Charme, tranquillité, authenticité… Derrière la carte postale se cache un tout autre monde pour les Rodriguais, livre Marylou Augustin. Native de la « Cendrillon des Mascareignes », elle a à nouveau posé ses valises à La Réunion, là où il y a des années elle a pu faire l’expérience de la liberté, « la possibilité d’être [elle]-même », raconte-t-elle. Mais quand elle parle de son île, la déception lui laisse un goût amer.
Alors qu’elle est de retour à Rodrigues en 2009, Marylou mène en parallèle sa vie de mère de famille et d’entrepreneuse. La renommée de ses tourtes dépasse les frontières de l’île. Mais elle a « envie de donner un coup de main », pour la situation des femmes en particulier. « La femme n’a pas son mot à dire, n’a pas de liberté d’action, soumise également au qu’en dira-t-on ».
Selon Marylou, la société rodriguaise est rongée par les non-dits. Violences conjugales, incestes, viols, agressions sexuelles autant de sujets tabous dans une société où la religion tient une place centrale. « Les victimes se taisent, c’est la loi du silence » et, plus encore quand les violences ont lieu au sein du cercle familial.
Quelques affaires de moeurs ont tout de même défrayé la chronique ces dernières années. En juillet 2016, un réseau de prostitution est révélé à Rodrigues. Une collégienne de 16 ans dénonce les agissements d’une dizaine de fonctionnaires mais aussi l’implication d’un chauffeur d’une personnalité politique, publie Defimedia.info.
[Février dernier, l’ancien prêtre Teddy Labour est accusé d’avoir eu des relations avec une mineure alors qu’il est déjà touché par une affaire d’attouchements sexuels en septembre 2016, révèle Zinfos Moris]urlblank:https://www.zinfos-moris.com/Rodrigues-L-ancien-homme-d-eglise-Jean-Teddy-Labour-de-nouveau-accuse-dans-une-affaire-de-moeurs_a4595.html .
« Des exemples pour lesquels les suites judiciaires sont inconnues, les affaires sont étouffées », s’insurge Marylou.
Des femmes arrêtées pour avortement illégal
À ces violences subies s’ajoute celle du droit à l’avortement restreint.
À Rodrigues, île autonome rattachée à Maurice, l’interruption volontaire de grossesse est autorisée depuis juin 2012 uniquement si la poursuite de la grossesse constitue un danger. L’IVG est ainsi possible selon la loi mauricienne, en cas de risques pour la vie, la santé physique et mentale de la femme enceinte, en cas de conséquences graves comme la malformation ou des difformités du fœtus, si la grossesse est la conséquence d’un viol, de relations sexuelles avec mineure, avec le cas rapporté à la police ou à un médecin. Une législation limitée « qui ne prend pas en compte le respect du corps, de la dignité et l’honneur d’une femme », et qui amène toujours à des avortements clandestins.« Des femmes en meurent », rappelle Marylou.
Les pilules abortives « circulent sous le manteau avec la complicité des pharmacies ». Le Cytotec, médicament contre l’ulcère de l’estomac, retiré du marché français depuis 2018, est ainsi largement détourné pour déclencher des fausses couches dans l’île Soeur et à Rodrigues.
L’année dernière, deux femmes ont été arrêtées pour avortement clandestin », se révolte Marylou. « Dans tous les cas, c’est l’utérus de la femme qui ne lui appartient plus et qui devient la propriété du Gouvernement ».
Pressions sur sa famille et ses proches
Déterminée à faire changer la société rodriguaise, Marylou s’est engagée en politique auprès du Mouvement Rodriguais (MR). En 2017, elle se présente à l’élection de l’Assemblée Régionale dans la région de la Grande Montagne. L’Organisation du Peuple de Rodrigues (OPR) est au pouvoir depuis 40 ans, outre une parenthèse en 2006.
« À Rodrigues, même si tu ne votes pas, tu as une étiquette ». Soit blanche pour l’OPR, soit verte pour le MR. « La politique est partout ». Selon Marylou, cette couleur colle à la peau et détermine les rapports avec les autorités que ce soit dans le domaine de la santé, l’éducation ou la justice. « À mes débuts en politique, alors que je me rendais à l’aéroport, j’ai été contrôlée trois fois sur 25 km », confie Marylou. Son combat a laissé des traces. « Ma fille a été persécutée à l’école. Mes proches et tous ceux qui ont osé me soutenir ont été pénalisés ».
Marylou a fini par raccrocher les gants en quittant le MR et la politique. Elle s’est décidée à partir alors que son entreprise, la Tourterie, ne demandait qu’à se développer. « Du zamal aurait été retrouvé chez moi, c’est ce qui arrive quand on est trop grande gueule. J’ai préféré partir de peur de finir en prison ».
Aujourd’hui avec son mari d’origine métropolitaine, elle aspire à « consolider l’avenir de sa fille » et pourquoi pas faire découvrir ses fameuses tourtes aux Réunionnais.