Objet : Etat de droit et urbanisme à Saint-Denis
Monsieur le Préfet,
Comme beaucoup de Réunionnais, nous avons pu constater avec quelle fermeté les services de l’Etat font appliquer la loi en matière d’infractions au code de l’urbanisme. On a pu ainsi voir, le 6 novembre 2012 sur la commune de Saint-Louis, des bulldozers détruire deux misérables cases en tôle, sans eau ni électricité, édifiées sans autorisation sur des terrains inconstructibles par un couple vivant dans la précarité. L’opération a été répétée quelques jours plus tard à l’Etang-Salé.
Nous souhaitons que la puissance publique soit aussi vigilante et prompte à réagir lorsqu’il s’agit de constructions mettant en jeu des intérêts peut-être plus puissants que ceux de modestes Réunionnais vivant en dessous du seuil de pauvreté.
Vos services, Monsieur le Préfet, ne peuvent ignorer, la presse s’en étant fait l’écho, l’affaire de la station de lavage de voitures dénommée « Lav a moins + », située au 85 de la rue Léopold Rambaud, sur quatre parcelles pourtant classées en zone urbaine verte (UV) au PLU de Saint-Denis. Ce qui signifie que toute nouvelle construction y est normalement interdite sauf dérogations justifiées.
Cette opération suscite de nombreuses interrogations tant du point de vue de la légalité des actes qui l’ont permise que de la situation nouvelle que sa réalisation va créer dans une zone que nous pensions vouée à un aménagement écologique. Elle fait aussi s’interroger sur les liens entre un opérateur privé et certains services municipaux dans une opération dont l’équilibre économique nous paraît douteux.
1/ légalité du permis et de la convention de location :
En quoi l’implantation d’une station de lavage de voitures favorisant l’afflux de véhicules dans une zone destinée, selon le PLU, à accueillir des espaces verts et de loisirs, peut elle être considérée comme répondant à une circonstance exceptionnelle justifiant la délivrance d’un permis précaire ? Quelles dérogations peuvent justifier qu’elle soit flanquée d’un restaurant et d’un commerce pour la « vente d’accessoires et produits divers » comme le stipule le bail signé entre la Mairie et la société « EURL SOGIS INVEST » représentée par son gérant, le promoteur immobilier, M. Yves Turgis ?
Plus inquiétant encore, il semble que ces parcelles soient situées dans la zone des cinquante pas géométriques, elles relèveraient alors du Domaine Public Maritime (loi Littoral du 3 janvier 1986) et seraient donc incessibles et inconstructibles. Si c’est le cas, quelle sera la position de l’Etat ?
Un bail a été signé en octobre 2010 entre la Mairie et le promoteur. Plusieurs points nous interpellent :
• ce bail est manifestement illégal puisque l’adjoint qui représentait la Mairie n’a pas la délégation de signature à cet effet;
• ce contrat comporte de nombreuses anomalies : il interdit toute construction en dehors de bâtis en bois sous tôle, ce qui est loin d’être le cas d’une station service ; il prohibe apparemment toute sous-location mais retient paradoxalement la possibilité de désigner un exploitant autre que le preneur ; il affranchit le bénéficiaire du paiement de tout loyer pendant les travaux pour des raisons qu’on ne saisit pas bien, sauf à considérer qu’il s’agit d’un projet d’utilité publique.
Au-delà de ce qui nous paraît constituer des illégalités, sur le plan environnemental, une telle activité située sur une zone écologique soulève aussi des questions :
• Qu’en est-il des équipements permettant de capter les boues et les polluants en vue d’un retraitement par des entreprises spécialisées ?
• Qu’en est-il aussi de la nature du dispositif de raccordement au réseau des eaux usées ?
• La publicité de « Lav a moin+ » annonce une activité 7 jours sur 7. Qu’en est-il des nuisances sonores qui seront générées (jour et nuit ?) par l’arrivée des véhicules, par le lavage à haute pression et les aspirateurs ?
