Après avoir patiemment relu les deux premiers chapitres des « prof et copains » (ce n’est pas une faute : prof, comme toutes les abréviations françaises, ne prend pas la marque du pluriel !), donc, après avoir relu, j’ai culpabilisé : et si j’en oubliais ? Angoisse existentielle. J’ai donc battu le rappel des mémoires de copains du lycée, Dédé, Joël… et j’ai bien fait. Là encore, il y eut des gentils, des méchants et les éternels comiques. Feu !
Le short de Boubel
Au chapitre des amuseurs-malgré-eux, il y avait Pierre Bègue. Triste gag, le pauvre bégayait réellement. Un matin, il arrive à 8 heures, tout excité, et tombe sur Jean-Yves (Fontaine) et moi. Il se précipite vers nous et : « F… F… Fon… Fon-ontaine, m… mwin la en… entende in-in-in morceau Ch-ch-ch… Shadows. T-t-t té, lélélélé au-au poil oui ! I fé ta-ta-ta-ta… tatata ». Réalisant qu’il n’aura jamais le temps de fredonner « Géronimo » avant l’entrée en classe, il lance un bras par-dessus son épaule et, résigné, lâche tout d’une traite : « Envoye chier ! »
Nous avons tous gardé un excellent souvenir de ce Pierre-là. Intelligent, affable, il s’était juré de devenir médecin, bien qu’inscrit en terminale philo. Je crois qu’il a réalisé son rêve et c’est tant mieux.
Autre comique involontaire, M. Boubel, prof de gym, gentil, bon pédagogue ; il n’obligeait jamais les gros (comme moi) à courir le 1.000 mètres, épreuve qui nous envoyait, Joël, ti-Henri Fong-Yan et moi, régulièrement sous la douche, dégueuler tripes et boyaux à la fin de l’épreuve. On l’avait affectueusement surnommé « Boubel gros graines ». Parce qu’un jour, il nous avait fait une démonstration de la bonne façon de grimper à la corde. Avec un short de sport trop large.
Espèce de charnière !
Certains prof maniaient l’humour à dessein. Faire rire les ouailles participait de leur conception d’une bonne pédagogie, et ça marchait souvent. Ainsi Maurice Rolle, histoire-géo. Il adorait relater les « perles » découvertes dans les copies d’interro-écrite. Comme « la vigne décimée par le myxomatose ». Il était grand et se déplaçait assez vite dans la cour, un peu penché vers l’avant. Son épouse, belle et grande femme, allait, elle, très cambrée vers l’arrière. Fort logiquement, nous les appelions « bouton pression ».
M. Espinasse, prof d’allemand des plus efficace, bénéficiait d’une cote d’amour terrible. Une heure avec lui était une séance de rire (mais d’apprentissage aussi) salutaire pour les globules rouges.
C’est à lui que l’on doit deux anecdotes dans lesquelles il se foutait de ces Allemands qu’il adorait.
La première : « Deux Allemands se targuent de bien parler le français. Un jour, ils se prennent de gueule et l’un traite son ami de < charnière >. L’autre se précipite sur son dico et lit, à voix haute : < charnière : ezbèze de gond > ».
Et l’autre : « Deux Teutons entrent dans un café de Picadilly et tentent de parler anglais avec le serveur : < Two whiskies, please ! > Professionnel, le serveur demande : < Dry ? > Les Allemands s’énervent vite. Rouge de fureur, l’un d’eux réplique, hurlant presque : < Nein ! Nicht drei, zwei !> »(« Non, pas trois, deux ! »).
Comment voulez-vous ne pas aimer un tel pédagogue pratiquant la leçon par l’exemple ?
« Pâte-à-brosse »
« Toto-la-fièvre », Luçay Hoareau, prof de physique-chimie nous régalait avec son accent très yab. Autrement dit, une prononciation très « Vabois » que ses nombreuses années d’enseignement n’avaient jamais pu gommer.
