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Station de traitement des effluents de Grand Ilet : Une « usine à infractions » qui continue de polluer

Comment une installation classée pour la protection de l’environnement peut-elle déverser ses effluents dans les ravines et la rivière Fleur Jaune ? Depuis des années, la station de traitement des effluents de Grand Ilet à Salazie déverse ses déchets dans la nature. Le tribunal correctionnel de Saint-Pierre s’est penché ce jeudi sur la question avec pour cible le(s) responsable(s) de ces graves atteintes à notre environnement.

Ecrit par 376508 – le vendredi 03 mars 2023 à 16H23

Les rapports sont sans appel, il faudrait des dizaines d’années pour tenter de réparer les dégâts causés par ces pollutions non seulement dans les cours d’eau du cirque de Salazie mais aussi dans les sols. La station de traitement de Grand Ilet pollue ce cœur vert.

L’affaire du déversement des effluents non conformes est portée devant la justice parce que la Fédération de pêche dépose une plainte. Elle constate une diminution du nombre de poissons et la prolifération d’algues dans les ravines. La BNOI (Brigade Nature Océan Indien) et la DAAF s’alarment et procèdent donc à un contrôle en 2021. La police de l’environnement y constate de graves manquements : une fuite importante et des déversements non traités dans les ravines Azaye, Camp Pierrot, Grand Sable jusque dans la rivière Fleur jaune. A cela s’ajoutent un épandage, la production et la vente de compost non conforme mais aussi le défrichement illégal d’une parcelle. 

Un contrôle qui vient mettre en lumière des années d’inaction face aux difficultés et aux pollutions rencontrées par la station. 

Un outil d’utilité public

Avec le basculement des eaux d’Est en Ouest, Salazie ne peut plus faire l’économie du traitement des effluents de ses élevages. La création d’une station de traitement des effluents de Grand Ilet émerge à la demande de l’Etat. La Fédération Réunionnaise des Coopératives Agricoles (FRCA) porte d’emblée le projet. La coopérative de traitements des effluents d’élevage de Grand Ilet (CTEEGI) est créée pour que les éleveurs gèrent eux-mêmes leur outil. Mais pour obtenir davantage de subventions et financer la construction de la station à hauteur de 75% de fonds publics, la coopérative ne peut porter le projet. La SAS Camp Pierrot est créée. Patrick Hoareau directeur de la FRCA, en prend la tête. L’Urcoopa, Avipole, Proval, Cane ou encore la coopérative des producteurs de porcs de La Réunion (CPPR) deviennent actionnaires. La station de Grand Ilet s’érige pour 6 millions d’euros (de l’Etat, l’Union européenne et le Département). Un prêt d’ 1,5 million d’euros est contracté par la SAS auprès du Crédit Agricole.

La SAS Camp Pierrot met à disposition la station à la CTEEGI qui doit lui payer un loyer de 25.000 euros par mois. Une station de traitement présente des risques pour l’environnement, une ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement) doit ainsi être délivrée. La station l’obtient en 2008 par arrêté préfectoral. Très rapidement, les difficultés financières apparaissent. Ce volet sera examiné le 31 mai prochain. Les difficultés deviennent aussi techniques. Des problèmes surviennent dans le traitement des lisiers et le compost finalement peu vendu car non conforme. 

 Ni expérience ni formation dans la gestion des déchets

La CTEEGI arrête de payer les loyers en 2012. Le Département réinjecte 2 millions d’euros. Myrielle Damour, membre du bureau depuis la création de la coopération, en reprend la gérance en 2016 « parce que personne ne voulait », a-t-elle expliqué fébrile à la barre. La coopérative n’a que trois salariés. Outre le frère de la présidente, responsable d’exploitation de la station, il y a deux chauffeurs en charge de collecter les effluents. Patrice Nourry, aujourd’hui au chômage, sans aucune expérience ni formation dans la gestion des déchets le reconnait. Propulsé à la gestion d’une usine de 3.000m2 sur une surface totale de 9 hectares dont 8 d’épandage, il n’était pas à la hauteur. Tout comme sa soeur, qui avoue n’avoir pas lu le rapport commandé par la préfecture en 2017. Le group Antea y mentionne notamment une station « mal dimensionnée depuis le début ».

