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Thierry Gazzo : « Il faut utiliser la technique de pêche aux requins qui marche »

La crise requin s'éternise. Des vies se sont éteintes et certains professionnels ont déjà définitivement baissé leur rideau. Thierry Gazzo, pêcheur professionnel, a fermé sa poissonnerie il y a six mois pour ne se consacrer qu'aux requins. Un choix militant qu'il assume tout en sommant l'Etat et ses amis surfeurs d'ouvrir les yeux sur les méthodes "qui marchent". Le temps presse.

Ecrit par zinfos974 – le jeudi 01 août 2013 à 14H25

Zinfos974: Vous avez été touché par ces interprétations qui font des pêcheurs mandatés pour pêcher le requin des personnes qui vivent des subventions et finalement des attaques…
Thierry Gazzo: Je suis dans un bilan requin avec un exercice pour ma société qui est neutre. On ne gagne pas d’argent. C’est avant tout une conviction. Ca fonctionne à chaque fois par appels d’offres, donc c’est ouvert à tous les pêcheurs. Les petits comme les grands, tout le monde peut s’inscrire. Moi j’ai réussi à obtenir le premier appel d’offres sur Charc 1 parce que j’avais le prix le plus bas, c’est tout. Mais le sujet m’intéresse d’une manière générale. L’aspect financier doit être pris en compte car une société qui perd de l’argent ne peut être viable dans le temps. J’ai compris que si je pêchais le requin en faisant bien le boulot, je ne pouvais plus pêcher à côté pour ma poissonnerie. Elle a donc fermé il y a six mois. En plus, ça fait deux ans qu’on est sur les mêmes prix (sorties mandatées, ndlr). Les prix ont même baissé car quand je pêche pour le Comité des pêches, là ça ne devient plus rentable du tout.

Dans quels programmes vous êtes-vous inscrit ?
Pour Charc 1 et 2, il s’agissait d’appels d’offres et j’ai réussi à me placer grâce à des prix bon marché puis par des bons résultats de pêche. C’est vrai qu’au fur et à mesure, les scientifiques de l’IRD se sont plus positionnés sur moi et j’ai fait le plus gros des sorties parce qu’effectivement, il y avait plus de résultat. Ensuite, il y a l’étude ciguatera qui est mise en place depuis 10 mois. Pendant ses huit premiers mois, je n’ai pas pu y accéder. J’ai fait je ne sais combien de démarches de relance pour entrer dans le programme et j’ai pu y entrer les deux derniers mois. Pendant les huit premiers mois il n’y a pas eu de bouledogue de capturé. Quand je suis arrivé, tout de suite les choses ont avancé. J’ai fait neuf bouledogues sur les 12 pêchés. Les requins tigres, je n’en parle même pas car c’est vraiment un jeu d’enfant.

Vous avez apporté votre touche. N’avaient-ils pas la bonne technique ?
Ils n’avaient pas la bonne technique, pas les bons bateaux. Moi j’entends souvent monsieur Jean-René Enilorac (président du CRPM) qui prône la pêche traditionnelle. J’ai envie de dire que, malheureusement, pour le requin bouledogue, il faut des bateaux mieux équipés et c’est une pêche très dure. Donc, tant qu’on ne savait pas, tant que les pêcheurs traditionnels pensaient qu’ils pourraient capturer les bouledogues, ça se comprenait, mais maintenant qu’on sait qu’ils sont moins efficaces, le fait de vouloir absolument les petits pêcheurs ça va à l’encontre de la prévention parce que la pêche va faire partie de la prévention du risque requin. La population de requins va être gérée par les pêcheurs, donc autant mettre les pêcheurs les plus qualifiés sur ce programme.

Vous avez lancé le programme WEST pour quelle raison ?
A côté des programmes officiels, j’essaye, depuis la mort de ce touriste aux Brisants le 8 mai, un programme de pêche qui s’appelle WEST et que je finance par mes sous. Donc ça fait trois mois et je commence à trouver le temps long. Le but de démarrer ce programme est de le faire vivre et d’interpeller les autorités. Leur dire voilà : avec un bateau équipé et la bonne méthode on peut effectivement gérer la population de bouledogues. Deux mois après, je n’ai toujours pas d’intérêt franc de la part des autorités. Moi ce que je ne comprends pas trop c’est qu’on se dirige vers une expérimentation de drumlines dans la baie de Saint-Paul, or preuve est faite que c’est beaucoup moins efficace que la palangre de fond. Mon ratio, en deux ans d’activité, c’est 48 bouledogues par la technique de la palangre de fond et huit avec les drumlines (tous programmes confondus). Pour la technique de la palangre, j’étais seul et à côté ils étaient cinq bateaux pour l’autre technique…et malgré ce nombre important, ils arrivent à un résultat faible.

Vous en venez donc à la conclusion qu’il faut privilégier la palangre ?
Voilà. C’est vrai que deux morts en deux mois, les écoles de surf qui ferment, les touristes qui ne viennent plus, on est sur un problème de sécurité publique, on n’est pas là pour distribuer un marché, faire plaisir à untel ou untel, on doit viser l’efficacité et le plus vite possible. Tant qu’à utiliser une enveloppe, autant qu’elle soit utilisée sur le meilleur programme et la meilleure méthode. Là il y a un double gaspillage de temps et d’argent public. Or, le ratio prévu pour la palangre dans le programme Cap Requin serait de 30%. Il y aurait donc 70% qui irait à la drumline. Ca m’étonne qu’après je ne sais combien de CO4R*, au bout de je ne sais combien de sorties en mer, on privilégie encore la technique la moins efficace. Il n’y a qu’à la Réunion qu’on voit ça.

