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Saint-André : Sucreries et Engagés

A partir du XIXe siècle, Saint-André comme toute l’île, connait la grande époque du sucre. Les larges espaces boisés du « Beau Pays » sont remplacés par les roseaux de canne à sucre. Les usines sucrières se multiplient et le besoin crucial de main-d’œuvre se fait sentir.

Ecrit par Sabine Thirel – le samedi 25 juillet 2009 à 07H30

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Les cultures de riz, de thé, de girofle, de vanille ou de culture maraichère sur la large plaine du Champ-Borne, sont rapidement supplantées par la canne. Du fait de cette prédominance, plusieurs usines sucrières se montent sur les domaines situées aussi bien dans les Hauts : Menciol, Bras des Chevrettes, Bras  Mousseline, que dans les Bas de la ville : Ravine Creuse, Cambuston et Bois Rouge ou Colosse construit en 1827 par Nicol Robinet de la Serve. L’usine de la Rivière du Mât bénéficie des eaux de la Rivière du même nom et les installations de barrage et de canaux approvisionnent les autres usines en contrebas.

 

Les travailleurs locaux affranchis, petits blancs et mulâtres ne sont pas intéressés par les travaux difficiles des champs et des usines sucrières. Bien que les engagés arrivent dans l’île à partir de 1829, ils affluent à partir de l’abolition de l’esclavage de 1848, et encore plus après l’accord franco-britannique de 1860. Après la perte de Saint-Domingue, la Colonie Bourbonnaise est le plus grand fournisseur de sucre de la France mais la main-d’œuvre lui fait défaut. Il n’y a pas de fabrication de sucre sans travailleur, aussi la colonie envisage le recrutement pour une durée de 5 ans, d’étrangers pour les plantations et les usiniers qui réclament eux aussi une main-d’œuvre nombreuse.

 

Alors qu’en 1859, intervient l’interdiction de recruter sur les côtes orientales de l’Afrique, des Comores et de Madagascar, les nouveaux engagés sont issus principalement des côtes indiennes du sud. Les Engagés sont « commandés » aux autorités anglaises selon la convention franco-anglaise de 1860 qui autorise « une mise en valeur des terres à sucre par le recrutement d’une abondante main-d’œuvre anglo-indienne » réputée docile, habile et bon marché. Mais, un décret impérial du 10 août 1861 autorise les anglais à interrompre l’accord en cas de mauvaise application.

 

Alors à partir de ces dates, on espère plus de 6000 engagés indiens par an dans les habitations Bourbonnaises. D’ailleurs, en plus des lazarets de la Ravine à Jacques et  de la Grande Chaloupe, un lieu de quarantaine est établi à St-André, disparu aujourd’hui. Ainsi lorsque les engagés sortent de quarantaine, ne sont pas encore tout à fait rétablis et opérationnels, et doivent laisser place aux nouveaux « arrivages », ils sont logés à la Maison de Quarantaine de Dioré. Entre 1860 à 1882, plus de 180 000 engagés indiens posent le pied sur le sol réunionnais. Ils sont majoritairement employés comme ouvriers d’usine ou de plantation. Seulement 1 % d’entre eux deviennent domestiques.

 

Une enquête sur les conditions de vie des engagés diligentée par une commission internationale rend un rapport en 1877 qui provoquera l’arrêt définitif de l’importation de ces populations anglo-indiennes en 1882. Cependant le dernier convoi arrive le 2 février 1885.
Malgré leurs statuts d’anglo-indiens, ces engagés ne sont pas considérés comme des employés à part entière. Parqués dans des camps en bordure des champs de cannes à sucre, ils côtoient les affranchis et les descendants d’esclaves. L’amalgame étant vite fait, ils sont considérés comme eux, tant au niveau des rythmes de travail qui dépassent souvent 16 heures par jour, qu’à celui des sanctions ou punitions, ou de leurs logements ou celui du paiement tardifs et parfois illusoires de leurs gages. Mais bien qu’ils soient informés des nouvelles conditions de recrutement, les mentalités des colons ont du mal à évoluer. Les engagés ne sont pas mieux appréciés, la rumeur des mauvais traitements pendant le voyage jusqu’à La Réunion et après dans les habitations, se répand. L’opinion publique anglaise pousse les autorités à fermer les comptoirs de Madras et de Yanaon, puis demande que l’immigration indienne soit commandée par un officier anglais, ce que les Français refusent.

