Le conseil d’administration de la SPL Edden s’est tenu aujourd’hui au conseil départemental. Le Département détient en effet la majorité de son capital.
Sous la présidence de Béatrice Sigismeau, il a entériné l’embauche de son directeur général, Gilbert Rivière, dont le salaire avait fait polémique il y a une quinzaine de jours.
Un premier conseil d’administration n’avait en effet pu valider ce choix, de nombreux élus s’étant opposés au salaire prévu pour le directeur : 14.000 € par mois, sur 13 mois, plus un parachute doré en cas de départ égal à 24 mois de salaire, soit plus de 300.000 €, sans compter les avantages en nature (notes de frais, voiture, voyages en classe Business, etc…).
Cette fois, le salaire a été revu à la baisse. Il n’est plus question « que » de 9.500 € sur 13 mois, soit 12.291 € par mois, si on le ramène sur 12 mois.
Ce qui a fait dire à Jean-Marie Virapoullé (voir le texte qu’il a lu en séance ci-dessous) que c’était un salaire supérieur à celui du directeur général des services du département qui a pourtant sous ses ordres environ 5 000 employés et « qui sera amené à verser la subvention et contrôler la SPL« . Ce salaire sera aussi supérieur à celui d’un sous-préfet ou même d’un préfet de région. Avec un tel montant, le directeur de la SPL sera « plutôt l’égal d’un ministre !!! »
D’autant qu’en plus de ces 9.500 € sur 13 mois. le directeur de la SPL Edden aura également, en plus, une rémunération variable de 10% de son salaire net, une voiture de fonction (uneSUV s’il vous plait !), des notes de frais à discrétion, des voyages en classe Business ainsi qu’un parachute doré ramené à 12 mois de salaire en cas de révocation.
Lors du vote, seuls trois élus ont voté contre : Jean-Marie Virapoullé, Yvette Duchemann, tous les deux membres de la majorité de Cyrille Melchior, et Anne-Flore Deveaux.
Courageusement, Gérard Françoise s’est abstenu. Quant à Philippe Leconstant, il a quitté la réunion avant le vote.
Ont donc voté en faveur de l’embauche de Gilbert Rivière : Claudette Grondin (conseillère départementale) qui était porteuse de la procuration de Enaud Rivière (conseiller départemental), Patrick Vayaboury (CIVIS), Stéphano Dijoux (CIVIS), Alix Galbois (CIVIS et conseiller départemental), Marie-Lyne Soubadou (conseillère départementale), Jacqueline Silotia (conseillère départementale), Younous Valy (Entre-Deux et CASUD), et Béatrice Sigismeau (CIVIS).
Dans son intervention, Jean-Marie Virapoullé a tenu à assurer qu’il faisait toujours partie de la majorité départementale de Cyrille Melchior, dont il est d’ailleurs le 1er vice-président. Mais, selon lui, s’il a agi de la sorte, c’était « justement pour protéger le président« .
Il a soulevé un certain nombre de points de droit qui, selon lui, s’opposent à la nomination de Gilbert Rivière.
Tout d’abord, selon son analyse juridique, l’article L. 231 du code électoral précise que « les entrepreneurs de services municipaux ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes situées dans le ressort où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois« . Ce qui serait le cas de Gilbert Rivière puisqu’il est actuellement adjoint au maire de Saint-Pierre et vice-président de la CIVIS, alors même que la SPL Edden dont il assurera la direction sera amenée à travailler sur les territoires de ces deux collectivités.
Jean-Marie Virapoullé s’est également élevé contre le montant du salaire retenu, le jugeant « indécent’.
Enfin, et c’est peut-être le plus grave, le conseiller départemental de Saint-André a relevé le risque de conflit d’intérêt à voir le directeur général et la présidente être tous les deux originaires de la même commune, à savoir Saint-Pierre.