 

Hormis les chiffres qui parlent pour vous. Qu’est-ce qui peut expliquer cette différence entre les deux techniques ?
La drumline se matérialise par un seul hameçon avec un appât (généralement une tête de thon) fixé sur une ligne ancrée au fond de l’eau. La drumline est donc un procédé attractif qui consiste à faire venir le requin sur cet engin de pêche. Ce que je ne comprends pas, c’est qu’une association comme PRR puisse prétendre repousser les requins en mettant un engin de pêche attractif. D’ailleurs, PRR n’a jamais rendu son programme public. Donc il évolue en fonction de la situation. Un coup c’est pour tuer, un coup c’est pour repousser ou pour expérimenter. Voilà, en fonction du budget, on trouve le meilleur discours. En plus, cette technique s’utilise dans peu d’eau. Qui dit peu d’eau, dit activité humaine. Je reste par ailleurs très sceptique sur la drumline qui est un engin qui marche très bien sur le tigre et sur le requin blanc mais pas sur le bouledogue.

Les caractéristiques de la palangre…
L’avantage de la palangre de fond est qu’elle peut s’envisager de la baie de Saint-Paul jusqu’à Saint-Pierre, donc je ne sais pas pourquoi la Région ne s’intéresse pas à cette technique et s’arrête simplement à la baie de Saint-Paul. Elle se réalise au large par 50 mètres de fond, donc loin des activités nautiques. Dans cette technique de pêche, entre 50 et 60 hameçons sont tendus sur une palangre mesurant 2 ou 3 km. Les appâts sont remontés à bord s’il n’y a pas de capture. Il ne reste donc rien qui serait susceptible d’attirer ou de fixer l’animal. Je rappelle que la palangre est conforme à la réglementation de la réserve marine.

Comment en êtes-vous venu à vous spécialiser dans cette technique ?
J’ai effectué mes 18 premières sorties sur de la drumline et ça n’a pas marché. A force de faire plein d’essais, j’ai cherché différents montages avec la palangre et il y a eu des résultats assez vite.

Pourquoi n’y-a-t-il pas plus de pêcheurs à faire du requin ?
Combien de pêcheurs seraient prêts à arrêter leur activité commerciale sur le poisson pour faire du requin ?… (silence) Il y a peu de palangriers qui seraient prêts à pêcher le requin car c’est moins rentable que la pêche des poissons commercialisables et le règlement se fait en différé. Par ailleurs, ce programme impose la présence à bord de scientifiques et d’observateurs et le respect d’un protocole. Selon moi, le bateau qui fait le requin ne peut faire que ça ou alors il le fait mal. Certains ont essayé de faire de la palangre sur d’autres bateaux, mais le mieux reste le palangrier (sourire).

Vous voulez démentir les interprétations, parfois relayées dans la presse, que les pêcheurs mandatés vivent de mannes financières ?
Les programmes ne sont pas des mannes financières pour les pêcheurs. C’est surtout beaucoup de temps et d’efforts en mer pour finalement une activité qui est moins rentable que si j’allais faire du thon. J’ai des gens qui me disent d’arrêter de faire du requin, il se trouve que moi ça m’intéresse. Il y a aussi de bons moments avec ces poissons-là. Je plonge parfois parmi les requins. Mais moi je ne veux pas que les Réunionnais se disent que les pêcheurs s’engraissent sur un problème de sécurité publique. Sur un post-attaque, quand le médecin légiste vous dit que : « attention, demain, il y a des fragments humains qui vont remonter », je peux vous dire que ce ne sont pas des pêches normales pour nous.

Combien êtes-vous payé pour ces sorties ?
Pour répondre à cette question il faut considérer que j’ai un bateau qui coûte 300.000 euros, des frais de crédit, assurance, salaires, charges sociales, gasoil, appâts, glace etc. qui sont imposants. Il y a donc beaucoup d’éléments à prendre en compte.

En dehors des programmes officiels de la Préfecture, pourquoi avez-vous lancé votre propre programme ?
Il y a un programme qui est actif, qui a de bons résultats, qui s’appelle WEST et que je finance avec mes propres sous depuis mai. Le but était d’interpeller les autorités en leur montrant que ça marchait, mais deux mois après, bizarrement, ça n’attire personne. Je n’ai toujours pas de retour.

Pensez-vous ne pas faire assez de lobbying ?
Tout à fait. Contrairement à mes amis d’OPR et PRR qui ont l’appui des mairies, de la Région…, moi je ne peux compter que sur mes résultats.

Vous n’apparaissez pas non plus lors des rassemblements ou des hommages ?
Oui, je ne suis même pas cité. Je suis systématiquement mis à l’écart.

Vous n’avez-pas réussi à vous faire aimer ou il y a une autre raison ?
Non, Nativel ou Perry, on a grandi ensemble avec ces gars-là. Ce sont des amis. Le problème c’est que PRR est partie sur les drumlines, et n’en démord pas. Y’a un copier/coller chez eux avec le Natal Shark Board. La meilleure preuve c’est qu’ils veulent faire venir un spécialiste des drumlines, Geremy Cliff. On sait que ça ne marche pas et ils s’obstinent. PRR pense qu’il aura sa place de leader en ayant des soutiens politiques etc, moi je pense que celui qui aura la place de leader c’est celui qui aura le moins de victimes. C’est ça l’enjeu : protéger des vies, sauver des emplois, refaire revenir les touristes.

——
*Comité opérationnel réunionnais de réduction du risque requin

 

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