
Carte postale du lycée (et ses élèves en uniforme), avant l’incendie de 1910 (collection Emeline Payet dans C’était Hier, volume 4, Daniel Vaxelaire, éd. Orphie) et à droite, une photo du lycée dans les années 50-60 signée Jean Legros (Coll. Patrick Legros)
Je pense qu’il y a toujours eu, qu’il y aura toujours des enseignants pas comme les autres. Cela existe depuis la nuit des temps et c’est heureux, car pour mettre de la gaieté dans une salle de cours, rien de tel qu’un prof qui pète ou ayant la main tremblante (ce qui laissait lourd à penser sur ses pratiques intimes !)
En notre vieux lycée Leconte-de-Lisle de la rue Jean-Chatel, nous en disposions à profusion. Avec des souvenirs pas forcément drôles, comme vous allez vite le constater.
Le cauchemar des vivisections
Je n’ai jamais aimé l’école primaire, encore moins le lycée. Me plier aux règles a toujours été pour moi un véritable cauchemar. Ma seule chance était que ma mémoire, boostée par Pépé Justinien, mes vieux instituteurs et profs, ma mémoire donc était d’une fidélité à toute épreuve : je n’avais pas besoin d’apprendre dix fois un texte pour le retenir par coeur. Ce qui m’a toujours permis d’en foutre le moins possible.
Certains cours étaient d’une infinie lourdeur, comme ceux de sciences naturelles, par exemple. Faut se souvenir qu’à cette époque, on ne discutait pas les ordres du prof. Vous comprendrez aisément que mes heures de colle les plus retentissantes, je les ai eues dans cette matière barbare : les séances obligatoires de vivisection, qui me révulsaient l’âme et les tripes. Un jour ainsi…
En notre vieux lycée Leconte-de-Lisle de la rue Jean-Chatel, nous en disposions à profusion. Avec des souvenirs pas forcément drôles, comme vous allez vite le constater.
Le cauchemar des vivisections
Je n’ai jamais aimé l’école primaire, encore moins le lycée. Me plier aux règles a toujours été pour moi un véritable cauchemar. Ma seule chance était que ma mémoire, boostée par Pépé Justinien, mes vieux instituteurs et profs, ma mémoire donc était d’une fidélité à toute épreuve : je n’avais pas besoin d’apprendre dix fois un texte pour le retenir par coeur. Ce qui m’a toujours permis d’en foutre le moins possible.
Certains cours étaient d’une infinie lourdeur, comme ceux de sciences naturelles, par exemple. Faut se souvenir qu’à cette époque, on ne discutait pas les ordres du prof. Vous comprendrez aisément que mes heures de colle les plus retentissantes, je les ai eues dans cette matière barbare : les séances obligatoires de vivisection, qui me révulsaient l’âme et les tripes. Un jour ainsi…

Buste du colonel Jocelyn Maingard, fondateur du lycée Leconte-de-Lisle de la rue Jean-Chatel, celui appelé Collège-Bourbon depuis 1968
Je ne me rappelle pas le nom du prof et tant pis ! On nous installa devant les pupitres allongés, nantis d’un bac en plastique au fond recouvert de paraffine. On nous donna une grenouille et une poignée d’aiguilles à chacun.
Le jeu, si on peut dire, consistait à épingler la malheureuse bestiole (vivante, sinon où serait le plaisir ?), pattes écartées, ventre en l’air. Déjà quand la grenouille sentait la première aiguille, elle sautait en tous sens. Une réaction que je comprends.
Un tortionnaire issu du Néolithique
Le but de l’expérience consistait à martyriser la bébête.
Une fois crucifiée plus sûrement qu’un Sauveur sur le Golgotha, on devait dépecer la pauvre bête en employant mille supplices tous plus sauvages les uns que les autres.
Je sais ; je sais 1.000 fois qu’à cette époque, j’adorais les brochettes de ti-z’oiseaux… mais je ne les soumettais pas aux supplices du pal, de l’écartèlement et du dépeçage réunis.
Les anciens lycéens nous avaient mis en garde : après, il faudrait pincer les nerfs de la grenouille pour l’admirer se tortillant de douleur. J’avais pas envie de rejouer "Frankenstein s’est échappé", film vu la semaine précédente au Casino ; encore moins grandeur nature. Je refusai tout net.
Le prof insista, gueula, gronda, rugit, menaça, nous fûmes plusieurs à refuser d'obtempérer ; ce qui nous valut à chacun six heures de colle le dimanche suivant.
