En décembre 2014 et janvier 2015, la Sicalait traversait une tempête comme elle n’en avait jamais vécue. A peine arrivé aux commandes, Julien Huet, son nouveau président, balisait sa route par l’engagement de mandater un cabinet d’audit pour ausculter une coopérative qui implosait.
Cet audit a été mené dans les temps, conformément à la volonté du conseil d’administration de la Sica. Restitué au CA et présenté pour preuve de transparence aux adhérents et éleveurs de la coop’, cet audit avait pour mission de photographier le montage de la structure, comprendre son mode de fonctionnement et détailler ses relations avec ses filiales. Cet audit, Zinfos a pu se le procurer et vous le dévoile dans ses grandes lignes.
L’approche du cabinet d’audit est intéressante dans la mesure où elle ne s’attarde pas sur un amoncellement de chiffres. En questionnant notamment Yves Evenat (ex-directeur de filiales) et les membres de la direction, acteurs de la grève de décembre 2014 et janvier 2015, certaines animosités n’ont pas échappé à la finesse de l’audit.
« M. Evenat était en conflit avec l’ancien DG, monsieur Dekokère, ce dernier se voyant reprocher un comportement « hautain »« , relèvent les experts qui ont mené les entretiens. Le directeur contesté par les salariés s’en est pourtant tiré confortablement avec 105.000€ en guise de cadeau de départ. Loin, très loin des vœux des grévistes qui voulaient le voir déguerpir sans frais pour leur boîte.
Impossible au regard du droit du travail sans motif de licenciement autre que celui de quelques mots de travers. Malgré l’importance du solde de tout compte, la Sicalait avait évité bien pire puisque Olivier Dekokère avait des prétentions doublement plus importantes, selon nos informateurs à l’époque. Voilà pour la parenthèse douloureuse laissée par le passage de ce directeur.
« Une logique commerciale et non plus coopérative«
L’audit s’est donc aussi très longuement attardé sur les rapports de la Sicalait avec ses filiales. Celle de la SDPMA a retenu notre attention. Ce sigle ne parle pas au grand public mais c’est pourtant cette société qui pilote les fameux points de vente Fermes et Jardins.
Même si un schéma est plus parlant que des mots (voir le graphique plus bas), les experts mandatés par le conseil d’administration retiennent que le groupe Sicalait joue et use de prises de participations intra-groupes.
L’intérêt de ce montage complexifié en miryade de filiales ? « Une volonté manifeste et revendiquée de masquer les liens capitalistiques entre Sicalait et ses filiales aux yeux du public et de l’administration afin de préserver un potentiel de subventions attribuées ». L’essentiel est dit.
Le rapport invite même le conseil d’administration à se conformer à la loi de 1947 sur le statut des coopératives qui, si elle était appliquée par la Sica, entraînerait la requalification de son statut de coop’, rien que ça. La raison : 50 % des opérations financières intra-filiales devraient être effectuées au profit des sociétaires. Ce qui ne serait donc pas le cas.
La conclusion partielle des experts est assez troublante. La dénommée coopérative laitière n’en serait donc plus une depuis bien longtemps.
Une pratique « contraire aux autres structures coopératives »
Et pour cause, « le développement des enseignes à grande notoriété comme Fermes et Jardins et Magasin Vert a pour conséquence une structuration de groupe qui correspond à une gestion commerciale et non plus coopérative ».
La logique de cette structuration plus commerciale que coopérative au sens de la loi a une conséquence non négligeable sur les petites mains à l’origine de la richesse de la Sicalait : « la non remontée directe des ventes aux adhérents de la même Sicalait ». Une pratique « contraire aux autres structures coopératives où quelque soit le point de vente, les ventes de l’adhérent remontent automatiquement dans les comptes de la coopérative », est-il certifié dans ce rapport.
Loin de se contenter de pointer les faiblesses du montage financier du fleuron économique de la Plaine des Cafres, les auditeurs offrent des perspectives de travail aux décideurs du groupe « pour que chaque euro engrangé profite d’abord et avant tout à l’éleveur ». Car le rapport ajoute : « la logique économique (du groupe Sicalait) peut avoir un sens en termes de rentabilité, de développement de marchés et de création de valeur mais l’éleveur ne s’y retrouve pas ».
Pas difficile de comprendre dans ces conditions que la filière ait perdu la moitié de ses éleveurs en l’espace d’une décennie pour plafonner à quelque 70 aujourd’hui, dont deux tiers en difficulté.