« C’est quoi ce désord’ dans le fond, là ? Je parie que c’est encor Bénord ! »
À côté des comiques, volontaires ou pas, nous avions des enseignants et des potes à la gentillesse proverbiale. Comme madame Tessier, dont j’ai déjà parlé par ailleurs. Elle remplaçait avec bonheur, dans plusieurs disciplines, les enseignants absents : histoire-géo, anglais, français, elle savait tout et, surtout, savait expliquer, toujours avec le sourire. Une tendresse à fleur de peau pour ses lycéens… qui en profitaient bien, il faut le reconnaître.
Un jour, second étage, il y avait tant de bruit sur le terrain de gym, elle se dirige vers la porte, histoire de la fermer et ramener le calme. Profitant qu’elle a le dos tourné, un serial plaisantin lance une boule puante dans la caisse à saleté. Moins d’une minute après, madame Tessier fait la grimace et dit : « Ces classes de chimie, quand même… ! » La classe s’esclaffe et, comprenant son incompréhension devant une telle hilarité, on lui explique. Elle a eu le bon goût de rire avec nous. Elle non plus n’a jamais infligé une seule heure de colle de toute sa carrière.
Je pense qu’elle faisait partie de nos maîtres préférés.
« Pâte-à-brosse », fils de gendarme saint-pierrois, devait ce curieux surnom au fait qu’un jour, n’ayant plus de cirage pour ses chaussures, il avait fait le tour du dortoir en demandant si quelqu’un n’avait pas de la « pâte-à-brosse ». Malheureux, faut pas dire des trucs comme ça !
Laide à faire peur
Et puis, il y avait les féroces, les vraiment méchants. Au rang desquels le sinistre « Tara », Léonce Hoareau dont j’ai évoqué la triste mémoire auparavant. Jamais une note au-dessus de 14/20, quelle que fût la qualité du devoir.
Et Despatins, prof de philo hélas, qui avait ses « têtes » et était un obsédé du cul. Sans doute adepte des idiotes théories freudiennes, il avait décidé que chaque geste que nous faisions était un symbole sexuel. Comme se tenir le coude et fermer le poing après un choc un peu violent.
« C’est quoi, ce geste ? », avait-il demandé en levant et abaissant le poing. Ben… un marteau. Ben… non ! Il nous avait expliqué que ça matérialisait un pilonnage sexuel. Vous imaginez notre stupeur.
J’ai dit qu’il avait ses « têtes », nombreuses, et quelques lycéens, rares, qu’il aimait bien. Quelle que fût la volonté de bien faire, les mauvaises notes pleuvaient, comme chez Tara. Perso, durant toute mon année de terminale, je n’ai jamais récolté plus de 4/20. Il m’avait dit, condescendant : « Monsieur Bénard, vous n’aurez jamais votre bac philo ! »
Le jour de la distribution des prix, au Cinéma Plaza, je me suis précipité au-devant de lui et, réfrénant une furieuse envie de lui coller mon poing dans la tronche, savourant ma revanche, je lui ai juste dit : « Monsieur Despatin, j’ai eu mon bac, avec 12/20. Et c’est pas grâce à vous ! »
S’il avait répliqué, je cognais. Il a eu la salutaire prudence de la boucler.
Troisième figure de cette paranoïa lycéenne, je ne peux m’empêcher de citer madame Bouyal. Ci-devant prof de sciences nat (devenues SVT allez savoir pourquoi). Elle avait tout pour déplaire : méchante voire féroce, mauvaise pédagogue et laide à faire peur.
Malgré son charme façon Fée Carabosse en plus moche, on lui prêtait un appétit sexuel hors normes et des conquêtes masculines à n’en plus finir. Nombre d’entre nous n’y ont jamais cru. D’abord akoz té difficile d’être plus vilain ; et puis, pour les prof considérés comme coureurs de jupons, il ne manquait pas de jolies enseignantes dans notre lycée. Comme « Pépita », prof d’espagnol, épouse de « Grand-Jo » (Joseph Cresta, censeur), madame Thibaud… que nous autres, les lycéens boutonneux, mations de loin en soupirant.
Eh ! On peut toujours rêver, non ?