Jean-Marie Virapoullé l’a dit de façon très diplomatique, mais le risque est grand de voir la SPL Edden procéder à des embauches massives de Saint-Pierrois (elle aura à gérer des centaines d’emplois verts et d’employés de l’association Glaive qui pourrait voir son activité étendue à toute l’ile), à l’approche des élections municipales de l’an prochain.
Ces arguments n’ont pas suffi à convaincre la majorité des membres du conseil d’administration qui ont décidé de passer outre et d’embaucher malgré tout Gilbert Rivière au poste de directeur.
L’argumentaire de Jean-Marie Virapoullé
D’un point de vue juridique
J’ai pris connaissance des deux notes juridiques concernant les bases légales du recrutement de Mr Rivière. La première note émane de la Direction des Affaires Juridiques du Conseil Départemental de la Réunion et la seconde du Cabinet d’avocat Omarjee Partenaires et avocats, installé à Saint Pierre.
Je considère que les analyses sont incomplètes car elles ne traitent pas d’inéligibilité d’un conseiller municipal ou intercommunal qui assure les fonctions d’entrepreneurs des services municipaux depuis moins de six mois.
Pour bien comprendre mes propos, aux termes du 6° de l’article L. 231 du code électoral, les entrepreneurs de services municipaux ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes situées dans le ressort où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois.
Cette disposition législative fait l’objet d’une application rigoureuse de la part du juge de l’élection. En effet, ce dernier définit l’entrepreneur de services municipaux par un faisceau d’indices. Le premier indice tient à l’activité exercée par la ou les personnes susceptibles d’être qualifiées d’entrepreneurs de service municipaux.
Pour que l’inéligibilité énoncée par le 6° de l’article L. 231 du code électoral. Transposable aux élus intercommunaux par l’article L 273-6 du code électoral, ce texte rend applicable l’article L 273-4 du même code qui dispose que : « Leurs conditions d’éligibilité, les inéligibilités et les incompatibilités sont celles prévues pour les conseillers municipaux de la commune qu’ils représentent et pour les conseillers communautaires… » soit retenue par le juge, il est nécessaire que l’activité présente un caractère régulier, c’est-à-dire qu’elle dépasse l’association occasionnelle (CE, 29 avril 2009, Élections municipales de Bavay, n° 317232), quel que soit le lien juridique ou financier entre la commune et la personne concernée (CE, 15 mars 1996, Élections municipales de Moulins-sur-Ouanne, n° 172739). Dans notre cas, la SPL travaillera régulièrement pour les collectivités membres dont fait partie notamment la CIVIS, puisque c’est son objet. Pour rappel, Mr RIVIERE est vice-président de la CIVIS et conseiller municipal de Saint Pierre.
En outre, l’activité doit être étroitement liée à l’exécution d’un service public communal, ce qui suppose un lien direct entre l’activité et la commune, lequel se manifeste par un contrôle étroit exercé par celle-ci sur l’activité (CE, 18 février 2002, élections municipales de Pastricciola, n° 236897). Le contrôle analogue, imposé par la loi, et qui sera exercé par les actionnaires répond ici à cette définition.
Le second indice examiné par le juge de l’élection est tiré de la nature des fonctions exercées au sein de la personne morale par la personne susceptible d’être qualifiée d’entrepreneur de services municipaux. À cette fin, le juge recherche le rôle prédominant exercé par celle-ci au sein de l’entreprise ou de l’organisme chargé du service municipal. C’est en effet à la réalité des fonctions exercées que s’attachent les juridictions pour apprécier leur caractère prédominant. Ainsi, l’exercice de fonctions salariées au sein de la personne morale ne suffit pas à lui seul à faire regarder la personne comme un entrepreneur de services communaux, sauf s’il s’agit de fonctions de direction d’un rang élevé (CE, 11 mars 2009, élections municipales d’Huez, n° 318249) ou qui confèrent une indépendance et une autonomie de décision réelles (CE, 28 mars 1984, Élections municipales d’Erquy, n° 52188). Ici encore, le critère est avéré car le poste concerné est celui de Directeur Général, poste le plus important de la structure.
