Les Jokarys et Rabeson, Ratsimbazafy et Loulou Pitou, Raélison et Bastide, Ranarison, Sangaria…
En 1963, un organisateur de spectacles de Tananarive, Georges Guébert, emmena nombre d’artistes de la Grande-Île en tournée à travers l’océan Indien. C’est resté dans les mémoires sous le nom de « Tournées-Guébert ». Il semble que ce soit à cette occasion que les Réunionnais aient découvert les nombreuses accointances entre les musiques des deux îles. Et pourtant… ça remonte à bien avant 1963.
On bandait sévère, là, les enfants!
« Générations », avec Vally, Bardon, Taquet, c’était dans les seventies, mais j’avais eu d’autres occasions de jouer avec Raymond Sangaria. A La Sakay par exemple. Je l’ai dit, j’ai exercé là-bas en qualité de professeur de français-histoire-géo, au début des années 70. J’y avais fondé un orchestre… plus mixte tu meurs. « Les Sphynx », que ça s’appelait. Il y avait là-dedans des Créoles, des Malgaches et un Zoreil, Robin, batteur et clarinettiste d’exception. Hormis ce dernier, les autres étaient mes élèves. Solo, Dédé, Sylvain, garçon Moreau, Philippe Baptisto (l’oncle de Chistian). Au chant, mes élèves, Camille, Patricia, Dédé…
Nous avons animé au moins un bal ou un mariage, trois années durant, chaque samedi. Mais pour éviter la lassitude des danseurs, Jean-Marie, gérant du cercle-restaurant, conviait assez souvent des orchestres malgaches.
Nous avons ainsi eu droit à Raymond Sangaria, Henri Ratsimbazafy. Ces musiciens malgaches avaient un atout essentiel, leur immense talent. Pour le matos, ils étaient assez démunis et étaient donc heureux de se faire prêter les guitares et amplis de ces Créoles au cul bordé de nouilles.
Et c’était vrai! La SPAS (société professionnelle et agricole de La Sakay) avait du pognon. Je rappelle qu’alors, la SPAS était une entreprise de haut de gamme, la seule de Mada à payer un impôt, la seconde porcherie du monde, un pôle d’attraction économique etc. L’argent ne manquait pas et, pour « amuser » les enfants, nous avions tout le matériel voulu. Nous le prêtions avec plaisir à ces musiciens du crû mille fois meilleurs que nous. En échange de quoi, ils acceptaient volontiers que nous montions sur scène avec eux.
Plaquer quelques accords de guitare sur le trombone de Ratsimbazfy, quel privilège… je bandais sévère, là, les enfants.
« De Commarmond », une légende
Les relations entre musiciens malgaches et réunionnais remontent à loin dans le temps. Harry Pitou raconte ainsi que son papa, le grand Loulou, était allé en service militaire à Antsirabé. Il y a fait la connaissance de Ratsimbazafy et entre deux grands musiciens, le courant ne pouvait que passer. Salégy-séga, séga-salégy, les deux musiques sont soeurs. Loulou a rapporté de son service militaire un air sublime, « Kétako ». Qu’un grand musicien de chez nous a voulu faire croire qu’il était de son invention. Il y a des tricheries dans ce métier…
Pour dire à quel point les échanges musicaux ont été nombreux… Dans les fifties/sixties, nombre de nos musiciens créoles, et des meilleurs, sont allés jouer et se perfectionner à Mada. Adélaïde, Espel, Barre, Donat etc. se sont tous retrouvés à Diégo à un moment ou l’autre. Faut croire qu’ils s’y sentaient bien car certains y sont restés plusieurs années.
Notre regretté ami André Legras me disait voici un mois, que si la firme De Commarmond s’était montée, c’était pour faire plaisir aux Créoles de La Sakay. J’explique…
« De Commarmond », à Tanarive, a longtemps été la plus grosse firme d’enregistrements de disques de l’océan Indien. Selon André, si elle s’est mise au séga, c’était pour faire plaisir aux Créoles de La Sakay, lesquels avaient emporté leurs phonographes dans leur exil et aimaient les 78-tours. C’est dans cette veine d’échanges et d’amour de la musique que « Le Trèfle » (les futurs Jokarys) avait enregistré leurs premiers émois fourcadiens.
« Guitar séga »
J’ai eu la chance de fréquenter, à Mada, un très grand guitariste malgache, Freddy Ranarison. Il est venu plusieurs fois avec son orchestre à Babetville, Sakay. Il a enregistré beaucoup. Je vous surprendrai en vous apprenant que parmi ses meilleurs titres, il y a « Saint-Pierre », « Piton La Fournaise », « Guitar Séga » (une merveille de virtuosité), « A Boucan-Canot », que des titres évoquant cette Réunion qu’il aimait tant.
Ces références des musiciens malgaches à La Réunion, sont très nombreuses. Sangaria: « Manapany », « Créole aux yeux si doux », « Séga cars Moulan »… Il faut également noter que nombre de très grosses pointures malgaches ont passé pas mal de temps ici: Jeannot Rabeson, Rolland Raélison…
Certains, et non des moindres, y ont laissé leur empreinte. Comme les Superjets, Ange, Anou, Johnny, Jean-Pierre, tous issus de Mada et ayant constitué le tout premier orchestre professionnel de chez nous. C’était à « La Ferme » à la fin des sixties.
Rolland, peu après son arrivée chez nous, a enregistré un 45-tours. Avec l’ami Bastide, Joël Manglou, « Tonton » Yves Mayer. Depuis toutes ces décennies qu’il habite ici, Rolland a découvert et mis en avant quelques-unes de nos meilleures voix créoles. Quelques petites dizaines, en fait.
Parce qu’il y a, entre Malgaches et Réunionnais, une histoire d’amour. C’est Anne Mousse qui doit en être heureuse. J’espère…
« Lamba blanc »
Les amateurs locaux ont cependant quelqu’excuse car il y en avait, des pointures, dans ces Tournées-Guébert! Il y avait une bande joyeuse de cousins-cousines, aux voix harmonieusement placées et fortes, les Béryls, qui ne tarderont pas à se faire « un autre » nom: les Surfs. Il y avait de leur nombre le grand (1m65), mais très grand Henry Ratsimbazafy. Bien des amateurs créoles croient encore que le « Lamba blanc » a été créé par l’ami Pierrot Rosély. Pierrot a signé sa reprise en 1970 et des farines. Cet air date de 1963. Je confesse que j’aime les deux versions car mon pote Pierrot avait bien du talent aussi.
Un autre champion de la chanson (et de la guitare !!!), Raymond Sangaria, était de l’aventure. Il s’est tellement plu chez nous, il s’est senti si bien accueilli, qu’il est resté. Il a travaillé comme chauffeur de car (Cilaos par exemple) parce que la musique, dans une si petite île, ne nourrit pas son homme. Raymond a fait le chauffeur de car la semaine, pour monter sur scène tous les week-ends. Avec son orchestre, sinon avec d’autres formations, il n’a jamais cessé de jouer. Caf pas vilain manière », « Créole aux yeux si doux », « Manapany »…
Combien de fois n’ai-je eu le privilège d’accompagner Raymond. Il venait avec son invraisemblable guitare Éko aux cordes partant dans tous les sens, et sa guitare hawaïenne (les amateurs appellent ça une « Pedal steel ») dont il jouait comme pas deux. Il s’installait avec son superbe sourire. Une gentillesse extraordinaire. Nous, les gars de « Générations », étions ravis de l’avoir avec nous.