2/ modification de la destination de la zone en méconnaissance des procédures légales
L’entrée Est de Saint Denis est très dégradée et offre un bien triste spectacle à ceux qui s’aventurent dans la ville par cette « pénétrante ». Conscients de cette situation, les élus ont formé depuis plusieurs années des projets de reconquête des espaces concernés. Le choix de la solution de l’aménagement d’un boulevard, alternative à une « pénétrante », et le classement des terre-pleins entre la route nationale et la rue Rambaud en zone UVL constituait la traduction de cette volonté politique.
Pendant un temps avait été envisagée la mobilisation de l’outil juridique de l’expropriation pour accélérer la prise de possession des terrains par la commune mais au final il a paru moins traumatisant et moins onéreux de privilégier la voie de l’exercice du droit de préemption. L’affaire était longue mais semblait bien engagée puisqu’au fil des années les terrains se libéraient. La perspective d’une maîtrise totale des espaces par la collectivité se dessinait même si dans l’intervalle se constituaient des « dents creuses », c’était le prix à payer pour le choix de cette méthode.
Mais aujourd’hui, la mise à disposition de ces quatre parcelles, déjà acquises par la commune, pour l’exercice d’une activité commerciale privée, étrangère à la vocation de la zone, constitue un véritable revirement. Si cette opération aboutit, il sera très difficile de revenir en arrière et il est probable que d’autres activités du même type, que la commune avait jusqu’à présent contenues, se développeront par contamination. On en a d’ailleurs constaté quelques exemples à proximité de ce site.
Les élus de la nouvelle majorité municipale ont le droit de modifier les orientations de leurs prédécesseurs, y compris dans le domaine de l’aménagement. Mais ces modifications ne peuvent s’improviser ou être dictées par les circonstances et elles ne peuvent être admises que si elles se font dans le respect du droit et dans le cadre de la transparence démocratique.
Elles sont à ce titre soumises à des contraintes précises :
– les opérations doivent être compatibles avec les lois et règlements et avec le SAR qui a classé cette zone en espace littoral naturel remarquable ;
– elles ne peuvent être effectives qu’à l’issue de consultations spécifiques et notamment d’enquêtes publiques.
3/ intérêt public ou privé ?
Cette zone est évidemment placée dans un lieu stratégique pour ce type d’activité. La mise à disposition de ces terrains, en dehors du fait qu’elle contrevient selon nous aux règles d’urbanisme, constitue un privilège exorbitant. A-t-elle été précédée d’une mise en concurrence ?
De manière plus pratique, on reste dubitatif sur la rentabilité d’une telle opération si la durée du permis (deux ans) devait être respectée : il ne reste à courir sur cette autorisation de construire que moins de vingt mois. Le promoteur s’engage- t- il à détruire ses installations à cette échéance ou va-t-il demander des prorogations successives, jusqu’à la fin de son bail (dix ans) ? On ne serait plus alors dans le schéma de précarité que laisse supposer le permis qui vous a été soumis.
Plus récemment, on a mis en avant l’argument de l’emploi dans la zone mais il s’agit d’une station ….automatisée. Appartient-il, d’autre part, à la collectivité de s’immiscer ainsi dans l’impulsion d’une activité commerciale qui de surcroît viendra concurrencer les stations-service dont c’est le métier, en favorisant un opérateur pourtant étranger à la filière ?
Pour toutes ces raison, M. le Préfet, nous vous demandons, à vous qui êtes le garant du respect de l’Etat de droit et qui venez de le démontrer avec éclat à Saint-Louis et à l’Etang Salé, de vous prononcer sur la légalité des conventions passées entre la Mairie de Saint-Denis et le promoteur, sur la légalité des autorisations accordées sur les parcelles en question et sur la nature des activités commerciales qui y sont envisagées.
Dans l’attente d’une réponse, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Préfet de La Réunion, l’expression de nos sentiments les plus respectueux.
Jean Pierre Marchau
Porte Parole
Europe Ecologie Les Verts de Saint-Denis