La démonstration que le poste de Directeur Général de la SPL est bien un entrepreneur de services municipaux n’est plus à faire.
Le législateur a bien prévu des dispositions permettant aux représentants mandataires de collectivité de ne pas être caractérisés comme entrepreneurs des services municipaux. C’est l’article L.1524-5 du Code général des collectivités territoriales qui prévoit que : « Les élus locaux agissant en tant que mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements au sein du conseil d’administration ou du conseil de surveillance des sociétés d’économie mixte locales et exerçant, à l’exclusion de toute autre fonction dans la société, les fonctions de membre, de président du conseil d’administration ou du conseil de surveillance et de président assurant les fonctions de directeur général d’une société d’économie mixte locale ne sont pas considérés comme entrepreneurs de services municipaux, départementaux ou régionaux au sens des articles L. 207, L. 231 et L. 343 du code électoral« .
Il résulte de cette disposition que les mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements au sein du conseil d’administration ou du conseil de surveillance des SEML ne sont pas inéligibles dès lors qu’ils exercent, à l’exclusion de toute autre fonction dans la société, les fonctions de :
- membre du conseil d’administration ;
- président du conseil d’administration ;
- membre du conseil de surveillance ;
- président du conseil de surveillance ;
- président directeur général.
Aussi, demeurent inéligibles :
- les salariés ;
- les membres du directoire ;
- le président du directoire ;
- et le directeur général (s’il n’est pas également président).
En conclusion sur le volet juridique, la nomination de Mr Gilbert RIVIERE sur le poste de Directeur Général de la SPL sera lourde de conséquence.
D’un point de vue éthique,
Je rappelle que le choix du Directeur a été opéré par un jury au mois d’octobre 2018, avant même la création et l’adoption des statuts en assemblée plénière qui s’est tenue en novembre 2018.
Les conditions de recrutement (rémunération, avantages en nature, voyage en classe business etc…) ont été discutées en jury de sélection en octobre 2018 alors même que la loi (article L 225-53 du Code de commerce) prévoit que c’est le conseil d’administration qui détermine ces éléments. Le conseil qui se tient aujourd’hui va-t-il juste entériner des choix opérés antérieurement ou réellement décider ?
Sur la rémunération du Directeur Général, les 9 500 € par mois sur 13 mois, sans compter les avantages en nature et autres sont-ils justifiés.
Est-ce le niveau de salaire du Directeur général des Services du département avec environ 5 000 employés ? Celui-là même qui sera amené à verser la subvention et contrôler la SPL.
Celui d’un Directeur du SDIS réunion, d’un Sous-préfet ou même d’un Préfet de région ?
Rien de cela car bien au-dessus, plutôt l’égal d’un ministre !!!
Sur le fonctionnement de la SPL
La Présidence de la SPL EDDEN est assurée par Mme Béatrice SIGISMEAU Vice-présidente de la CIVIS élu de Saint Pierre. Mr Gilbert RIVIERE étant également élu communautaire et adjoint au Maire de Saint Pierre.
Cette proximité peut être génératrice de CONFLIT D’INTÉRÊTS aujourd’hui défini comme « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction« .En effet, compte tenu des cumuls de fonctions exécutives locales avec des fonctions au sein de ces entités, des conflits d’intérêts peuvent apparaître. La notion d’intérêt est entendue largement par la jurisprudence répressive : elle englobe des intérêts directs et indirects, c’est-à-dire, ceux de l’intéressé lui-même, mais aussi ceux de ses proches, de ses amis ou même ceux d’un groupe auquel il appartient.
En outre, le juge pénal ne retient pas seulement l’intérêt matériel ou financier, mais tout intérêt, y compris moral, qu’il soit familial, politique, professionnel…
On peut également imaginer les difficultés à justifier les recrutements des employés de la SPL décidés par la Présidente et le Directeur général. Tous deux élus sont élus au sein de la même commune, ainsi des risques de complaisance ou de discrimination pourraient déboucher sur des procédures pénales.