La seule approbation à notre mutinerie nous fut donnée par Ti-Mallol, "maître" Jacques Lougnon. Ayant su quelle punition nous tombait sur les endosses, il vint nous féliciter en cours de récréation et nous garantit qu’il allait faire l’impossible pour faire sauter la sanction. Peine perdue ! Le proviseur, Zéphirin, son propre frère (Albert Lougnon), refusa de décréter notre grâce sous prétexte qu’il ne fallait pas admettre de contestation chez "ces chers petits".
Je me suis sournoisement vengé de ce fumier de prof de sciences-nat. Ah ! Il aimait les coups en vache ? Ben justement…
Il y avait chaque année une compétition sportive profs-élèves. Notamment un match de rugby. Il était trois-quarts-aile chez les adultes et moi pilier chez les juniors. Ben oui, pilier : à cette époque, je faisais mes 90 kilos tout mouillé. Ça aide…
Le jeu, si on peut dire, consistait à épingler la malheureuse bestiole (vivante, sinon où serait le plaisir ?), pattes écartées, ventre en l’air. Déjà quand la grenouille sentait la première aiguille, elle sautait en tous sens. Une réaction que je comprends.
Un tortionnaire issu du Néolithique
Le but de l’expérience consistait à martyriser la bébête.
Une fois crucifiée plus sûrement qu’un Sauveur sur le Golgotha, on devait dépecer la pauvre bête en employant mille supplices tous plus sauvages les uns que les autres.
Je sais ; je sais 1.000 fois qu’à cette époque, j’adorais les brochettes de ti-z’oiseaux… mais je ne les soumettais pas aux supplices du pal, de l’écartèlement et du dépeçage réunis.
Les anciens lycéens nous avaient mis en garde : après, il faudrait pincer les nerfs de la grenouille pour l’admirer se tortillant de douleur. J’avais pas envie de rejouer "Frankenstein s’est échappé", film vu la semaine précédente au Casino ; encore moins grandeur nature. Je refusai tout net.
Le prof insista, gueula, gronda, rugit, menaça, nous fûmes plusieurs à refuser d'obtempérer ; ce qui nous valut à chacun six heures de colle le dimanche suivant.
La seule approbation à notre mutinerie nous fut donnée par Ti-Mallol, "maître" Jacques Lougnon. Ayant su quelle punition nous tombait sur les endosses, il vint nous féliciter en cours de récréation et nous garantit qu’il allait faire l’impossible pour faire sauter la sanction. Peine perdue ! Le proviseur, Zéphirin, son propre frère (Albert Lougnon), refusa de décréter notre grâce sous prétexte qu’il ne fallait pas admettre de contestation chez "ces chers petits".
Je me suis sournoisement vengé de ce fumier de prof de sciences-nat. Ah ! Il aimait les coups en vache ? Ben justement…
Il y avait chaque année une compétition sportive profs-élèves. Notamment un match de rugby. Il était trois-quarts-aile chez les adultes et moi pilier chez les juniors. Ben oui, pilier : à cette époque, je faisais mes 90 kilos tout mouillé. Ça aide…

Créé en 1818, agrandi en 1848, l’établissement est presque totalement détruit dans la nuit du 26 février 1910. Il sera reconstruit à l’identique, sans les combles (cartes postales Archives départementales, Younouss Patel dans C’était Hier, volume 4, Daniel Vaxelaire, éd. Orphie)
Alors qu’il fonçait vers nos en-buts, ballon sous le coude, je le plaquai, mais méchamment, si tu vois ce que je veux dire : mwin la mette à lu "in maille-cal" du talon, en le serrant à la taille pour l’empêcher de se rétablir en souplesse. C’est un coup des plus vicieux. Il est sorti du terrain le coude déboîté. Je ne regrette rien !
C’était juste histoire de lui rappeler que les tortures sont interdites depuis le Bas Moyen-Âge. Y compris sur les animaux. Et que je déteste les heures de colle non-justifiées. Je crois bien que mon pote Loïs Payet faisait partie de cette équipe…
"Les Cafs, les comminiss’ et les siens"
Mais que je vous rassure tout-de-suite, si nous avons eu des enseignants qui se révélèrent être de vraies peaux-de-vaches, il y en eut aussi, en sur-nombre si je puis dire, pour nous égayer l’atmosphère. Entre les comiques, les bourrés, les bégayeurs, il y en eut, parole !
