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Stanislas a eu deux coeurs

Je me nomme Thierry Laude, je suis professeur de philosophie au lycée Sarda Garriga de Saint-André. Je vous envoie un hommage à un jeune professeur des écoles de l'école maternelle les Cytises de Saint André qui vient de décéder. Il était greffé du coeur, d'où le titre. C'est à la fois une histoire belle et triste, mais aussi une leçon de vie en ces temps troubles.

Ecrit par Texte de Thierry Laude, cosigne? par John, Karine L, Fre?de?rique, E?milie, Florence, Odile, Laurent, Muriel, Christe?le, Pascale, Yannick, Nicole, Tatiana, Khoulsoum, Karine T. – le mercredi 03 juin 2020 à 09H59

Stanislas a eu deux coeurs. Stanislas a eu deux vies. Il vient de s’éteindre à l’âge de 40 ans. Sa greffe de coeur, c’était une deuxième chance, une renaissance, une opportunité non pas de vivre plus longtemps, mais de vivre vraiment, de prolonger plus authentiquement une existence que le malheur voulait éteindre trop tôt.

Il était professeur des écoles à Saint-André, un métier auquel il s’est donné corps et âme. Ce métier était sa vocation ; il faisait sens pour lui, il donnait un sens à sa vie, il était sa vie. Il a vu grandir et a aidé à grandir des dizaines d’enfants qui garderont de lui mille souvenirs de bienveillance, d’amour, de savoir, de sagesse, qui recevront en héritage le trésor de la joie de vivre et le souci permanent d’être heureux.

Pour une fête de fin d’année de l’école, il avait choisi comme musique : « What a wonderful world » de Louis Armstrong : « Quel monde merveilleux ». Grand paradoxe, symbole plus grand encore. Il voulait apprendre aux enfants la nécessité et l’art d’être heureux. Les adultes sont toujours tentés de maudire le monde, qui donne tant de raisons de se plaindre, de gémir, de désespérer, ce monde qui nous trahit, du malheur des cataclysmes à la maladie des corps en passant par le mal des hommes. Stanislas ne se plaignait jamais, trop soucieux de faire valoir son droit au bonheur. Son droit au bonheur et le devoir qu’il s’était donné de rendre les autres heureux. Il a choisi, comme le poète, de trouver le bonheur dans l’enchantement, de contrarier le malheur par la joie plutôt que d’ajouter aux horreurs du monde la plainte des hommes.

Tandis qu’un autre coeur, fragile, battait dans sa poitrine, un grand amour de la vie, solide, a guidé son existence. Comme ce coeur barbare prolongeait et à la fois menaçait sa vie, comme il portait son épée de Damoclès dans la poitrine, il a choisi d’aimer la vie d’un amour sincère et profond. Il a voulu donner à chacun, non en savant mais par l’exemple, une belle leçon d’amour, de vie, de sagesse.

Il faut aimer la vie, même et surtout lorsqu’elle semble vouloir nous trahir. Voici ce qu’il semblait nous dire.

Nietzsche, qui a lui aussi été meurtri par la maladie, qui a souffert de cruelles douleurs dans sa chair, a chanté plus que quiconque l’amour de la vie. Il faut aimer la vie, mais la vie tout entière, avec ses ravages et avec les ravissements, dans ses cruautés et dans ses miracles. Il distinguait la « grande santé » et la « petite santé ». La petite santé est celle des corps qui fonctionnent parfaitement, comme des machines bien huilées, des organes qui ronronnent en nous comme les pièces d’un moteur parfaitement réglé. La « grande santé », c’est l’amour de la vie, l’amour de la vie même quand le corps casse, même quand les organes nous trahissent, même quand l’ordre du corps menace à tout moment de virer au chaos. On peut donc connaître la « grande santé » même si la « petite santé » nous échappe. Aimer la vie, s’aimer soi-même, aimer les autres : Stanislas avait la « grande santé » de Nietzsche, cette grande leçon de sagesse. Il affrontait la haine avec l’amour, le malheur avec le bonheur, la maladie avec l’amour de la vie. Le tout avec un humour indéfectible ; pour lui, rire du mal, de la maladie, du malheur, c’était en triompher.

Tandis que la menace se faisait grandissante, que ce coeur qui avait prolongé sa vie se faisait plus fragile, redevenait plus barbare, il a toujours voulu être entouré de bonheur, éviter les profusions de sentiments, les effusions de larmes. Comme si de rien n’était. Il voulait vivre en sentant la vie s’épanouir autour de lui. Se laisser porter par la vie au lieu de se laisser emporter par la tristesse, qui est une mort avant la mort.

Dans ce « monde merveilleux » des autres et des êtres, il voulait que bruissent autour de lui les rires, la joie et l’amour. C’était vivre en se plongeant dans la source vive de toute vie. Rire parmi ceux qui rient, danser parmi ceux qui dansent, chanter parmi ceux qui chantent, aimer parmi ceux qui aiment. Une vie tonitruante, pour vivre, vivre encore, vivre vraiment, avec ceux qu’il aimait et qui l’aimaient. C’était arracher à la vie ses plus précieux instants, savourer chaque seconde, faire de chacune de ces secondes, les dernières, des secondes d’éternité.

Lorsqu’un ami meurt, conseillait Épictète, ne dis pas : « je l’ai perdu » mais : « je l’ai rendu ». Les êtres merveilleux que la vie a mis sur nos routes ne nous appartiennent pas ; nous voulons les garder auprès de nous, convaincus qu’ils sont à nous. Mais l’ami n’est pas un bien, c’est un bienfait. Il est, selon le philosophe, un présent de la Terre ou des Dieux. Amis, il nous faut rendre cet ami. Il a été rendu au Ciel, il sera rendu à la Terre.

Et nos mémoires s’enrichissent de beaux souvenirs, et notre île s’enrichit d’une belle histoire, l’histoire de Stanislas aux deux coeurs.

 

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