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Savanna Saint-Paul

Les premiers habitants de l’île se sont installés autour de l’étang Saint-Paul au pied de la montagne qui surplombe la ville. La savane aride s’étendait du « bout de l’Etang » jusqu’à la rivière des Galets. Cet espace était appelé « Parc à Jacques » du nom de son premier concessionnaire : Jacques Fontaine.

Ecrit par Sabine Thirel – le samedi 05 décembre 2009 à 08H00

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Au XVIIIe siècle l’île Bourbon est le grenier des Mascareignes, la plaine de Savanna est recouverte de  rizières et de vivres. Ce n’est qu’après la livraison, du canal Lemarchand en 1829, dont la construction a duré 15 ans, que les terres  arides se transforment en champs de cannes. Ce canal alimente la plaine Chabrier jusqu’en 1976. C’est à partir de là que les usines du Piton, du Grand-Pourpier  et du Bout de l’Etang (Savanna) ont été construites. La production de sucre est acheminée vers les quatre Marines nouvellement construites dans la baie de Saint-Paul.

 

En effet, Olive Lemarchand achète le domaine à Lacaille au début du XIXe siècle qu’il nomme : Domaine Sucrier de Savanna et installe la première usine en 1820. Des ruines noircies,  en pierres de taille et moellons, surmontées d’une cheminée rognée par le temps  se trouvent à La Perrière sur le Chemin du Tour des Roches(image 2). Ces ruines correspondent-t-elles à cette première usine ?
A cette époque, la main d’œuvre repose essentiellement sur l’esclavage. 

 

D’ailleurs l’Abbé Macquet, curé de la paroisse de Saint-Paul de 1844 à 1860, écrit : « La messe terminée (…) un grand rassemblement se forme à la porte de l’église : j’entends des soupirs et des gémissements poussés par une famille d’esclaves que l’on va vendre (…) Il fallait entendre leurs supplications pour déterminer les (riches colons) à les acheter tous ensembles (…) A un signal donné, ils se dépouillent de leurs pauvres vêtements : on les fait monter sur les tables ; on les examine comme des bêtes, pour s’assurer s’ils ont bon pied bon œil ; et cette révision se fait devant la foule assemblée. Puis vient la mise à prix (…) C’est un honnête et riche colon qui fait une offre pour le groupe entier : la foule applaudit, la vente est conclue. » (cf.A.Miranville) 
 

 

Lors de l’Abolition de l’esclavage en 1848, les affranchis à majorité indienne, s’installent aux alentours des villes et des sucreries.
La Société du Domaine de Savanna constituée en 1876, passe aux mains de La Hogue puis à celles d’Eléonore Hoareau-La Source. En 1897, les héritiers Hoareau-La source propriétaires de l’Etablissement et des terres environnantes, créent la Société Anonyme Agricole et Industrielle de Savanna. Comme toutes les propriétés de l’époque, les habitants du domaine vivent en autonomie. La nourriture et les vivres sont produits sur la propriété. Ce qui évite de dépendre des autres et surtout des navires peu nombreux.
En 1902, Savanna emploie 151 engagés, soit 45 Malgaches, 43 Indiens, 32 Africains et 31 chinois.  

 

Rachetée en 1916 par la société Anatole Hugot et Charles Maureau, la propriété passe aux mains de Frédéric de Villèle et Adrien Lagourgue. Enfin, en 1948 Savanna rejoint La Mare, l’Eperon, Stella et Grands-Bois pour former les Sucreries de Bourbon dont le PDG est Emile Hugot.
La Grande Maison située derrière l’usine appelée aussi Château ou Maison Blanche est un édifice du XVIIIe siècle. Elle abritait le propriétaire puis le directeur de l’usine jusqu’en 1935. Par la suite elle a servi de dépôt de sucre. Très sobre, elle se dresse face à l’étang situé à quelques centaines de mètres par une allée de cocotiers. Cette maison de maître à un étage, a aussi servi de lazaret, c’est-à-dire de lieu d’isolement pour les nouveaux arrivants espérant ainsi éviter la propagation des maladie dont ils seraient porteurs, mais il sert aussi de lieu de soins.

 

Lorsque le directeur habite dans la Grande Maison située face à l’Etang, les techniciens et employés sont logés autour de l’usine. Les engagés vivent sur le chemin du  Tour des Roches au lieu dit Jardin La Perrière. Des bidonvilles se sont montés le long de la longue Allée des Palmiers, à l’entrée de l’habitation, dans le quartier Bonaparte. C’est là, derrière les épaisses haies de bois de lait que s’installent les manœuvres, les travailleurs occasionnels. Les journaliers en fin de contrat rejoignent également l’endroit.
Une première distillerie est créée dans les années 1870.
 

 

Les petites usines de l’Ouest fusionnent entre elles. Celle de Bellemène est la première à fermer en 1904 ; précédant Petit Bernica de 4 ans à peine. L’usine de Villèle arrête de produire en 1920 et l’Eperon en 1935. Vue Belle et  Savanna brassent la totalité des cannes du territoire Ouest.  Alexis Miranville apporte les précisions suivantes : « Le rhum produit à Savanna et à Vue Belle était vendu en gros en ville de Saint-Paul. Le dépôt de rhum se trouvait dans les bureaux des Contributions Indirectes. L’employé de ce service prélevait ainsi, à la source, toutes les taxes dues. Ce dépôt fut supprimé au début des années 1970. »
 

 

A partir de 1970, Savanna broie l’ensemble des cannes  de l’ouest. Alors que la centralisation est lancée depuis presque qu’un siècle, en 1982 la distillerie de Savanna se dote d’un équipement performant dans le but de fabriquer du rhum léger destiné à l’exportation. « Cette acquisition a été, pour Distillerie de Savanna, le fait générateur du développement de sa technologie rhumière, qui a multiplié, à partir de cette année là, la diversification et la qualité de ses productions. » En 1992, la distillerie est transférée à Bois-Rouge, Saint-André, concentration oblige.
Henri Odile, septuagénaire, rencontré sur le chemin du canal Lemarchand raconte volontiers, avec nostalgie, avoir travaillé avec M. Roger à Savanna. Il était « manœuvre-chaudière » jusqu’en 1985 date de sa retraite et de la dernière campagne sucrière de l’usine.
Le domaine de Savanna s’est adapté à sa population de plus en plus nombreuse et diversifiée, installant des lieux de culte, un temple indien dans la cour de l’usine transféré à l’Allée des Palmiers et une église sur le chemin départemental. Une boutique « chinois » s’installe aussi face à la balance.

 

L’usine de Savanna ferme ses portes en 1986. Son dernier directeur Roger Thirel, qui a succédé à son père Jules Thirel  30 ans plus tôt, rejoint l’usine de Grands Bois, dernier bastion des Sucreries de Bourbon devenue Industrielle Sucrière de Bourbon. Une grande partie du personnel y est également déplacée.
Aujourd’hui, Savanna se transforme en zone commerciale et regroupe de nombreuses grandes enseignes.   

Sources :
Saint-Paul, Histoire et mutations d’une petite ville coloniale. Alexis Miranville-L’Harmattan-2001-
Le Lazaret de la Grande-Chaloupe – M.Marimoutou-Oberlé
Distillerie de Savanna
L’Abbé Macquet, Six années à l’Ile Bourbon, Editions Cattier, 1993
Témoins architecturaux et mécaniques de l’industrie sucrière de La Réunion- Amicale du personnel de la culture à La Réunion

 

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