 

Sur ces 180000 engagés, peu rentreront au pays et ceux qui repartent sont en majorité des indigents et des infirmes. Les rapatriements ne sont ni faciles, ni facilités. En effet, ceux-ci doivent être réglés par les engagistes qui trouvent souvent des techniques pour piéger les engagés, leur trouvant des dettes pour des raisons futiles entrainant des réengagements d’office. D’autres sont tout simplement déclarés décédés par leurs engagistes. D’ailleurs, le mauvais traitement qu’ils subissent par un rythme de travail optimum, la nourriture distribuée avec parcimonie et les coups reçus selon des habitudes d’une époque révolue mais qui sont encore de mise en cette fin de XIXe siècle, provoquent bien des disparitions et des décès qui ne sont pas déclarés la plupart du temps par l’engagiste. D’autres encore rentrés au bout de 5 ans d’exil, fatigués et sans argent, ne trouvent plus leur place dans leurs contrées et se réengagent pour les colonies françaises.

 

Les « Engagés du Sucre » très sollicités à cette époque installent des temples à proximités de leurs lieux de travail, seuls liens avec leur passé et leur culture. Celui de Ravine Creuse  est dédié à Ganesh, celui de Colosse à Pandialé et celui de Bois Rouge que l’on voit de la route nationale est dédié à Carli.
Les Bâtiments de Ravine Creuse sont encore présents et abritent aujourd’hui l’entreprise Bourbon Plastique et une filiale du Groupe Quartier Français. Cambuston, ancienne usine sucrière, absorbée par Bois Rouge, se transforme en féculerie pendant la deuxième Guerre Mondiale comme Colosse qui devient elle aussi, une « Usine Tapioca ».

 

Quelques belles maisons créoles appelées châteaux à l’époque, abritaient les directeurs ou les propriétaires des grosses habitations, la majorité d’entre elles ont changé de propriétaires. Les maisons en pierre, Maison Welmant au bord de la Nationale, la Maison Adrien Bellier de Bois Rouge ont résisté au temps, d’autres ont été retapées. Seuls autres vestiges quelques cheminées disséminées ici ou là au milieu d’un champ de cannes, des sous-bois qui autrefois cachaient les maisons de maîtres en bois aujourd’hui disparues. En 1874, les propriétaires ne pouvant assurer leurs remboursements au Crédit Foncier Colonial, les usines et les terres avoisinantes de Menciol, Ravine Creuse (fermée en 1969) et Avenir sont saisies, elles ont été revendues au XXe siècles à des particuliers.

 

L’exportation du sucre suivait le mode de transports de l’époque, qui voulait que les hommes esclaves, affranchis et engagés, aidés des bêtes de traits charroyaient la production de l’usine aux Marines de la ville. A Saint-André, les ponts-débarcadères étaient situés à Champ Borne et derrière l’usine de Bois Rouge. Elles transportaient la production par batelage jusqu’aux magasins et aux embarcations en rade de Saint-Denis. La commune a été desservie par le CFR (Chemin de Fer Réunionnais) à partir de 1882 qui amenait le sucre jusqu’aux magasins de la capitale puis, jusqu’au port dès la mise en service de celui de la Rivière des Galets en 1886.

Sources : -Marimoutou Michèle, Les engagés du sucre, Editions du tramail, 1999
-Le Patrimoine Des Communes De La Réunion.Auteur:Collectif- Editeur : Flohic- Collection:Le Patrimoine Des Communes De France- Parution : 21/11/2000

 

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