60m3 de lisier sont produits par jour et déversés dans les ravines et pendant 10 ans du compost non conforme a été vendu. « La gestion d’une ICPE n’est pas compatible avec l’amateurisme », les a tancés la présidente du tribunal. Un comité de pilotage est bien mis en place en 2016, après l’arrêt des rapports de la DAAF entre 2015 et 2021. Seule la question du compost y est abordée en matière de pollution, rien sur les déversements. 

En mars 2022, des débordements de la lagune, des déversements et l’absence de cahier d’épandage étaient toujours constatés par la DAAF. Patrice Nourry confirme qu’à chaque fortes pluies, il y a débordement puisque les structures ne sont pas couvertes. 

La SCA CTEEGI, sa présidente depuis 2016 Myreille Damour et son chef d’exploitation Patrice Nourry sont ainsi renvoyés devant le tribunal correctionnel. Mais à écouter les deux personnes dans le prétoire, ils ne sont au courant de rien ou en tout cas ne maitrisent ni la gestion ni le fonctionnement et encore moins les normes inhérentes à une station de traitement d’effluents d’élevage. 

« Celui qui tire les ficelles »

Pour le parquet, Patrice Hoareau, directeur de la FRCA, depuis 30 ans dans le monde agricole, au montage du projet et en tant que directeur de la SAS Camp Pierrot, ne pouvait ignorer les pollutions. L’homme est ici accusé de complicité pour avoir mis à la disposition de la coopérative un outil inadapté. Des faits qu’il nie, arguant ne pas être au courant et ne pouvant être tenu responsable, en tant que propriétaire, des manquements de l’exploitant.

« Le fil rouge dans ce dossier, c’est Monsieur Hoareau. C’est lui qui tire les ficelles, qui vient avec le maire, qui parle pour la coopérative », a pointé le ministère public. Il a poursuivi ses réquisitions en dénonçant « une économie de réseau, d’entre-soi » qui règne au sein des grandes coopératives réunionnaises.  

8 mois de sursis, 10.000 euros d’amende et l’interdiction de gérer une activité en lien avec l’infraction durant 5 ans ont été requis par la procureure à l’encontre de la présidente et du responsable d’exploitation de la station. Une peine plus lourde a été demandée pour Patrick Hoareau, « qui est le cœur, le point de départ et le point d’arrivée dans ce dossier » : 12 mois avec sursis, 30.000 euros d’amende, l’interdiction de gérer une activité en lien avec l’infraction mais aussi l’affichage de la décision durant un délai d’un mois à la mairie de Salazie. La CTEEGI devrait-elle s’acquitter de 50.000 euros d’amende. 

 » La DAAF aurait pu dire stop »

Le délibéré du plan de redressement de la SAS Camp Pierrot et de la SCA CTEEGI par le tribunal de commerce est attendu pour le 7 mars prochain, a fait valoir Me Gabriel Odier pour la coopérative. En ce sens, l’avocat a demandé « la compréhension du tribunal pour une coopérative agricole qui a été dépassée par la tache avec un outil inadapté ». 

La fratrie Nourry avait-elle « toute la latitude pour mettre en conformité la station », ont questionné leurs avocats. L’enquête a laissé également des zones d’ombres. Me Jordan Malet a pointé des autorités qui « savaient depuis 2016 et pourtant rien n’a jamais été fait. La DAAF aurait pu dire stop ». Me Vincent Hoarau a particulièrement insisté sur le fait que sa cliente n’avait « fait que chauffer le fauteuil ». Pourquoi les précédents présidents de la CTEEGI n’ont pas été interrogés permettant ainsi « d’éclairer sur la gestion de l’ICPE », a-t-il avancé. C’est « une usine à infractions » qui a été livrée, a aussi renvoyé la responsabilité Me Vincent Hoarau, de l’autre côté du banc des accusés. 

Le rôle de l’Etat a posé question également aux avocats de Patrick Hoareau. Me Jérome Maillot et Me Sébastien Navarro ont noté que leur client a été à titre personnel mis en cause alors que les services de l’Etat, pourtant partie prenante dans ce dossier, ont été épargnés de toute poursuite. « On veut la tête de Mr Hoareau ». 

Quant à l’installation livrée, il y a eu un arrêté préfectoral d’autorisation d’exploitation et le rapport d’Antea Group a aussi noté « qu’il n’y a pas de défauts notoires de fabrication ». De surcroit, pour Me Sébastien  Navarro, « il n’y a pas de lien de causalité entre la pollution et la conception ». 

Le tribunal rendra son jugement le 6 avril prochain. 

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