Par exemple le grand, l’illustre, le célèbre Edmond Nauche, prof de physique-chimie de son état.
Nauche était un Cafre bon teint. C’est-à-dire d’une sublime couleur noire, de celles qui captent la lumière du soleil. En cette qualité, comme bon nombre de Réunionnais Malbars ou Noirs, comme Albert Ramassamy et tant d’autres dans les années 40/50, il avait subi les affres d’un racisme… qui n’a pas vraiment disparu si vous voulez mon avis.
Michel et moi, il nous aimait bien "parce que votre maman Justy, qui était en math-élem avec moi, me considérait comme un condisciple comme les autres, pas comme in Caf !"
Ceci dit, et malgré ce racisme dont il fut victime, M. Nauche n’aimait pas « les 3 C » : « les Cafs, les comminiss’ et les siens ! »
M. Nauche, excellent pédagogue, n’adorait rien tant qu’assaisonner ses cours de chimie de considérations philosophiques. Pour nous parler du "rien ne se perd, rien ne se crée", il ajoutait que Lavoisier avait été victime de la Révolution "car les innocents paient pour les coupables". Quels innocents ? Quels coupables ? Lui seul savait.
Un jour, un élève mal intentionné avait déversé tout le contenu d’une cartouche d’encre à stylo sur sa chaise. Pour stigmatiser l’affront fait à son honneur, Nauche vint au lycée toute une semaine avec son pantalon gommaté !
Qu’est-ce qu’on l’aimait, ce mec !
Pédagogue de première bourre, gentil, convivial, capable de répéter vingt fois la leçon au besoin. Je m’en veux presque d’avoir "piné" mes compositions de physique-chimie en classe de philo… ce qui m’avait valu le Prix d’excellence en cette matière, moi nul à chier en matières scientifiques.
"Fontaine Jules !"
Il y a une autre matière diabolique et les profs qui vont avec, les mathématiques. Je sais, je commets une faute en écrivant "les maths" avec un "S". En français, les abréviations ne prennent pas la marque du pluriel. Mais depuis qu’un film s’est intitulé "les Profs", tout le monde fait du pareil au même.
Ah ! Ça, des prof (après tout, merde, j’écris comme il faut et basta !) des prof de math caricaturaux, on en a eu et pas qu’un peu.
Custine et Jean-Pierre, par exemple. Oui, Jean-Pierre, le papa du célèbre Juge d’instruction. Ces deux-là étaient copains en cosinus et rhum-charrette. Sur le coup des dix heures, ils retrouvaient leur pote Laïang chez le Chinois du coin. Les boutiques de cette époque ne vendaient pas d’eau-de-Cilaos, encore moins d’Édéna, toutes deux à inventer.
Lorsqu’ils reprenaient leurs cours de math, titubant et chancelant plus vrai que nature, ils faisaient montre d’une élocution "un peu chargée", si je peux dire. Et les errements de jugement qui vont avec…
En 1ère "C", nous étions assis côte-à-côte, Jean-Yves Fontaine et moi. M. Jean-Pierre effectuait une brillante (hum !) démonstration au tableau et posait une question. Pour la réponse, il désignait un élève. Se retournant alors vers ses ouailles, il pointait un doigt impérieux vers nous :
"Réponse… (un brin d’hésitation à 40°…) monsieur Fontaine JULES !"
Jean-Yves et moi nous regardions, lèvres pincées sur le fou-rire qui nous fouaillait les tripes…
"Mi appelle pas Jules, mwin", me disait-il en aparté, car pratiquant régulièrement cette langue.
"A mwin, mi appelle pas Fontaine"…
Ça pouvait traîner longtemps ainsi.
Suite au prochain numéro
Mais le plus vicieux, face aux délires éthyliques de M. Jean-Pierre, fut Michel, mon digne frangin.
Je n’ose imaginer comment, plus tard, cet apprenti-anarchiste, a traité ses élèves-officiers lorsqu’il fut promu colonel puis Général de l’Armée de l’Air française. Se rappela-t-il alors seulement qu’il fut un des plus grands déconneurs du lycée Leconte-de-Lisle ?
