plus populaire de l’année, drainant des foules énormes qui venaient à pied aux abords des spéciales. À l’approche de l’hiver austral, on attendait avec une excitation grandissante « le Tour « , atmosphère amplifiée par l’arrivée des équipages métropolitains, le passage des bolides vrombissant sur les routes pour les réglages et essais, et les reportages bien fournis consacrés à l’évènement. Le Tour était une fête ; sur les bords des routes, l’odeur de « l’huile requin »  des moteurs de compétition se mêlait à celle des caris fumants et conviviaux des assistances. Après trois jours de course, et de pilotage sans direction assistée ni aide à la conduite d’aucune sorte, les équipages rescapés, épuisés, regagnaient le barachois en présence d’une «  foule immense » ( JIR du 28 juillet 1979 ) qui se pressait de chaque côté de l’avenue ; les vainqueurs, après un tour d’honneur sur l’auto, passaient à la télé de l’unique chaîne d’alors, moment rare regardé par toute la Réunion, lors du  » journal parlé » du dimanche soir. La remise des coupes et des prix avait lieu, lors d’un bal – très couru ! – au cours duquel on dansait « sur les chapeaux de roue » ( Le JIR du 6 août 1979 )

Mutations et interrogations

Après 1980, « l’effet Tour » s’est poursuivi tout en se professionnalisant, les autos ont atteint la démesure de la puissance ; mais à compter du tournant du siècle, les locaux progressivement, concouraient la plupart du temps entre eux, évacuant ainsi le piment de battre la grosse pointure venue de l’extérieur. Par ailleurs, depuis les années 2000, plusieurs phénomènes ont inexorablement accompagné le relatif, puis affirmé recul de la notoriété du tour, de sa présence ou de son attractivité:

– La banalisation de l’automobile qui ne fait plus rêver malgré les déluges de publicité  

– La disparition lors des épreuves spéciales, des spectaculaires glissades en correction de trajectoire, et des passages « à l’équerre » dans les épingles, due à la fin des moteurs à propulsion arrière.  

– La course à la puissance qui a concentré les chances de victoire autour d’un très petit nombre d’équipages, voire d’un seul, les autres se résignant, avant même le départ, aux places d’honneur. Dès lors, à vaincre sans périls …

 – La concurrence de plus en plus forte de nouveaux modes de loisirs et de pratiques sportives tournées vers la nature, le plein air ou l’extrême, qui ont capté les publics jeunes émergents, et de facto une partie importante des supports médias ou publicitaires.

– Les contraintes de l’aménagement du territoire, la densification de l’urbanisation et la multiplication des mitages, ainsi que l’opposition des riverains, qui ont fait disparaître du parcours certaines épreuves des plus mythiques telles, « Guillaume – Avirons », ou « la Montagne » ( la grande, avec la descente jusqu’à la Possession) : Ces facteurs risquent de devenir encore plus prégnants dans un futur proche mettant en cause, in fine, l’existence même des rallyes.

Enfin, la réglementation des rallyes impose aujourd’hui des contraintes de plus en plus fortes aux organisateurs, en particulier celles liées au respect des flux de circulation, de l’environnement, de la sécurité …. entraînant des surcoûts et des problèmes de toutes natures, difficiles à maîtriser.

En conclusion, et dans le droit fil des points développés ci-dessus, des interrogations portant sur le devenir du Tour s’imposent ; ainsi en est-il de l’adéquation entre la dénomination de cette épreuve dans ce qu’elle est aujourd’hui, et la vérité de ce qu’elle a été, et qui perdure dans l’inconscient collectif réunionnais. En ce sens, peut-on encore parler de « Tour Auto », lorsque son parcours en est réduit à la portion congrue actuelle ? ( les organisateurs n’y sont absolument pour rien ). Le Tour, comme d’autres pratiques culturelles ou sportives avant lui, subit ce que les économistes appellent  » le cycle du produit » : naissance, affirmation, expansion, déclin ; ce qui implique la nécessité d’explorer d’autres formats, plus en phase avec l’époque actuelle, tel le potentiel offert par les véhicules électriques, plus compatibles avec les principes du développement durable. Cependant, cette éventualité risque-t-elle aussi d’être contrariée, tant l’espace réunionnais est devenu contraint, et les autorisations d’utilisation du domaine public routier pour les rallyes très aléatoires, au nom de la sécurité et de la transition écologique. De plus, l’apparition du véhicule à conduite autonome risque à terme de rendre désuète la notion même de pilotage. Dès lors, dans ce contexte de méfiance, de banalisation voire d’indifférence vis-à-vis des rallyes, et hormis le relatif regain lié à l’actuelle commémoration de la cinquantième édition, que reste-t-il du Tour Auto ? Si peu désormais ; la nostalgie assurément .      

 

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