Les montants sont exorbitants. Le Top 20 édité depuis trois ans par la CGSS laisse peu de place au doute. Chaque année, des compagnies de taxis conventionnés réalisent des exploits en matière de courses réalisées par jour et du nombre de kilomètres parcourus.
Pour exemple, au cours de l’année 2018, avec un seul véhicule, le taxiteur qui arrive en première position du classement a avalé les kilomètres et réussi 24 courses en une seule journée.
Il aurait ainsi enchaîné le transport de patients à leurs rendez-vous médicaux à des heures où cabinets médicaux et services hospitaliers (le transport d’urgence étant réservé aux secours et ambulances) ont depuis longtemps fermé leurs portes. Le deuxième a relevé le pari de réaliser 59 courses en une journée. Un autre en 2017, en a réalisées 49…
Des distances et un nombre de courses par jour improbables qui viennent ainsi gonfler les chiffres d’affaires de ces sociétés de taxis. En 2018, le taxiteur en pole position a accumulé 566.624 euros de remboursement de la part de la Caisse générale de sécurité sociale. L’année précédente, le premier a fait 433.291 euros alors que la moyenne se situe davantage entre 80.000 et 90.000 euros, remarque un professionnel du secteur qui a observé ces pratiques frauduleuses.
En 2017, les 20 taxiteurs conventionnés figurant dans ce Top 20 ont ainsi réalisé 18,4 % du CA des 391 entreprises de taxis conventionnés dans l’île. Un quart sont au-dessus de 111.032 euros.
Transport de patients sans agrément
Par appât du gain, ces taxiteurs fraudeurs jettent l’opprobre sur toute une profession, déplore un taxiteur qui a souhaité lui aussi garder l’anonymat.
« Le système est bien rodé », explique-t-il. Un distancier est censé permettre de vérifier leurs déclarations auprès de la CGSS, les fraudeurs falsifient donc les horaires. « Certains inscrivent deux allers simples au lieu d’un aller/retour. D’autres transportent les patients dans des véhicules sans agrément TAP valant normalement pour un seul véhicule. D’autres encore prennent plusieurs patients et n’indiquent pas le partage du véhicule », précise-t-il.
Le remboursement des frais de transport pour patients constitue une part importante et lucrative de l’activité des taxiteurs conventionnés de l’île. Le Top 20 est dressé par la CGSS depuis 2016 sur demande de la profession pour mettre en lumière les cas les plus « atypiques ». La liste est anonymisée mais la possibilité d’appréhender et sanctionner les fraudeurs existe.
« Tous les éléments sont sous les yeux de la CGSS mais rien n’est fait ou du moins pas suffisamment vu la progression des sommes exorbitantes, et je ne veux pas voir le classement 2019. Les fraudeurs pourraient être déconventionnés », lance le professionnel du secteur que nous avons rencontré.
Seuls les véhicules sans agrément restent compliqués à contrôler. Sans dénonciation, difficile pour l’inspection du travail et les forces de l’ordre d’identifier et d’interpeller ces taxiteurs qui roulent sans agrément TAP.
« Des contrôles adaptés au contexte local »
Le service de lutte contre la fraude à la Caisse est en charge d’examiner les situations identifiées. En cas de manquement et selon la gravité des faits, la sanction peut ainsi aller d’une simple lettre d’avertissement à un dépôt de plainte.
Ayant réuni les éléments nécessaires, la CGSS a actuellement déposé quatre plaintes pénales à l’encontre de taxis.
Contactée, la CGSS indique qu’elle « procède, tout au long de l’année, à des contrôles des professionnels de santé. Certains contrôles sont pilotés par le national mais les organismes locaux disposent d’une marge de manœuvre pour effectuer des contrôles adaptés au contexte local. C’est le cas notamment en matière de taxis, soit à partir de l’examen de cette liste des 20 plus gros chiffres d’affaires, soit à partir de signalements effectués par des assurés ou des partenaires ou de tout autre élément d’appréciation à notre disposition ».