C’était juste histoire de lui rappeler que les tortures sont interdites depuis le Bas Moyen-Âge. Y compris sur les animaux. Et que je déteste les heures de colle non-justifiées. Je crois bien que mon pote Loïs Payet faisait partie de cette équipe…
"Les Cafs, les comminiss’ et les siens"
Mais que je vous rassure tout-de-suite, si nous avons eu des enseignants qui se révélèrent être de vraies peaux-de-vaches, il y en eut aussi, en sur-nombre si je puis dire, pour nous égayer l’atmosphère. Entre les comiques, les bourrés, les bégayeurs, il y en eut, parole !
Par exemple le grand, l’illustre, le célèbre Edmond Nauche, prof de physique-chimie de son état.
Nauche était un Cafre bon teint. C’est-à-dire d’une sublime couleur noire, de celles qui captent la lumière du soleil. En cette qualité, comme bon nombre de Réunionnais Malbars ou Noirs, comme Albert Ramassamy et tant d’autres dans les années 40/50, il avait subi les affres d’un racisme… qui n’a pas vraiment disparu si vous voulez mon avis.
Michel et moi, il nous aimait bien "parce que votre maman Justy, qui était en math-élem avec moi, me considérait comme un condisciple comme les autres, pas comme in Caf !"
Ceci dit, et malgré ce racisme dont il fut victime, M. Nauche n’aimait pas « les 3 C » : « les Cafs, les comminiss’ et les siens ! »
M. Nauche, excellent pédagogue, n’adorait rien tant qu’assaisonner ses cours de chimie de considérations philosophiques. Pour nous parler du "rien ne se perd, rien ne se crée", il ajoutait que Lavoisier avait été victime de la Révolution "car les innocents paient pour les coupables". Quels innocents ? Quels coupables ? Lui seul savait.
Un jour, un élève mal intentionné avait déversé tout le contenu d’une cartouche d’encre à stylo sur sa chaise. Pour stigmatiser l’affront fait à son honneur, Nauche vint au lycée toute une semaine avec son pantalon gommaté !
Qu’est-ce qu’on l’aimait, ce mec !
Pédagogue de première bourre, gentil, convivial, capable de répéter vingt fois la leçon au besoin. Je m’en veux presque d’avoir "piné" mes compositions de physique-chimie en classe de philo… ce qui m’avait valu le Prix d’excellence en cette matière, moi nul à chier en matières scientifiques.
"Fontaine Jules !"
Il y a une autre matière diabolique et les profs qui vont avec, les mathématiques. Je sais, je commets une faute en écrivant "les maths" avec un "S". En français, les abréviations ne prennent pas la marque du pluriel. Mais depuis qu’un film s’est intitulé "les Profs", tout le monde fait du pareil au même.
Ah ! Ça, des prof (après tout, merde, j’écris comme il faut et basta !) des prof de math caricaturaux, on en a eu et pas qu’un peu.
Custine et Jean-Pierre, par exemple. Oui, Jean-Pierre, le papa du célèbre Juge d’instruction. Ces deux-là étaient copains en cosinus et rhum-charrette. Sur le coup des dix heures, ils retrouvaient leur pote Laïang chez le Chinois du coin. Les boutiques de cette époque ne vendaient pas d’eau-de-Cilaos, encore moins d’Édéna, toutes deux à inventer.
Lorsqu’ils reprenaient leurs cours de math, titubant et chancelant plus vrai que nature, ils faisaient montre d’une élocution "un peu chargée", si je peux dire. Et les errements de jugement qui vont avec…
En 1ère "C", nous étions assis côte-à-côte, Jean-Yves Fontaine et moi. M. Jean-Pierre effectuait une brillante (hum !) démonstration au tableau et posait une question. Pour la réponse, il désignait un élève. Se retournant alors vers ses ouailles, il pointait un doigt impérieux vers nous :
"Réponse… (un brin d’hésitation à 40°…) monsieur Fontaine JULES !"
Jean-Yves et moi nous regardions, lèvres pincées sur le fou-rire qui nous fouaillait les tripes…
"Mi appelle pas Jules, mwin", me disait-il en aparté, car pratiquant régulièrement cette langue.
"A mwin, mi appelle pas Fontaine"…
Ça pouvait traîner longtemps ainsi.
Suite au prochain numéro
Mais le plus vicieux, face aux délires éthyliques de M. Jean-Pierre, fut Michel, mon digne frangin.
Je n’ose imaginer comment, plus tard, cet apprenti-anarchiste, a traité ses élèves-officiers lorsqu’il fut promu colonel puis Général de l’Armée de l’Air française. Se rappela-t-il alors seulement qu’il fut un des plus grands déconneurs du lycée Leconte-de-Lisle ?